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SEULE - suite et FIN par tehel

SEULE - suite et FIN

Même les rats survivants dans l'ascenseur semblaient figés par le temps.  Plus rien ne bougeait sur la moquette, le chariot était toujours renversé, des déchets jonchaient le sol et à maints endroits, les restes de plusieurs cadavres de rats gisaient à moitié dévorés.  Outre une odeur pestilentielle qui s'en échappait, rien ne laissait préjuger du drame qui venait de se jouer là.

Sur le toit, Kris était étendue.  Elle semblait morte.  Son corps inerte était tordu dans une position inconfortable et son cou carrément de travers.  La fille avait la bouche ouverte, les bras étendus, elle était comme crucifiée sur une croix invisible, la plaie, à sa jambe, saignait toujours, lentement, mais toujours cependant, et quelques gouttes de sangs coulaient encore de sa main tuméfiée.  Ses lèvres étaient craquelées et ses joues enflées par une fièvre de cheval, tout autour d'elle, les objets qu'elle avait pu récupérer traînaient en désordre, au bord de l'ascenseur, le seau rempli de papiers et de son T-shirt boulotté paraissait abandonné, juste à côté, le briquet de la femme était posé.

Le temps, assassin, s'était inexorablement écoulé et avait fini par avoir raison d'elle.  4 jours durant, sans pratiquement boire, sans manger, sans panser ses blessures avaient entraîné la malheureuse vers une mort horrible.

Et puis, même si cela n'avait pas été un miracle, ça y avait fortement ressemblé, Kris avait sourcillé, comme si une lueur avait subitement éclairé son esprit, elle avait remué les paupières et ouvert les yeux.  Ses doigts avaient bougé, ses pieds également, lui arrachant de nouveau un soupir de douleur, et elle avait lentement repris conscience, se sentant au plus mal.

Elle avait redressé la tête, observé les alentours, et puis elle avait essayé de se souvenir et de remettre les événements dans l'ordre chronologique.  Quand son regard s'était posé sur le sac éventré de l'aspirateur, elle avait aperçu un mirliton et puis elle s'en était voulu de n'y avoir pas songé au moment où l'ascenseur A était passé à sa hauteur.  Si elle avait eu la présence d'esprit de se servir de l'instrument à ce moment-là, il y avait fort à parier que quelqu'un aurait fini par l'entendre, mais il était, hélas, beaucoup trop tard.  Plus personne ne viendrait, en tous cas, pas avant un laps de temps trop long pour pouvoir la sauver, il n'y avait plus rien à faire !

Alors elle avait ouvert les yeux, elle avait observé l'obscurité et puis seulement elle s'était souvenue de sa dernière idée.  C'était là la seule solution.  Il y avait peu de chance que cela réussisse, mais il fallait qu'elle tente le coup, elle n'avait plus rien à perdre, si ce n'était anticiper davantage la crise cardiaque qui la menaçait.  Son cœur, en effet, affaibli par un manque de nourriture et de boisson cumulé aux horribles souffrances qu'elle avait enduré, battait à tout rompre dans sa poitrine, qui se soulevait à rythme effréné, la faisant presque étouffer.  Le moindre geste la torturait, mais il fallait qu'elle surmonte cette dernière épreuve pour parvenir à ses fins, ensuite elle pourrait s'évanouir pour de bon, fermer les yeux et espérer que quelqu'un se décide à venir la chercher.  Elle s'accorda encore quelques instants, le temps de calculer ses gestes, ses mouvements et surtout de planifier ses projets précisément afin de ne pas gaspiller les toutes dernières forces dont elle disposait.  Durant quelques minutes encore, elle ferma les yeux et répéta, mentalement, son ultime plan.

Pour la dix millième fois, Emily réclama sa mère.  Ted soupira sans lui répondre.  Il arrivait fréquemment à l'enfant de pleurnicher après Kris, mais jamais encore à un tel point.  A maintes reprises, Ted avait eu envie de se lever et d'empoigner sa fille pour la secouer en lui hurlant qu'il ignorait où sa mère se trouvait, mais à chaque fois, il avait contenu sa colère et cette folle envie en essayant de passer ses nerfs sur le bras du canapé où ses doigts meurtris s'entassaient toujours un peu plus.

Même Mary, pourtant encore jeune, avait remarqué l'humeur massacrante de son père et à chaque fois que sa soeur recommençait sa litanie, elle essayait de la distraire en l'invitant à venir jouer avec elle.

Et puis, contre toute attente, le téléphone avait sonné.  Ted était resté indécis, et ce fut Mary qui décrocha.

- Allô, c'est qui ?

- Passe-moi ton père ! avait dit l'homme au bout du fil et Mary avait tendu le cornet du téléphone à Ted.

- Oui ?

- Stephan Wild.  voilà, je vous appelle de nouveau pour vous signaler que je me suis rendu à la Funco en compagnie de la Police, ceci dans l'espoir d'y trouver trace de Kris, mais je dois, hélas, vous avertir que nous n'avons rien découvert !

Ted l'avait écouté, il avait fermé les yeux, espéré, et puis, il s'était mordu la langue de désespoir.

- Allô ? vous m'avez compris ? répéta Stephan.

- Je ..

- Je voulais aussi vous dire quelque chose d'autre, mais je crains d'être ridicule, enchaîna le gardien d'une voix hésitante.

- Quoi ? que voulez-vous insinuer ?  Allez, parlez maintenant ! s'emporta Ted.  Les filles se turent et le dévisagèrent béatement.

- Voilà, mais ne vous moquez pas de moi, cela va peut-être vous paraître ridicule ou loufoque, mais, moi, je pense sincèrement avoir raison !

- Parlez, bon sang, cela fait 3 jours que je ne dors plus !

- Le bogue, Monsieur Lek, le bogue est à l'origine de tout cela !

- Le bogue ?!?

- Oui, le bogue !  Les ascenseurs de la Funco datent des années septante et je pense, enfin, je fermement persuadé que votre femme est restée bloquée dans un des trois ascenseurs la nuit de jeudi à vendredi !

- Kris ?!? Dans un ascenseur ?!!  Bloquée ... répéta Ted abasourdi, mais à la fois éclairé.  Soudain tout s'expliquait dans les moindres détails.

- Oui, enfin, c'est possible, lorsque, avec la police, nous avons emprunté l'ascenseur de la Direction pour nous rendre au Dining Room, celui-ci est tombé en panne et c'est uniquement grâce à ma clé de secours que j'ai pu activer le système de remontée auxiliaire.

- Kris possède-t-elle une clé semblable ?

- Certainement pas, seuls les surveillants ont une clé de secours.  Si l'ascenseur qu'elle a emprunté s'est arrêté entre deux étages, comme ces vieux appareils ne sont pas équipés du système de remise à niveau automatique, elle doit certainement encore s'y trouver !

- Depuis jeudi soir !?!  Et personne n'a utilisé les ascenseurs depuis lors, c'est bien cela n'est-ce pas ? demanda Ted surexcité.

Stephan hésita, il se rappela les dires de Willson, mais il préféra espérer que celui-ci ait pris l'ascenseur B, par habitude, par principe, comme le règlement le lui dictait et puis, le gardien confirma les déductions de Ted.

- Ecoutez, je n'ai personne immédiatement pour garder mes filles, mais je vais m'arranger, dès que je trouve quelqu'un, je vous rappelle et nous y allons ensemble, OK ? lança Ted d'un ton mitrailleur.

- Non, venez plutôt à la maternité, Maggy, c'est ma femme, gardera vos filles, elle adore les enfants et de toutes manières, nous n'en aurons pas pour très longtemps, juste quelques minutes, de quoi aller vérifier à la Funco que nous avons raison !

- C'est entendu, j'habille les filles et j'arrive vous prendre tout de suite !

12.16

Ben Larson se pencha et ramassa le petit bout de papier qui avait glissé hors de la boîte aux lettres, mais semblait si évident qu'il éveilla chez le policier un tas de soupçons.  Il le lut attentivement en fronçant les sourcils:

Kris,

Je dois constater qu'une fois de plus tu n'as pensé qu'à toi, les filles auraient apprécié que tu les appelles pour Nouvel An !

Ted

De toute évidence, ce billet semblait bizarre.  Préciément à cet instant, un agent, qui visitait l'autre pièce, marqua un carrelage d'un ruban adhésif fluo en hélant: - Y a des empruntes assez récentes ici, du 42, 43, peut-être, des chaussures d'homme !

Ben Larson, songeur, releva la tête en direction de la cuisine et rejoignit son subalterne.

- Ne touchez à rien, relevez toutes les empruntes sur les poignées des portes, les meubles, le téléphone, partout; appelez le Commissariat, voyez s'ils ont quelque chose sur ce Ted Lek, l'ex-époux à la patte légère, et transmettez-moi tous les renseignements que vous obtiendrez !

Les policiers s'affairèrent aussitôt, comme des soldats dans une fourmilière.  Ben Larson sourit en frappant la paume ouverte de sa main gauche avec le mandat de perquisition qu'il tenait dans la droite.  - Voilà une belle histoire de meurtre pour une belle fin de carrière, se dit-il mentalement en se voyant déjà récompensé pour sa perspicacité.

Kris fut soudain surprise par la musique qu'elle entendit.  Cette fois, c'était comme si la radio avait joué plus fort.  Bohemian Raphsody !  Elle ouvrit les yeux, crut un instant avoir fait un cauchemar et pouvoir se réveiller dans son lit, mais la triste réalité lui apparut aussitôt.  Tout était si calme !  C'était bien la chanson, celle-là qu'elle avait entendue quelques jours plus tôt, elle ne pouvait plus se tromper et comprit cette coïncidence pour un signe du destin.  Il fallait qu'elle y aille, plus rien ne devait la retarder davantage.  Elle remua, souffrit davantage lorsqu'elle bougea sa jambe meurtrie, et puis elle constata avec dégoût qu'elle avait uriné et déféqué partout.

Mais plus rien n'avait d'importance, comme le chantait si bien Freddie, plus rien.

Sauf s'en tirer.

Alors, elle s'agrippa aux câbles, tira sur son bras valide, s'appuya sur le "mop", se traîna jusqu'au seau et se laissa tomber à côté de celui-ci en essayant de s'amortir un maximum sur son bras gauche.  Le T-shirt roulé en boule était toujours là, le briquet aussi.  Elle l'empoigna, se signa en priant Dieu, et puis, n'osant y croire, elle fit tourner la molette d'où jaillit une série de petit étincelles qui perlèrent dans ses yeux fiévreux.

Une flamme minuscule - proportionnelle au gaz liquide restant - éclaira la cage de l'ascenseur, avec précautions, en retenant sa respiration et en essayant de ne plus trembler, Kris approcha la flamme de son T-shirt et y bouta le feu.  Elle souleva le vêtement délicatement, de manière à ce qu'il s'embrase complètement, elle le reposa dans le seau, le recouvrit de quelques papiers gras qui brunirent instantanément.  Elle compta ensuite les cigarettes qu'il lui restait.  Le paquet en renfermait quatre qu'elle alluma les unes après les autres en s'assurant que le tabac rougeoyait correctement, mais sans en avaler la fumée pour éviter toute quinte de toux qui aurait été fatale pour ses blessures, puis elle posa les Marlboros dans le fond du seau sans les étouffer.

Si ses souvenirs étaient exacts, tout devait encore se trouver dans l'état où cela était deux années plus tôt, lorsqu'elle avait observé un technicien oeuvrer à l'entretien des ascenseur et graisser les systèmes de câbles.  Kris n'avait, bien entendu, aucune idée des produits utilisés, mais elle se rappelait parfaitement l'odeur dégagée, qui à l'époque, l'avait fait songer à de l'huile de friture.  Elle prit ensuite le seau où un sérieux foyer brûlait déjà, tendit le bras, et s'étira au maximum par dessus le vide.

Son bras tremblait dangereusement, les flammes, plus vaillantes cette fois, lui léchèrent les doigts, mais elle ne lâcha pas prise, elle tendit plus fort encore le bras et quand elle fut presque certaine d'être placée correctement, elle lâcha le seau en roulant sur le ventre pour voir sa chute.

Une chute de quelques mètres à peine, et le seau heurta la cheminée de brique, il ricocha, tourbillonna, tomba malgré tout, une feuille en feu en sortit, les braises rouges du T-shirt virevoltèrent, s'amenuisèrent et puis Kris entendit le bruit du seau qui s'écrasait au sous-sol.  Elle plissa les yeux, tenta de voir ce qui se produisait quelque 100 mètres plus bas, mais la fatigue et le mal l'aveuglèrent momentanément.

Elle se frotta les paupières, se pencha encore un peu plus et cette fois, elle vit une petite lueur qui scintillait tout en bas.  Pourvu que cela marche ! implora-t-elle en serrant les poings contre sa poitrine essoufflée. 

Dans la cage de l'ascenseur, sur le béton recouvert d'huile, de graisse et d'une importante couche de poussières, derrière la double porte close des sous-sols, le seau rebondit violemment, roula contre un mur, et vint se caler contre un autre.  Le T-shirt en feu de Kris avait suivi de près, voltigeant en l'air et retombant sur le béton pour finir de se consumer, quelques papiers gras s'éteignirent, deux mégots flamboyant roulèrent au hasard, puis un pétard explosa timidement.

Kris l'entendit, elle sourit.

Une feuille boulottée s'échappa de côté, intacte, une serviette sale s'étouffa, la hanse du seau retomba sur celui-ci et puis un amas de détritus rougeoyant en sortit.

Une légère fumée s'échappa, tandis que le T-shirt, réduit à un petit tas de cendre, s'éteignit pour de bon.

Kris se retourna sur le ventre, elle tenta d'apercevoir le fond de la cage, mais ne vit rien.  Puis, un second pétard explosa, suivit d'une troisième détonation.  C'est alors que la femme huma l'air vicié porteur de l'odeur âcre des déchets qui brûlaient.

Cette fois, elle fut persuadée, elle avait réussi !  Et comme elle songea à sa victoire, elle fut soudain secouée par le bruit assourdissant que fit la vieille tâche d'huile en s'embrasant d'une traite 100 mètres sous elle.

Les springlers ! pria-t-elle en songeant à ces petits détecteur de fumées disséminés partout, à tous les étages et dans les moindres recoins des bâtiments de la Funco.

Quand elle se pencha de nouveau, peu lui importait encore l'affreuse douleur qui lui démangeait la jambe, car rien n'aurait pu l'empêcher de constater que la cage de l'ascenseur était belle et bien en feu.  Sous elle, la cheminée s'éclaira de lueurs jaunes orangée qui montaient au travers d'épaisses volutes de fumées noires nauséabondes.

Aux sous-sols, par l'interstice de la double porte de l'ascenseur dont la peinture se craquelait déjà par endroits, un nuage brunâtre s'échappa, ainsi que de dessous la porte.  Neuf mètres plus loin, entre deux piliers, le springler le plus proche semblait renifler l'air en attendant de détecter le feu latent.  Kris essaya de se calmer, mais elle ne put réfréner les battements sourds et affolés de son cœur à bout de forces.

Elle toussota, s'écarta du bord du toit, roula de côté et continua d'espérer en fermant les yeux.

Quand Stephan Wild claqua la portière de la voiture de Ted, le springler des sous-sols de la Funco le plus proche de l'ascenseur C se mit en marche, automatiquement suivi des autres qui se mirent à crachoter une pluie aspergeante.  Une sirène stridente se mit en branle et 8 kilomètres plus loin, à la Caserne des pompiers, une loupiote clignota sur le tableau de contrôle.

Mais une fois de plus, le sort s'acharna contre la malheureuse Kris.  Le pompier de faction, quelques secondes plus tôt, avait quitté son poste pour se rendre aux toilettes, tout était calme en ce début d'après-midi et il s'était absenté, en dépit des instructions et du bon sens, mais par obligation, ne pouvant plus se retenir.

Kris ressentit la vague de chaleur qui montait.  Les flammes étaient loin d'atteindre son niveau, mais la chaleur avait malgré tout augmenté.  Là, étendue sur l'ascenseur, elle pouvait entendre les sirènes hurler, et ces stridulations assourdissantes justement lui provoquaient une espèce de tournis qui venait amplifier son malaise général.

Le feu se communiqua au 1er étage, les flamme pourléchant mes briques de la cheminée vétuste et imbibée d'huile et de produits graisseux inflammables.  La porte fermée du premier, pareille à une passoire, laissa s'échapper d'épaisse volutes de fumées qui déclenchèrent les pringlers à ce niveau.

Stephan Wild boucla sa ceinture, bien qu'il fut pressé d'arriver, la conduite rapide et sportive de Ted, aux limites de la prudence, l'effrayant quelque peu.

- Nous y sommes presque ! lança Ted en s'engageant dans la dernière ligne droite qui menait au parking de la Funco.

Le baudrier de l'équipe d'intervention défonça la porte d'entrée de Ted Lek.  Trois policiers, un à droite, un à gauche et un troisième à plat ventre, surgirent, arme au poing au domicile de Ted.  Derrière eux, Ben Larson retenait un escadron de son bras levé, prêt à s'abaisser.

Ben Larson avait vu juste, les empruntes - nombreuses -, relevées chez Kris correspondaient à celles de Ted Lek et plus aucun doute ne planait cette fois quant à son implication dans la disparition de la pauvre fille.

- Y a personne ! hurla une voix de l'intérieur.

- Ben Larson décrocha le microphone de la radio et puis il lança une série de codes incompréhensibles pour le commun des mortels, mais qui signifiaient l'urgence de trouver, arrêter et ramener Ted Lek sous bonne garde au Commissariat.  Aux 4 coins de la ville, toutes les voitures de police à l'écoute se mirent en route, branchèrent leur rampe de feux bleus et enclenchèrent le bitonal pour souligner l'urgence de leur mission.

Quand Ted s'engagea sur le parking désert de la Funco, il ne remarqua pas le camionnette qui l'avait pris en charge quelques secondes plus tôt.

Stephan Wild descendit le premier, il courut jusqu'à la porte vitrée du sas.  Il s'agenouilla, déverrouilla le système de fermeture, et quand Ted posa sa main sur son épaule pour l'encourager, il remarqua les deux agents qui les mettaient en joue en s'approchant lentement.

Kris respirait avec difficultés, ses bronches sifflaient et sa gorge sèche la torturait.  De grosses gouttes de sueur dégoulinaient de ses tempes et malgré ses efforts, elle ne pouvait plus remuer ses jambes, c'était comme si elle était paralysée.

Elle était toujours de côté, et ne pouvait plus faire un seul geste.  Plus bas, les flammes gagnaient toujours du terrain et cette fois, dépassèrent le second étage.

- Plus un geste, les mains sur la tête, face contre sol ! ordonna un policier qui braquait son pistolet en direction des deux hommes qui essayaient de s'introduire dans les bâtiments de la Funco.

Ted fut surpris, tandis que Stephan obéit immédiatement en se couchant par terre.

- Deuxième sommation, cria la jeune recrue qui semblait effrayée.  Le second agent se tenait à l'écart et surveillait les deux suspects.

- Ecoutez, c'est un malentendu, nous sommes là pour libérer une jeune femme, bloquée dans un ascenseur depuis près de 4 jours, accompagnez-nous, vous pourrez nous aider ! débita Ted en écartant, presque malgré lui, les mains.

- Troisième sommation, obéissez, Monsieur, mains sur la tête, face contre sol ! l'agent arma le chien de son arme à feu.

- Appelez Larson, Ben Larson, il vous confirmera mes dires !  Ted s'agenouilla, mais ne put se résoudre à se coucher totalement.

Le jeune policier jeta un coup d'oeil à son collègue, Ben Larson, c'était le nom de l'officier qui avait donné l'alerte, un certain doute s'installa, puis, l'autre s'avança et, sans ménagement, il décocha un coup de crosse à Ted qui s'écroula lourdement à côté de Stephan qui n'avait pas bougé d'un millimètre.

- Vous êtes recherché pour l'enlèvement de votre ex-femme, Monsieur, veuillez obtempérer à nos injonctions ou nous devrons faire usage de la force !

Ted, le front ouvert sur une plaie béante qui laissait s'échapper un filet de sang, renifla et s'essuya les yeux.  Juste à côté de lui, à quelques centimètres à peine, les loquets de sécurités avaient été dégagés de leurs encoches.  Au loin une sirène stridente retentit.

- Voilà les renforts, dit un policier.

- Non, ce sont les pompiers, garde-les à l'oeil, j'appelle Larson.

Une voiture, suivie d'un camion de pompiers s'engagea sur l'aire de stationnement de la Funco.  ted essaya de voir à l'intérieur, et il crut bien distinguer de la fumée qui semblait provenir de partout.

- Que se passe-t-il ? demanda l'agent qui s'était éloigné en direction des pompiers qui stoppaient leurs véhicules.

Ted se leva d'un bond, il poussa la lourde porte d'un coup d'épaule et, avant que l'agent puisse réagir, il pénétra dans le hall d'entrée.  Une épaisse fumée noire avait tout envahi.  Ted enjamba le tourniquet, se masqua la bouche de sa main et courut jusqu'aux ascenseurs.  Il n'entendit pas la balle qui faillit l'atteindre, et il ne se retourna pas pour voir tomber le policier que Stephan avait plaqué au sol.  Le gardien rattrapa Ted, l'ascenseur A descendait lentement vers le rez-de-chaussée et déjà tout un régiment de pompiers s'agglutinait devant la Funco, tandis que d'autres démontaient les deux bouches d'eau de couleur rouge qui, comme des sentinelles, montaient la  garde face à la Funco.

Deux types casqués pénétrèrent dans le sas, Stephan tourna sa clé dans la serrure de sécurité et l'ascenseur s'ouvrit.  - Venez, il faut faire vite !  Il referma la double porte et bloqua sa clé dans le système auxiliaire.  L'ascenseur monta.

- Où allons-nous ? lança Ted à bout de souffle.

- Montez sur mes épaules et tâchez d'ouvrir la trappe, il nous faut repérer l'endroit où Kris est bloquée !  Ted s'exécuta, il observa les 4 vis à tête cruciforme de la trappe et avant qu'il ait le temps de prononcer un seul mot, Stephan lui tendit le tournevis qu'il avait extrait de sa poche.

  1. Le tranchant d'une hache défonça la paroi, et une seconde vis se détacha.

- Grouillez-vous, s'ils nous arrêtent maintenant, ce sera sans doute trop tard !

Ted s'activa, il dévissa la troisième attache et s'attaqua à la dernière.  A présent, plusieurs hommes tentaient d'ouvrir l'ascenseur.  Stepan appuya sur la touche du premier étage, la hache glissée entre les porte descendit, puis se brisa net tandis que le niveau bétonné du premier apparut.

- J'y suis, aidez-moi !  Stephan souleva les bras et hissa Ted sur le toit de l'ascenseur.

- Regardez sur votre droite, l'ascenseur C s'y trouve en principe, dès que vous l'apercevez, vous me faites signe.

- En bas, des flammes semblaient monter de la cheminée extrême.  Ted souleva les yeux et chercha le troisième ascenseur dans l'obscurité.

- Je ne vois rien.

- Ok, on monte !  Stephan tourna la clé, l'ascenseur s'ébranla et puis monta d'une flèche en direction du 22ème étage de la Funco.

- Elle a bouté le feu, elle est là, je le sens ! cria Ted en ne quittant pas le haut des yeux.

- Ted ? murmura Kris, elle divaguait, elle avait cru entendre, au loin, la voix de Ted, mais c'était impossible.  Elle entrouvrit un œil et se désespéra en voyant qu'à présent toute la cage de l'ascenseur était envahie d'une épaisse fumée noire suffocante.

- Là, beugla Ted en désignant du doigt le dessous de l'ascenseur C.  Au 19ème étage, Stephan stoppa aussitôt l'ascenseur dans lequel, lui et Ted, se trouvaient.

Les portes s'ouvrirent, Ted sauta pieds joints sur la moquette, et suivit Stephan qui, déjà, essayait de forcer les portes de l'ascenseur C.

- Aidez-moi, il suffit de tirer un peu et elles finiront par s'ouvrir.  Chacun d'un côté, les hommes, de toute leur rage, bandèrent leurs muscles en tirant sur les caoutchoucs protecteurs de la double porte.  Dans un bruit de grincement, celle-ci finit par glisser de côté.  Les deux hommes se levèrent, épaulèrent le battant et poussèrent jusqu'à ce que l'accès soit totalement libéré.

Là, à moins de deux mètres d'eux, derrière un nuage gris opaque, le toit de l'ascenseur C, d'où s'échappait une lueur blanchâtre montant de la trappe ouverte, s'exposait à leurs yeux irrités.

- Kris ?

- On n'y voit rien ! s'exclama Stephan en reculant et en brassant la fumée.

- Kris ? appela encore Ted, tandis que l'écran de contrôle de l'ascenseur A montrait que quelqu'un venait.

Ted sauta dans le vide.

En souplesse, il se réceptionna sur le toit de l'ascenseur qui vacilla légèrement.  Aux pieds de l'homme, le corps inerte et en piteux état de Kris gisait dans une position étrange.  Il s'agenouilla, s'approcha du visage de la femme, lui caressa la joue et puis il se mit à hurler un cri de douleur qui se répercuta en échos dans tout l'immeuble de la Funco.

La double tonalité du carillon de l'ascenseur tinta, plusieurs pompiers accompagnés de policiers en sortirent précipitamment.  Stephan Wild leva les bras, mais il désigna sans perdre de temps la cage de l'ascenseur qu'il venait de forcer.  - Là, il y a une victime, faites vite, je crois qu'il est trop tard.

Trois hommes casqués sautèrent sur le toit de l'ascenseur C, ils poussèrent Ted de côté, et encadrèrent le cadavre de Kris, tandis que d'autres rapportaient une échelle et une civière.  Stephan, face contre mur, s'impatientait en attendant l'arrivée de Ben Larson qui surgit enfin de l'ascenseur.

- Elle est là, nous le savions, nous avions raison, hurla le gardien en fermant les yeux d'effroi sous la pression de l'arme qui s'enfonçait dans sa nuque.

- Laissez-le ! ordonna Larson en se penchant dans le vide.  Deux pompiers remontèrent un corps fixé sur un brancard , juste derrière, accablé, Ted les suivait.

- Je suis désolé, murmura Ben Larson, tandis qu'aux sous-sols, l'autopompe se mettait en marche pour éteindre l'incendie.

Ted secoua la tête, désespéré, épuisé et se sentant inutile.  Stephan lui tapota l'épaule amicalement, il serra les doigts, ne dit rien, mais Ted sentit toute sa compassion.

Dix minutes plus tard, un convoi de véhicules hurlants sortait du Parking de la Funco où le sinistre était circonscrit.  A la vitre arrière de l'ambulance qui menait le cortège, le visage blême et défait de Ted Lek apparut.

***

Epilogue

 

Vendredi 7 janvier 2000

Stephan Wild avait personnellement tenu à conduire les filles.  Mary tenait en main un petit bouquet de fleurs blanches enrubannée d'une étoffe bleue, et Emily, sagement, lui donnait la main.  Derrière eux, Maggy, chargée d'un couffin où s'agitait un bébé plein de vie, les suivait les baissant les yeux sur le carrelage froid.

Plusieurs journalistes avaient été écartés, ainsi que les curieux et seuls les proches ou les privilégiés avaient eu le droit de passer le cordon des forces de l'ordre.

Ted se tenait là, debout, sérieux.  Habillé de son costume gris souris, les cheveux gominés aplatis en arrière.  Il était droit comme un i, avait croisé les mains derrière le dos et s'impatientait nerveusement tout en essayant de garder son calme.

Un homme à la mine sérieuse s'approcha à pas lents.

- Quatre jours sans boire et sans manger, une fracture ouverte qui a saigné durant plus de 72 heures et une sérieuse infection pour couronner le tout.  Je vous passe les égratignures et la plaie à la main !

Ted acquiesçait, il connaissait tous ces détails par cœur.

- Mais, la médecine, aujourd'hui, fait des miracles !  Sans risque quant à l'avenir, je peux vous garantir que Kris va bien !  Il lui faudra du temps, du repos, du soutien - l'homme, à ces mots, scruta Ted par dessus ses lunettes - et sans doute une sérieuse rééducation pour marcher, mais je peux vous garantir qu'elle s'en sortira.  Dans toute ma carrière de médecin, je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi résistant et déterminé à vivre !

Ravi, Ted lui serra la main en le remerciant chaleureusement, puis il suivit l'homme et entra dans la chambre où Kris avait été installée.  Au bout du couloir, Mary et Emily aperçurent leur père vers qui elles coururent.

- Papa ! s'écrièrent-elles joyeuses.

Ted prit Emily dans ses bras, il tendit la main à Mary et sous le regard amusé et ému de Stephan, il entra dans a chambre.

- Allez embrasser Maman, dit-il.

Les filles ne se firent pas prier.

Kris était là, vivante, affaiblie, meurtrie, amaigrie et encadrée de multiples appareils de contrôle, mais elle était bel et bien vivante.  Elle avait survécu et était parvenu à échapper à ce piège infernal.

Elle tendit sa main libre vers celle de Ted.

Il hésita, se souvenant des photographies qu'il avait trouvées chez la femme, se souvenant de ses doutes, de leurs heurts, de leurs disputes.  Puis, n'écoutant que son cœur, il s'avança, ouvrit la main et serra très fort les doigts de Kris qu'il ne put s'empêcher de caresser doucement.

Du coin de ses yeux, une larme roula sur sa joue.  Ils se sourirent...

- Amis ? murmura-t-il.

- Amis, oui, amis ! répondit Kris, la gorge serrée.

FIN

(Tehel - 1996, inspiré de la nouvelle: "Seule", du même auteur, parue dans "Femme d'Aujourd'hui", décembre 1995)

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Coup de cœur : 8 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : Mignardise 974

je n'avais pas eu l'occasion de lire la suite de ta nouvelle et dès que j'ai pu, je l'ai lu. Franchement, quel talent ! tu m'as tenu en haleine durant toute cette histoire. Un immense bravo ! =D