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Seule - suite (5) par tehel

Seule - suite (5)

Alors, son sang n'avait fait qu'un tour.  Bien évidemment avait-il entendu les râles et les soupirs qui provenaient de la chambre à coucher, leur chambre à coucher, et en gravissant les marches, il avait également repéré les jeans troués qu'un homme avait dû ôter à toute hâte, et, a fortiori, savait-il ce qu'il allait trouver en franchissant la porte.  Mais il l'avait fait, malgré tout, sans réfléchir, sans réfléchir à ce qui allait se produire ensuite.

Ted était donc entré dans la chambre à coucher, et il avait vu.

Kris était nue, elle avait les deux mains agrippées à la tête du lit qu'elle paraissait secouer, elle était à quatre pattes, cambrée en arrière, et juste derrière elle, comme s'ils jouaient au petit train, il y avait un homme, nu lui aussi, leur voisin, que Ted ne reconnut pas tout de suite, tant ébahi et subjugué par ce qu'il voyait.  Ses yeux suivirent les mouvements rapides et cadencés de la poitrine de Kris qui balançait au rythme des coups de hanche de l'autre abruti.  Et puis, Kris essoufflée, manqua étouffer en apercevant Ted debout dans l'embrasure de la porte.  L'homme avait reculé d'un bond et Ted se souvint avoir ri intérieurement en se demandant comment ce type, quelques secondes plus tôt était parvenu à avoir une érection, et puis les draps avaient caché leur nudité dégoûtante.

...

Ted se réveilla en sursaut.  Le front trempé de sueur, le corps tremblant.  Il avait rêvé !  Presque chaque nuit, il faisait le même cauchemar, les mêmes scènes et les mêmes personnages, ensuite, comme après chaque rêve, il tenta, les yeux fixés dans le vide obscur, de trouver une explication à ces songes récurrents et harcelants.

9.4

Kris se réveilla elle aussi.

Elle était parvenue à dormir et avait sans doute rêvé, mais elle ne s'en souvenait plus, elle n'avait aucune idée de l'heure qu'il pouvait bien être, mais ce qu'elle savait c'est que sa vessie ne patienterait plus très longtemps avant de se relâcher stupidement.

La lumière blanche du néon de secours brûlait toujours sans ciller, Kris cligna des paupières, se releva et s'étira en essayant de faire passer les douleurs qui massacraient son dos et ses articulations.  Puis, elle prit le seau jaune, celui qui était vide, elle s'y accroupit au-dessus et urina longuement.  Elle s'était retenue un maximum de temps, pensant sans cesse à mardi lorsque des gens finiraient par découvrir sa présence là, dans l'ascenseur, avec ses vêtements sales, ses cheveux gras, sa mine défaite et ses urines et ses excréments.  Alors, par pudeur, et par amour de soi, elle s'était retenue le plus longtemps possible pour éviter cette gêne, mais son bas-ventre gonflé la tiraillait si fort qu'elle n'avait plus pu tenir davantage.

Le fait d'uriner la soulagea énormément.  Elle prit un rouleau de papier de toilette sur le chariot, elle s'essuya et renfila son pantalon de toile. Il régnait dans l'ascenseur une chaleur innommable, l'air y était vicié et Kris éprouvait quelque difficulté à respirer; sa bouche très sèche se craquelait aux commissures des lèvres et sa langue semblait peser une livre.  Alors, presque malgré elle, parce qu'elle savait qu'il fallait qu'elle économise ses maigres réserves, elle prit le seau bleu et but une toute petite gorgée d'eau.  Puis, avec honte, elle regarda le fond du seau et estima qu'il restait tout à peine l'équivalent de deux ou trois cuillers à soupe d'eau potable.  Cela devait lui suffire, elle n'avait pas le choix, pas d'alternative, c'était toute l'eau qu'elle possédait jusqu'à mardi et elle devait, à tout prix, économiser en fonction de cette maigre quantité.  Mais il faisait si chaud dans ce foutu ascenseur et comme elle n'avait aucune notion du temps, elle ne pouvait ni se fixer une marge à suivre, ni se régler en fonction de ces deux critères primordiaux.  Elle ne pouvait rien y changer, elle était bloquée dans l'ascenseur C et personne ne viendrait avant mardi. Elle finit par se rasseoir sur la moquette, s'adossant à la paroi, le cou tordu en arrière et les yeux mi-clos, fixant le plafond de la cabine.  Et puis, comme elle avait ne espèce de révélation, elle ouvrit grand les yeux, si fort qu'ils faillirent sortir de leurs orbites !

Ted souffla.  Il n'était pas parvenu à se rendormir, il avait tant remué que les draps du bout du lit s'étaient détachés et que la couette avait glissé sur le lino.  Il regarda son réveille-matin: il était à peine 4h50 et dans la chambre voisine, il put entendre les respirations tranquilles, régulières et insoucieuses des filles qui dormaient paisiblement.  Une fois encore il pensa au rêve qu'il avait fait et tâcha de ne plus y penser.

9.5

D'un bond, Kris se mit debout et elle observa le plafond de la l'ascenseur.

L'ascenseur C, comme tous les ascenseurs, comportait au plafond une trappe de visite un peu décentrée.  En fait, c'était une plaque métallique, fixée par des vis dont les contours taraudés étaient brillants, à force d'y avoir introduit un tournevis ou un quelconque autre outil pour les serrer et les desserrer.  La plaque, estima Kris, ne semblait pas très large, elle devait tout à peine suffire à laisser passer le corps d'un homme de taille modeste, mais c'était par là qu'elle avait une chance, si l'ascenseur s'était arrêté à proximité d'un étage, de pouvoir s'extraire de cette maudite prison.

Elle tira sur son chariot pour l'amener juste sous la plaque en question et y grimpa en prenant toutes les précautions possibles pour ne pas tomber.  Elle se maintint en équilibre, les pieds de travers sur mes montants des supports des seaux, et, à l'aide du "mop", elle s'aida pour se redresser.  En tendant la main, elle put enfin toucher la fameuse trappe de visite.

Les vis, au nombre de 4, une à chaque coin, étaient de grosses vis à tête cruciforme mais fendue en leur centre pour permettre leur utilisation à l'aide de tournevis à tête plate ou en croix.

Kris n'avait ni tournevis ni canif sur elle, elle redescendit du chariot, fouilla son sac à main qu'elle renversa sur la moquette de sol et chercha un objet, solide, qui aurait pu l'aider à dévisser la plaque.  Hormis un porte-clés elle ne trouva rien d'assez fin et résistant à la fois pour tenter l'expérience. 

Alors, une nouvelle fois, elle eut une idée.

Son soutien-gorge !  Kris, nous l'avons déjà dit, portait des sous-vêtements de qualité qu'elle sélectionnait avec attention et sans compter à la dépense.  Elle songea à son soutien en se rappelant la dernière fois qu'elle avait du recoudre la triple agrafe de fermeture.

Elle ôta son -shirt, dénoua son tablier qu'elle avait accroché à sa taille, et dégrafa son soutien.  Les trois agrafes étaient solidement cousues au renfort de soie.  Elle remonta sur le chariot, sans plus devoir s'aider de son "mop", et, une main plaquée au plafond pour se maintenir en équilibre, elle essaya d'introduire la tête de l'agrafe dans l'interstice d'une première vis.  Elle réfléchit, l'espace de quelques instants, et se souvint que le sens inverse des aiguilles d'une montre devait être respecté, en appuyant de toutes ses forces sur l'agrafe, elle tenta de faire tourner la vis pour la desserrer.  L'agrafe se tordit en lui entaillant le gras du pouce; si péniblement qu'elle faillit renoncer, mais, comme la vis bougea, elle se mordit la langue, fit davantage d'efforts et tordit le poignet avec un maximum de puissance.  La vis se décala, tourna sur elle-même, découvrit son premier pas, un second, et puis, Kris put aisément l'enlever sans plus devoir forcer.  La vis se déboîta, rebondit sur le chrome du support, et tomba avec un petit bruit sec sur la moquette.  La jeune femme se retourna, et s'attaqua à la seconde vis.  Une fois de plus, elle dut appuyer très fort au départ pour desserrer la vis, mais celle-ci sembla moins coriace que la précédente et en quelques secondes à peine, elle fut extraite.  Kris se retourna à nouveau, elle changea de position, prit garde de bien poser les pieds sur les barres du support et malgré une douleur sourde au poignet, elle introduisit l'agrafe dans la troisième vis.  Celle-ci était à peine serrée, Kris ne dut faire aucun effort pour l'enlever et sans perdre de temps, elle se plaça sous la dernière vis.  Cette vis-là semblait beaucoup plus vieille, les rainures de la tête cruciforme étaient fortement abîmées et la tête couverte de vert-de-gris, effet du temps.  Kris changea d'agrafe, elle en avait trois à sa disposition et si les autres vis n'avaient pas réellement résisté, il n'y avait aucune raison que celle-là le fasse.  Elle se positionna bien en-dessous de la plaque, à hauteur de la vis, y introduisit l'agrafe qu'elle serrait très fort entre ses doigts meurtris et elle exerça une pression cumulée à un mouvement de rotation à gauche.  La vis grinça.  L'agrafe se tordit sensiblement sous la pression, et puis, y mettant toute sa hargne, la femme la fit pivoter puissamment.  Finalement, la vis se débloqua, mais l'agrafe glissa et dérapa, se pliant complètement et s'émoussant sur la plaque métallique.

Comme si le temps pressait, Kris se dépêcha à recommencer l'opération avec la dernière agrafe dont elle disposait.  Cette fois elle ne pouvait plus échouer, alors elle s'appliqua, s'assura que la tranche de l'agrafe pénétrât correctement le sillon de la vis, et puis, bandant ses muscles, elle tourna un coup sec.

L'agrafe dérapa encore.  Kris répéta ses gestes.  Il fallait qu'elle enlève cette vis à tout prix.  La tête de la vis sembla se tordre et se plier, mais Kris ferma les yeux, se concentra davantage et, cette fois, elle la sentit bouger. Doucement, elle se positionna de nouveau correctement et s'entêta une nouvelle fois sur cette maudite vis.  Celle-ci, enfin, se décida à tourner.  Doucement, à force de petits coups de poignet, la vis se desserra et sortit de la plaque en faisant un plongeon manquant de peu le seau d'eau sous les pieds de la fille.  Kris se pencha, empoigna le manche de "mop" et poussa la plaque, qu'elle souleva doucement. Un joint usé de caoutchouc s'en détacha, se mit de travers et pendouilla dans le vide.  La femme poussa à l'aide de ses deux mains et parvint à faire glisser la plaque de côté.  Elle lança le "mop", et fit disparaître la plaque sur le toit de l'ascenseur.  Au-dessus d'elle, la haute cheminée de l'ascenseur C s'étendait sur quelques mètres éclairés par la lampe de secours et semblait s'élancer jusqu'à l'infini.  Kris attrapa le rebord de l'ouverture, tira sur ses bras et se hissa sur le toit de la cage.  C'était poussiéreux et graisseux à la fois, les trois câbles fixés et enroulés à un système mécanique compliqué occupaient presque toute la surface disponible, juste à côté, un réseau de fils électriques emmêlés et gainés, pareil à un cordon ombilical qui tombait du toit loin là-haut dans le noir interminable, Kris s'assit.  A gauche, à droite, devant et derrière elle, seules des briques ordinaires de cheminée mal rejointoyées semblaient l'emmurer.  Aucune porte d'étage n'était visible, Elle se mit debout, se retint à un câble qui lui piqua les doigts, et tendit le cou.  Plus haut, beaucoup trop haut en fait, la porte du 19ème étage - les chiffres peints en vert étaient à peine visibles -, semblait défier les lois du vertige.

Elle se pencha, tenta de voir en bas, mais l'espace entre les poutrelles d'acier était insuffisant.  Derrière l'ascenseur, là où les conduites d'eau et tout un ensemble arachnéen de câbles montait sur le mur, elle put voir la cheminée qui plongeait vers le bas: 18 étages, un précipice, des zones d'ombres, ponctuées de rais de lumières provenant de dessous les portes d'accès.  A droite, cette fois, Kris, qui s'habituait à la demi obscurité qui l'entourait, put apercevoir les câbles de remorquage de ce qui devait être l'ascenseur B, juste à côté du tube en inoxydable d'aération, et sur la gauche, elle vit, entre les poutre d'acier et les guides de blocs de béton, l'ascenseur A, arrêté un peu plus haut.  Mais l'ascenseur A, comme le B, étaient inaccessible, même si Kris avait été championne mondiale du saut en longueur, jamais elle n'aurait pu atteindre le rebord de la cheminée, et puis sauter sur l'autre cabine.  Il n'y avait rien à faire, ce qu'elle avait prit pour une issue se résuma très vite par une lourde déception.  Soudain, des étoiles se mirent à danser devant ses yeux, les murets tournoyèrent, les câbles étaient comme formolés, Kris faillit s'évanouir, tomber, glisser entre l'ascenseur et les guides et s'écraser quatre-vingt mètres plus bas.  Mais elle se retint, inspira longuement, se concentra et, avant que son malaise l'en empêche, elle s'assit, introduisit les jambes dans la cabine et attendit que cela se passe.

Elle avait faim.  Très faim.  Hormis un peu de pain, elle n'avait rein avalé depuis plus de 36 heures, et son estomac venait de le rappeler à sa tête et elle avait failli perdre l'équilibre.

Lentement, elle respira, elle garda les yeux fermés, n'osant les rouvrir, craignant de s'évanouir, elle lâcha le câble de remorquage, mit les mains sur les bords de la trappe et, n'ayant pas d'autre choix, elle décida de retourner à l'intérieur de l'ascenseur.

Elle n'entendit pas les légers crissements dans la cheminée d'aération - comme si quelqu'un s'était amusé à rayer l'inox du conduit…

Chapitre V

10.1

Kris inspira une bonne fois, et elle souleva doucement les paupières.  Son malaise sembla être passé.  Elle se retourna, se laissa glisser, chercha du bout du pied le chariot, trouva le support, se laissa glisser un peu plus et posa l'autre pied sur le chariot.  Elle lâcha le rebord de la trappe, et puis, comme si la malchance n'en avait pas encore terminé avec elle, Kris vacilla.

Désespérément, ses bras tournoyèrent, Kris chercha quelque chose pour s'y raccrocher, songea une seconde à sauter par terre, mais son pied droit glissa du support chromé, et elle s'écrasa littéralement sur le chariot, boulant ensuite par terre, heurtant la moquette de la tête, la jambe droite coincée dans le dérouleur de papier essuie-tout.

Elle aurait voulu hurler, s'égosiller à s'en rompre les codes vocales, mais elle en fut incapable, ses cris restèrent muets, bloqués dans sa gorge étreinte par une douleur foudroyante qui lui mordit la cheville et le haut de la cuisse.

Lentement, elle parvint à reprendre sa respiration, elle gémissait et essayait de se dépêtrer du chariot, mais sa jambe était bel et bien coincée dans le dérouleur qui, pareil à des mâchoires voraces, la mordait insatiablement.  A l'aide de ses coudes, elle se retourna, ses yeux pleuraient, et un léger filet d'hémoglobine s'écoulait de sa bouche grimaçante, elle se pencha et constata que sa jambe, au niveau de la cheville, saignait abondamment.

La douleur était horrible, insupportable, c'était comme un feu qui gagne et monte inexorablement tout le long de son membre ankylosé et emprisonné dans une position inconfortable.

Elle prit alors son courage à deux mains et tira tant qu'elle put.  le Chariot faillit basculer sur elle, le seau d'eau, son unique réserve, manqua sortir de son support, quand enfin elle stoppa ses mouvements de balancier et finit par s'asseoir sur son séant, une jambe en l'air, coincée entre deux barres métalliques.

Elle s'étira doucement, attrapa le "mop", le retourna, s'en servi, comme d'une béquille, et, poussant très fort, elle se releva, tâchant de ne pas penser aux souffrances.  Elle s'accrocha au chariot et se tint debout sur une jambe.

La toile bleue de son pantalon avait été déchirée sur une trentaine de centimètres, laissant paraître des chairs mises à vif et une longue traînée de sang au beau milieu de laquelle une plaie béante s'ouvrait sur un morceau de cartilage oblong, pointu et dentelé.

Une fracture ouverte !  Kris passa les mains sous sa cuisse, souleva doucement, essaya de faire tourner son pied qui refusa tout d'abord de bouger, mais finalement, avec application, elle parvint à se dégager malgré tout.  Sautillant à reculons, elle se laissa tomber contre la paroi, glissa le long de celle-ci et se laissa choir sur la moquette.  C'était une horrible blessure !  Fort heureusement, la plaie qui semblait très profonde, ne saignait pas en proportion, mais la douleur n'en était pas moins insoutenable.  Kris pleurait et reniflait, de temps à autres, elle s'essuyait les yeux du revers de ses bras nus et se maudissait en parlant à voix haute. 

Son tibia, partiellement sectionné en deux, avait transpercé sa cheville et, pareil à un pieu, dépassait de sa jambe.  Quand elle voulut bouger encore une fois, la douleur s'intensifia davantage, et cette fois, pour de bon, Kris perdit connaissance.  Avec un bruit de succion son dos dérapa contre la paroi et sa tête vint se coincer dans l'angle de l'ascenseur.  Ses mains lâchèrent sa cuisse, ses doigts s'ouvrirent et, au lieu de se refermer, ses yeux virèrent en arrière, pour ne laisser plus rien paraître d'autre qu'un blanc vitreux.

La peau de ses bras se transforma en chair de poule et le duvet de poils blonds qui la parcourait se dressa au garde-à-vous.  La chaleur moite de l'ascenseur disparut au rythme que l'air frais de la cheminée y pénétra via la trappe de visite.

...

Ted fut surpris par la sonnerie du réveille-matin.  Finalement, il s'était rendormi et c'est avec étonnement qu'il constata qu'il était 8h00.  Dans la chambre voisine, les filles murmuraient en ricanant, et quand il ouvrit totalement les yeux, l'homme constata que son lit ressemblait plus à un champ de bataille qu'à un lit.  Ses oreillers avaient rejoint la couette par terre et les draps, fripés, avaient glissé tout le long du matelas. 

Il se frotta les yeux, s'ébouriffa les cheveux et s'étira pour totalement se réveiller et pour dégourdir ses membres endoloris par une mauvaise nuit, puis, comme tous les matins, il se mit à tousser.  Mary et Emily entendirent leur père et n'hésitèrent plus à venir le rejoindre dans son lit.

- Vous êtes déjà réveillées, les filles !?! dit Ted entre deux respirations saccadées de sifflements rauques.  La journée va pourtant être très longue, vous savez qu'aujourd'hui nous allons fêter la nouvelle année, demain nous passons à l'an 2000 !

- Dis, P'pa, on pourra téléphoner à Maman, plus tard ? questionna Mary qui s'était allongée de travers sur le lit, tandis que sa sœur essayait de récupérer un coussin.

- Téléphoner à Maman ? Ted réfléchit l'espace de quelques courtes secondes, c'était à chaque fois pareil, à peine séparées de leur mère, les filles éprouvaient le besoin de l'appeler, - mais oui, bien entendu, quand, maintenant ? dit-il un peu jaloux, mais ravisé

- Non, elle dort peut-être encore, mais dans une heure ou deux, si tu veux bien.

- Dormir ?!? non, votre mère se lève toujours tôt, elle est comme moi, elle n'aime pas flâner au lit.

- On peut vraiment téléphoner maintenant ? insista Mary.

- Oui, allons-y tout de suite !  Ted prit Emily sur son dos et poussa légèrement Mary pour qu'elle se décide à bouger.  Ensemble, ils descendirent au salon et Ted décrocha le combiné.

- Vas-y, compose le numéro, Mary !  La fillette s'appliqua à appuyer sur les touches que son père lui indiquait et puis Ted écouta.

Le téléphone sonna une première fois, déjà Emily réclama le combiné pour parler à sa mère, mais Ted la repoussa doucement en lui faisant signe de patienter quelques instants.

Une seconde sonnerie retentit, suivie d'une troisième et puis d'une quatrième.  Ted éloigna un peu l'écouteur de son oreille et interrogea Mary: - Maman sortait quelque part hier, tu sais quelque chose ?

Mary ne répondit rien, elle émit un bruit bizarre avec sa bouche tordue sur une expression qui voulait dire qu'elle n'en savait strictement rien.

- Maman a un copain, un ami chez qui elle va dormir ? poursuivit-il par curiosité.

- Maman fait ce qu'elle veut, vous n'êtes plus mariés, et en plus elle m'a dit de ne rien dire ! récita par cœur l'ainée.

- Je ne t'interroge pas, je veux juste savoir si cela vaut la peine qu'on perde son temps à l'appeler si elle n'est pas chez elle ! s'emporta le père en écoutant de nouveau le téléphone qui continuait de sonner en vain.

- Je ne sais pas, elle ne dit rien, et puis, elle fait ce qu'elle veut, toi, tu as bien Val, ou tu avais, puisqu'elle est partie ! enchaîna Mary sur un ton chantonnant et avec un certain mépris dans la voix.

- Elle n'est pas là, ou alors elle est sous la douche, on réessayera plus tard, d'accord !?!  Emily voulut absolument parler à sa mère, Ted eut beau lui expliquer que celle-ci était absente, la petite fille ne voulait rien comprendre et voulait entendre la voix de sa mère à tout prix.  Mary tenta bien de lui expliquer une fois encore que Maman n'était pas là, mais la cadette se mit à pleurnicher et à réclamer sa mère.

Ted brancha la télé, il poussa sur la cassette restée dans le magnétoscope et passa à la cuisine pour y faire couler le café.  Tandis qu'il allumait sa première cigarette en écoutant les gargouillis du percolateur, il réfléchit à Kris et se persuada que son ex-femme avait découché pour aller rejoindre son amant actuel.  Au salon, les enfants se taisaient à présent, ils regardaient le dessin animé que Ted leur avait programmé et puis l'homme se leva pour prendre les tasses, le pain et le beurre, en songeant que cette fois peut-être son ex avait tiré le bon numéro et qu'il allait enfin avoir la paix royale à laquelle il aspirait.

...

Kris frissonna et soudain elle se réveilla par la douleur infernale qui lui tiraillait la cheville.

L'hémorragie s'était quasi arrêtée, sous sa jambe, Kris vit une énorme flaque de sang qui avait tâché la moquette devenue poisseuse à cet endroit.  Alors, doucement, pour éviter d'avoir mal, mais aussi pour éviter que la plaie ne s'ouvre à nouveau, elle s'adossa à la paroi et examina les lieux pour tâcher de trouver un moyen de palier à la situation désastreuse dans laquelle elle se trouvait.

Quand Willson passa les tourniquets du hall d'entrée, la grande horloge murale indiquait: 09:38 - 01-01-2000.  Personne n'avait recommandé à Willson de venir ce jour-là à la Funco, mais la conscience professionnel du programmeur et cette idées folle de Nomore d'avancer d'un jour le 1er janvier 2000, l'avaient poussé à venir vérifier que tout était en ordre.

 

L'homme s'étonna de ne trouver personne à l'accueil, d'ordinaire les gardiens travaillaient, jour férié ou pas, mais il n'y prit pas plus attention et appela l'ascenseur B pour se rendre au centre électronique.  Quelques secondes suffirent et la double porte s'ouvrit.  Willson enfonça la touche marquée 11 et s'éleva jusqu'à cet étage.

Kris était brûlante et fiévreuse, mais cependant, elle grelottait de froid - la trappe restée ouverte avait fait s'évacuer l'atmosphère insupportable qui régnait dans l'ascenseur - et à la fois, elle avait très chaud tant elle souffrait le martyre à cause de sa blessure.  Elle avait soif aussi et, étrangement, elle avait faim, très faim.  Elle respirait bruyamment, elle se sentait vraiment mal et dans sa tête une troupe entière de tambours jouaient une cacophonie migraineuse, mais elle entendit, en revanche, clairement le choc des câbles de remorquage qui se tendaient et des poulies de l'ascenseur voisin qui se mettaient en marche.

Quelqu'un venait, elle était sauvée.  On avait fini par découvrir qu'elle était là-haut et on venait la secourir, pensa-t-elle optimiste.

Et puis, comme si le sort avait voulu lui prouver l'inverse, le bruit stoppa.  Elle écouta, retint sa respiration pour mieux percevoir le moindre mouvement, mais ne discerna rien d'autre que les battements sourds de son cœur dans la poitrine et de son mal de tête qui n'en finissait pas.

- Au secours, aidez-moi ! hurla-t-elle en tendant la tête en arrière pour mieux tenter diriger sa voix vers la trappe béante.  Sa cheville lui rappela de rester tranquille, une sourde douleur l'étreignit et l'obligea à serrer très fort sa cuisse pour ne pas faiblir davantage, mais la femme appela de nouveau.  - au secours, je suis là, je suis bloquée !  Essoufflée, elle écouta.

Rien ni personne ne sembla lui répondre.

à suivre (dès lundi, retrouvez Kris - espérons-le … -, dans ses mésaventures…)

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Commentaires :

pseudo : Mignardise 974

Je l'espère avec impatience ! =)