Seconde partie: Chapitre VI
11.1
Alors que toutes les chaînes de télévision retransmettaient en direct le passage à l'an 2000 dans les différents pays de la planète suivant le fuseau horaire dans lequel ils se trouvaient, Ted, lui, regardait l'horloge du magnétoscope, puis le téléphone muet, puis revenait sur les chiffres digitaux qui marquaient 20:45.
Kris n'avait toujours pas appelé, et cette fois, l'homme savait que quelque chose d'anormal se produisait. Son ex-femme devait ou bien être malade, ou bien trop occupée - avec l'un ou l'autre amant de passage, songea-t-il jalousement - ou bien encore retenue par une panne ou un accident quelque part.
Si seulement ses ex-beau-parents avaient encore été de ce monde, Ted les aurait appelés pour se renseigner, mais hélas, ils étaient décédés beaucoup trop tôt et seule restait Katty, la sœur de Kris. Mais Ted n'avait plus rencontré Katty depuis passé deux ans, et il concevait mal de lui téléphoner pour demander des nouvelles de Kris.
Puis, brisant la monotonie des feux d'artifices tirés un partout dans le monde et largement plébiscités à la télévision, le téléphone sonna, faisant sursauter Ted et ravivant l'intérêt des filles qui semblaient s'ennuyer.
- C'est Maman, j'peux répondre ? lança Mary super-excitée.
- J'veux parler à ma Maman, enchaîna Emily, comme un écho de sa sœur.
Ted, plus rapide, décrocha l'appareil, les filles auraient pu dire n'importe quoi, il n'entendait plus rien d'autre que son sang battant nerveusement à ses tempes.
- Allo ? dit-il d'une voix qu'il reconnut à peine.
A l'autre bout du fil, aucune voix ne se manifesta. Ted ouït imperceptiblement le bruit d'une respiration lente et discrète, mais le correspondant ne prononça aucun mot.
- Allo ? insista Ted, tandis que Mary lui tirait la manche de sa chemise et que Emily s'agrippait à ses jeans en escaladant sa jambe. - Allo !?!
- Ted, dit une voix lointaine et confuse.
- C'est Maman ? demanda Mary simultanément.
- Tais-toi, Mary, je ne comprends rien, - Allo, à qui ai-je l'honneur ?
- Ted, c'est moi !
- C'est Maman ? insista Mary.
- Allo ? Ted repoussait ses filles, le son dans l'écouteur était si faible, si peu audible !
- Ted ?
- Oui ?, oui, c'est moi, qui êtes-vous ?, parlez plus fort, je n'entends pas !
- Ted, c'est moi ! Cette fois, Ted identifia la voix qui parlait, il s'agissait de Val.
- C'est Maman ?
- Non, ce n'est pas Maman, retourne t'asseoir dans le fauteuil et fiche-moi la paix ! s'énerva l'homme en changeant l'écouteur d'oreille.
- Ted, je, je ...
- Ecoute, Val, ce n'est pas la peine, ne perds pas ton temps, c'est terminé entre nous, tu le sais, alors n'insiste pas, veux-tu !?!
- Mais ... Ted raccrocha violemment et, rouge de colère, il regagna sa place face dans le canapé face à la télévision.
Le téléphone sonna encore deux fois, et avant même que Ted eut le temps de se lever, il cessa d'émettre.
- Qu'est-ce qu'elle voulait celle-là, questionna Mary et désignant le téléphone d'un geste de dédain du menton.
- Rien, plus rien, cette fois elle nous laissera tranquille ! répondit Ted et songeant: du moins, je l'espère !
Vers 21h00 ce vendredi 31 décembre 1999, Kris reprit connaissance.
Les martèlements dans sa tête avaient repris de plus belle et la douleur à sa jambe semblait reprendre de la vivacité. Elle tâcha d'ouvrir les yeux, mais l'éclairage pourtant faible de la lampe de secours l'éblouit au point tel qu'elle dut s'y prendre par étapes. C'était probablement le réveil le plus pénible qu'elle eut connu jusqu'alors. Ses joues brûlaient de mille feux et sa bouche lui sembla si sèche qu'elle aurait avaler un litre d'eau d'une traite.
Doucement, elle se redressa et reposa ses épaules contre la paroi de l'ascenseur. Le petit papier argenté ouvert gisait sur la moquette, plus loin, les vivres qu'elle avait répertoriées et rangées semblaient n'avoir pas bouger et l'énorme flaque de sang sous ses membres avait séché complètement pour se transformer en une espèce de croûte violacée.
Quand elle eut retrouvé toute son acuité, Kris leva les yeux en direction de la cheminée visible par l'ouverture de la trappe. Rien, malheureusement n'avait changé. Il ne s'était produit aucun miracle et personne n'était venu pour la tirer de ce mauvais pas.
Elle tendit l'oreille malgré la nausée qui lui donnait des haut-le-cœur, puis elle entendit encore les grésillements de la radio qui parvenaient jusqu'à elle. Pour pallier ses vertiges, Kris décida d'avaler un peu d'eau et de sucer une pierre de sucre accompagnée d'un biscuit sec qu'elle déballa.
Cela lui parut être un festin. Sa langue, ses dents, sa bouche tout entière sembla recouvrer ses sens et son estomac cessa, momentanément de se plaindre. Petit à petit, la femme retrouva également un certain équilibre et après plusieurs minutes, elle fut pleinement consciente des événements.
Au fur et à mesure que Kris reprenait contact avec la réalité, les souffrances de sa blessure se réveillèrent également. Et puis, elle eut envie d'une cigarette. Cela faisait d'après ses - faux - calculs plus de 24 heures qu'elle n'avait plus fumer et là, subitement, l'envie lui prit. Elle sortit son paquet hors de son sac, choisit une Marlboro au hasard et l'alluma avec son briquet. A la toute première bouffée, Kris manqua de s'étrangler. Elle toussota et hoqueta, ce qui provoqua d'horribles élancements dans sa jambe, mais elle serra les poings et tira une seconde fois sur sa cigarette. Elle leva la tête pour laisser s'échapper la fumée vers l'ouverture du toit et puis, fermant les yeux, elle essaya de ne plus penser à rien d'autre qu'au bien-être que le procurait la nicotine.
A quelques mètres à peine de là, les rats, toujours en mouvements, stoppèrent leur progression, surpris par l'odeur désagréable du tabac.
Sans s'inquiéter, Kris fit volontairement tomber ses cendres sur la moquette, après tout, elle se moquait bien de ce que la Direction lui dirait lorsqu'on la découvrirait là, bloquée et prisonnière de l'ascenseur. Si tout s'était arrêté, ce n'était pas de sa faute, et puis, plus rien n'importait d'autre que de tenir un peu plus longtemps. Elle inspira une autre longue bouffée qu'elle recracha lentement en s'amusant, malgré ses souffrances à essayer de faire des dessins dans les reflets du néon...
11.2
Quand elle eut terminé, elle écrasa le mégot contre la paroi et l'expédia d'une chiquenaude en tentant de viser la trappe. Le mégot ricocha sur le plafond et vint retomber, sans bruit, par terre. Kris soupira, la température de son corps montait de nouveau et son supplice s'intensifiait une fois encore. La serviette hygiénique avec laquelle elle avait pansé sa blessure avait changé de teinte, mais pas trop, indiquant que, fort heureusement, la plaie avait cessé de saigner.
La femme jeta alors un coup d'oeil aux paquets de cocaïne qu'il lui restait, et décida d'en prendre un second dès qu'elle entendrait à nouveau le générique du journal radiodiffusé. Alors, prenant son mal en patience, elle écouta, en essayant de se concentrer pour ne pas penser à la douleur.
Les effluves nauséabonds disparurent et firent à présent place à d'autres qui signifiaient que de la nourriture n'était plus très loin. Les rats reprirent leur chemin, à la queue-leu-leu et, comme Kris fermait les yeux pour figer son attention sur les bruits de la radio, les premières moustaches - d'horribles poils noirs, longs et durs, apparurent à l'embouchure de l'aération du vide-ordures qui donnait dans la cheminée du 19èm étage. Les autres bêtes se bousculèrent un peu et puis stoppèrent, attendant le signal d'assaut de leur meneur.
- Papa ! cria Mary en faisant peur à Ted qui s'était endormi.
- Hum ?!?
- C'est quand que Maman va nous téléphoner ?
Sans répondre, l'homme courut à la cuisine pour tirer hors du four la dinde qui y cuisait depuis plus de deux heures. Mais il était bien évidemment trop tard ! Une épaisse fumée noire se dégageait de la porte du four électrique, comme si celui-ci s'était mis à refouler à l'instar d'une cheminée d'usine de produits toxiques.
Ted, avec de grands mouvements, brassa l'air de ses bras faisant le crawl, à l'aide d'un linge pris au hasard, il ouvrit la porte du four et constata que la dinde avait une teinte noire peu appétissante. Le repas du soir, à l'occasion du réveillon, était d'ores et déjà fort compromis ! L'homme jura et s'en voulut, mais il n'y avait plus à faire, la dinde était trop cuite, aussi, les deux pizzas surgelées qu'il avait achetées bon marché seraient leur repas à tous les trois, pourl e grand plaisir, cependant des filles qui adoraient ce genre de choses infectes.
Le temps de déballer les pizzas et de les enfourner dans le micro-ondes, et Ted revint auprès des filles qui s'amusaient beaucoup à rire des maladresses de leur père.
- Dis, p'pa, on téléphone à Maman ? elle nous avait promis d'appeler et il est déjà très tard ! remarqua Mary en essayant de déchiffrer l'heure exacte.
- Vas-y, tu peux l'appeler, mais à mon avis elle doit être sortie. Tu es certaine qu'elle n'avait rien prévu pour le réveillon ?
Mary fit signe non de la tête et elle décrocha le combiné en composant le numéro de sa mère.
La fillette patienta quelques minutes, puis, elle se résigna et raccrochant. Maman n'était pas là, cela ne faisait plus de doute, mais, à coup sûr, elle téléphonerait vers minuit pour souhaiter une heureuse année à ses filles.
Vers 23h00, le décompte, filmé en direct, s'afficha sur toutes les chaînes locales. Ted eut beau zapper et chercher un autre programme, il n'y avait rien d'autre à la télévision, les filles s'amusaient avec leurs poupées, les reste d'une pizza gisaient sur la table et la bouteille de vin orpheline que Ted avait bue seul semblait bien triste.
A la Funco, les rats s'étaient amassés sur les poutrelles servant de guide aux ascenseurs, ils avaient contourné les câbles, évité les treuils et contourné la machinerie, et ils s'étaient amassés sur le toit de l'ascenseur C. Le plus gros d'entre eux, la femelle, avait avancé jusqu'au bord de la trappe et s'était penchée légèrement pour regarder à l'intérieur. Là, en bas, le corps d'un être humain était allongé sur le moquette, il y avait une sorte de promontoire sur roulettes sous l'orifice d'entrée, et il se dégageait une odeur particulière qui titillait les moustaches en émois de ces animaux affamés.
Kris ne dormait pas, elle fermait les yeux, essayait de percevoir la radio, puis, comme le générique du journal parlé lui parvint, elle ouvrit un autre pacson chiffonné, en contrôla le contenu, mais dut s'en débarrasser, car la feuille de papier alu était complètement vide. Elle en prit un autre, le déplia et, comme celui-là portait encore quelques traces blanches, elle le lécha avidement en laissant son esprit errer au hasard des élucubrations qui l'envahir aussitôt. Le mal disparut presque aussitôt, un peu plus et Kris se sentie bien, elle s'adossa un eu plus confortablement, songea encore aux filles et à Ted, puis plus rien n'eut d'importance, sauf cette impression agréable de montée vers des stratosphères inconnues...
Kris distingua à peine l'espèce de boule de poils hirsutes qui venait de tomber du plafond sur le chariot, elle ne vit pas non plus la suivante et, la bouche ouverte sur une inspiration puissante et profonde, elle se laissa aller et s'enfonça dans les ténèbres d'un sommeil délirant et réparateur. Une troisième bête se risqua. Elle roula sur le distributeur de papier, vint s'écraser sur le sol, mais retrouva bien vite une position à quatre patte pour suivre les deux autres qui s'approchaient de Kris.
Les effets de la cocaïne ne sont pas durables dans le temps et sont même, pour les toxicomanes, assez brefs. Mais Kris ne s'était jamais droguée, elle fumait bien quelques Marlboros par jour, mais n'avait jamais touché à la drogue, aussi, sur elle, la cocaïne eut-elle des effets immédiats et intenses qu'elle ne pouvait pas contrôler.
Le premier rongeur s'approcha prudemment de la jambe blessée de Kris et y grimpa à moitié pour mieux renifler le sang sécher, les deux autres, surveillés par toute une rangée d'autres bêtes avides et penchées à la trappe, flairaient goulûment la moquette pourpre. Kris remua la jambe, par réflexe, mais elle ne reprit pas conscience. La femelle s'écarta rapidement, fit un détour entre les roues du chariot et puis elle se rabattit sur le carré de papier où Kris avait entassé les biscuits secs qu'elle avait extraits de l'aspirateur. Assez dans une position comique, l'animal se mit à ronger un biscuit qu'il tint entre ses pattes avant, les deux autres s'en prirent à la réserve de pain de la femme. Déjà, quelque deux mètres plus haut, d'autres bestioles s'apprêtaient à bondir dans l'ascenseur, quand, comme prévenue par un sixième sens, Kris ouvrit grand les yeux.
Trois horribles rats lui tournaient quasiment le dos et s'empiffraient de ses maigres réserves de nourriture. Sans réagir immédiatement, elle songea qu'elle devait rêver ou délirer complètement, mais la véracité si étonnante de sa vision fit qu'elle prit conscience des faits.
Alors, sans brusquer, elle tendit les doigts, se saisit du "mop" qu'elle avait posé contre le chariot et, à deux mains cette fois, de toutes ses forces, elle rabattit le manche de plastique sur la bête la plus proche.
Kris ne vit pas si elle atteignit le rat, elle entendit juste un exécrable couinement et un remue-ménage pas possible sous le chariot, à quelques centimètres d'elle à peine. Une chose noire et oblongue se redressa péniblement, tandis que deux autres monstres poilus grimpaient agilement sur le chariot pour presque disparaître de son champ de vision.
Kris, qui éprouvait des difficultés à retrouver ses esprits et reprendre une respiration normale, mais elle entendit parfaitement les bruit horrible des petites et nombreuses pattes griffues qui circulaient sur le toit de l'ascenseur, alors, dans un effort qu'elle se serait cru incapable de fournir, à l'aide du "mop" en guise de béquille, elle se releva, lâchant un cri de douleur et rouvrant la plaie de sa cheville douloureuse.
Kris leva les yeux, elle essaya d'apercevoir les prédateurs qui gesticulaient sur le toit et qu'elle entendait si bien qu'elle en avait des frissons dans le dos. Elle sentait le duvet de ses bras se redresser sur sa peau en chair de poule. Elle se maintint au chariot et, soulevant le "mop", elle le frappa à plusieurs reprises en tournant dans l'embouchure de la trappe. Si les rats en furent tout d'abord effrayés, ils ne s'enfuirent pas pour autant. Prudemment, les bestioles avaient reculé jusqu'au bord de l'ascenseur, hors de portée des coups qu'il pleuvait, mais ils n'avaient toujours pas renoncé à leur proie. Kris s'effondra contre le chariot, elle était exténuée. Tous ces efforts avaient achevé de l'annihiler et soudain elle se sentit très fatiguée.
Quand elle leva de nouveau les yeux, elle se retrouva quasi nez à nez avec un de ces horribles mammifères l'espionnant !
Partout dans le pays, 00h00 sonnèrent à coups d'artifices, de salves d'honneur et de sirènes. Minuit, le 1er janvier 2000, une date qui ferait date ! Ted embrassa Mary. Emily, quant à elle, s'était finalement endormie, mais l'homme se pencha sur l'enfant malgré tout pour lui donner un baiser.
- Bonne année, Papa, j'espère que tu seras heureux cette année ! dit étrangement l'aînée.
- Si tu avais un souhait à émettre, un vœu à faire, quel serait-il ? demanda le père à sa fille. A une vitesse subliminale, Ted espéra que sa fille lui réponde quelque chose dans le genre d'une réconciliation entre ses parents, mais Mary n'avait que 6 ans, elle allait en avoir 7 et à cet âge-là, on ne pense pas à ces choses-là.
- J'sais pas, que toi et maman vous arrêtiez de vous disputer.
- Mais, nous ne nous disputons pas, ma chérie, ta mère et moi nous nous entendons bien !
- Oui, mais ce serait mieux si on vivait encore tous les quatre, comme avant, quand j'étais petite ! Ted eut du mal à cacher les larmes qui avaient noyé ses yeux, il regardait sa fille, debout face à lui, mais il ne voyait lus que Kris, qu'il imaginait blottie dans les bras d'un autre !
11.3
Kris ravala sa salive, elle sautilla en arrière et se plaqua contre la paroi, le "mop" brandi en avant pour se défendre. Là-haut, plusieurs rats l'observaient en frétillant de leur museau nerveux.
Au loin, à des centaines d'années lumières de là sembla-t-il, Kris entendit les pétarades de feux d'artifices tités en ville, elle perçut également des sirènes des pompiers ou d'ambulances, et, sans faire le rapprochement avec le passage à l'an 2000 qu'elle croyait déjà effectué depuis 24 heures, elle eut soudain une idée. Elle s'abaissa sans quitter la trappe des yeux, attrapa son sac à main, y chercha son briquet, prit le seau bleu, celui-là qui était vide et y fourra quelques papiers gras qu'elle pêcha dans le sac éventré de l'aspirateur.
Elle mit le feu au papier et plaça le seau sous la trappe ouverte. Les rats reculèrent aussitôt, effrayés et paniqués. Le feu, seul le feu pouvaient les maintenir à l'écart, mais Kris savait pertinemment bien qu'elle n'avait ni les moyens, ni la possibilité d'alimenter ce feu qui finirait par l'asphyxier. Une épaisse colonne de fumée noire monta en effet du seau de plastique qui commençait à fondre et Kris dut le reposer et l'éteindre avec le bout du "mop". Quelques fanaux encore incandescents virevoltaient en l'air et retombaient un peu partout dans l'ascenseur, puis elle se retint de tousser et écouta. Les rats semblaient momentanément éloignés, mais, dans sa tête en ébullition par tant d'émotion, de douleur et d'euphorie à la fois, elle sut qu'ils reviendraient !
- Bon, on téléphone à Maman ? insista encore une fois Mary en regardant distraitement les gens qui passaient à la télé et qu'on voyait s'amuser sur différentes places connues du pays.
- Ok, je fais le numéro, dès qu'elle répond, je te la passe. Ted effleura la touche rappel du dernier numéro composé, et puis, au lieu d'entendre la sonnerie, une jeune et jolie voix synthétique lui signala que tout le réseau était occupé et qu'il valait mieux réessayer plus tard. Un nombre incalculable de gens était occupé à se congratuler par téléphone à cette heure-là et toutes les lignes étaient surchargées. Ted raccrocha, il n'y avait décidément rien d'autre à faire que d'attendre encore et éviter de faire un tas de suppositions désagréables et douteuses...
Kris divaguait. Sans doute encore sous l'effet étrange de la cocaïne, mais certes également sous l'influence de la douleur qui l'étripait. Quand elle jeta un coup d'œil à la trappe, les premiers rats étaient revenus, à l'affût, prêts à envahir l'ascenseur. Alors, pour les éloigner, pour les effrayer, elle cria de toutes ses dernières forces et en frappant du "mop" sur le plafond. Les rongeurs déguerpirent, mais ils revinrent presque aussi vite sur leurs positions.
Kris sentait la fatigue l'assommer, elle avait une forte envie de dormir et de ne plus penser à rien. Elle choisit une pierre de sucre qu'elle grignota calmement et réfléchit afin de trouver une solution. Il n'y en avait pas ! Rien ne pouvait éloigner les rats, hormis le feu, mais ça, c'était exclu. Elle pouvait toujours hurler à leur approche et faire un maximum de boucan, à la longue, les bestioles s'habitueraient et ne craindraient plus ses hurlements menaçants. Alors, désespérément, Kris baissa la tête, et expira en laissant ses yeux pleurer. Sur le toit, les petit cliquetis des pattes griffues se faisaient de plus en plus pressant et plusieurs têtes poilues et armées de dents acérées dépassaient de la trappe en déséquilibre, prêtes à sauter.
Tout à coup, la femme qui regardait dans le vide, les yeux fixés sur le sac de l'aspirateur épanché sur la moquette, mais hypnotisés par des pensées à cent mille lieus de là, se rappela un détail qui avait bien failli lui échapper.
Elle attrapa le sac, le vida de nouveau part erre et fouilla les déchets qui s'y trouvaient. Quelques secondes lui suffirent pour qu'elle découvre une toute première amorce, une sorte de petite boule de carton, de couleur jaune celle-là, qui faisait partie intégrante du paquet cadeau offert par la Funco et destinée à être jetée sur le sol pour exploser. Kris fouilla encore, elle trouva une seconde, une troisième et puis, elle ne l'avait même pas remarquée auparavant, elle découvrit une plaquette presque entière de petits pétards rouges, verts et jaunes.
Délicatement, elle défit le cordon qui rattachait les pétards entre eux, ceux-ci s'effilochèrent et s'éparpillèrent sur la moquette. Elle les compta, elle en avait 11 entiers et deux sans mèche.
Elle s'empara de son briquet, alluma un premier pétard et elle le jeta avec précision sur le toit de l'ascenseur. Les rats reculèrent tout d'abord, puis, quand la petite charge explosa - avec un léger bruit étouffé qui résonna dans la cage de la cheminée - les rats s'enfuirent, apeurés et soudain surpris par cette chose qu'ils ne connaissaient pas. Kris ne put s'empêcher de lancer un cri de joie victorieux et, comme pour se convaincre que cette fois ces prédateurs ne reviendraient plus, elle alluma un second pétard qu'elle lança avec adresse par la trappe. Au bout de quelques minutes, pas une de ces sales bestioles n'avait reparu.
La femme s'installa plus confortablement, elle glissa le "mop" contre sa poitrine, ramena les pétards prêts à l'emploi près d'elle et disposa son briquet à portée de main et se laissa aller en fermant les yeux, par intermittence. Elle tenta de remuer les doigts de pieds, mais sa jambe enflée la fit trop souffrir et elle se résigna à demeurer tranquille.
Il était 01h25 du matin, lundi 1er janvier 2000.
à suivre …
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