En un instant, ses grands yeux clairs se déchainaient en un orage meurtrier. Les larmes mangèrent tout d'abord la fragile barrière des cils, glisserent jusqu'aux pommettes où elles restèrent en suspens une seconde, semblant hésiter à dévaler sa hauteur. La première tomba, timide, et toutes ses soeurs la suivirent alors, se bousculant de plus en plus rapidement dans la chute folle. Sa tristesse détrempait son visage, son cou, submergea sa chemise puis tout son corps. Sa personne entière semblait pleurer maintenant et je m'étonnais d'avoir encore pied dans cet océan de desespoir. A un moment j'eus peur que cette cascade ne le déchire, que son enveloppe ne se rompe tout bonnement sous la pression de tant de chagrin.
Et un peu parce que je me sentais coupable, un peu parce qu'il me faisait peur, je n'eus pas le courage de le laisser se noyer. Le temps d'un mouvement vers lui et sa tête avait trouvé le refuge rasurant de ma poitrine. Convulsé et mouillé, son visage déscendit dans le col de ma chemise, le long de mon ruisseau salé et poisseux de larmes. Je sentis sa bouche embrasser mon sein, avec la passion de ceux qui cherchent à se consoler de plusieurs vies de malheurs. Ses levres humides remontèrent jusqu'à ma bouche et l'eau qui nous recouvraient semblait bouillir, réchauffée par la fievre qui habitait ses baisers. Cette fievre, intense mais frele, que l'habitude, la coriace, avait tué. Que nous avions tué. Cette fievre qu'il retrouvait maintenant, dans son élan de dernière fois.
L'idée que j'étais responsable de ce déluge vint et s'échappa à son tour par mes yeux, rejoignant son torrent de pleurs qui coulait toujours. Je m'etonnais de l'harmonie de ce mélange, j'ai toujours pensé qu'on associe pas désespoir et culpabilité. Mes quelques larmes me firent l'effet d'une douche froide et je le repoussait, dans la vapeur salée qui nous entourait. Je nageait dans la culpabilité et même si lui coulait devant moi, j'avais choisi.
Je le quittais.