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Pompeusement parée. par Anne Mordred

Pompeusement parée.

II

..../...

Les premiers temps, Maître Batik qui exerçait, à la grande ville, le beau métier de pompiste, et ne venait à la maison que les jours de vacances, eut beaucoup à faire dans le jardin. Naturellement, après le passage de ces goujats!

Il replanta une glycine, apporta de chez son oncle des rosiers anciens qu’il dispersa sur l’emplacement du parterre désormais rénové, tailla les arbres, arracha les ignobles thuyas, qui bouchaient la perspective des allées et cachaient le coin où la pompe avait fini par être dissimulée comme une honte.

Au printemps, il s’occupa de recréer la pergola et d’y lancer une vigne.

Alors, seulement, il donna un petit coup de neuf aux volets de la maison. Par dessus l’épouvantable teinte violette que ses amis avaient cru à la mode, il remit une ou deux couches de peinture grise, s’accordant avec la couleur de la pierre.

Puis, il s’octroya quelques jours de repos bien mérités pour jouir de l’été. Un soir, à l’heure de l’apéritif, il s’assit devant la porte... Attaqué férocement par une légion de moustiques, il décida de s’occuper, dès le lendemain, de la citerne au- dessous de la pompe.

Il dégagea, non sans mal, le regard qui y donnait accès. Effectivement caché depuis des années sous une épaisseur de terre assez importante, celui-ci s’était fendillé, et ainsi détérioré, avait donné accès à toutes sortes de détritus qui s’accumulaient dans la cuve et formaient un terrain propice à la reproduction des bestioles qui l’importunaient le soir.

Il entreprit donc de curer la réserve d’eau et de faire confectionner une nouvelle dalle. Des travaux d’importance! Il lui fallait une pompe électrique, une bétonnière. Bref tout un arsenal dont il n’était pas friand. Il mit l’hiver entier à rejointoyer les parois de la cuve. Au début de l’été suivant, il put de nouveau admettre l’eau dans la citerne, et reposer la dalle du regard. Pourquoi diable, puisque cette pompe ne lui était d’aucune utilité? Ma foi, on ne sait jamais...

 

                                                                                  *

 

Sur ces entrefaites, un jour, on vit une jeune femme sonner au portail. Les voisins ricanèrent, surtout parce qu’elle n’était pas si jolie que leurs femmes à eux. Dans tout le quartier, on était bien d’accord, le beau pompiste s’y connaissait en arbres, mais pour le cul, il se contentait de peu, maintenant..!

Naturellement, sa nouvelle amie fit le tour du propriétaire avec lui. Elle aimait la nature et s’extasiait sur tout. Les arbres du jardin s’accordèrent à la trouver fort sympathique et déployèrent leur plus beau feuillage pour la séduire. La pompe, elle, se renfrognait dans son coin. Elle se méfiait des femmes désormais, et elle gardait de la rancune envers le maître des lieux qui, la croyant définitivement hors service, n’avait pas tenté de la remettre en route après avoir nettoyé la citerne.

D’ailleurs comme si elle lui rappelait de mauvais souvenirs, Maître Batik fit en sorte de ne pas emmener la jeune femme dans le coin où boudait la pompe. Ils revinrent près de la maison et prirent le café dehors, au soleil. Elle releva légèrement sa jupe sur ses jambes pour les faire bronzer. Elles étaient potelées mais jolies, et le regard de son hôte s’y attarda discrètement.

Elle partit en fin d’après-midi. Elle n’osa pas lui “faire la bise” en guise d’adieu. Elle était timide.

Durant l’été, elle ne revint qu’une ou deux fois. Pourtant ce n’était pas faute d’être invitée, il lui téléphonait chaque week-end ... Il avait toujours un prétexte. L’hiver on ne la vit pas. Mais, au printemps , elle s’enhardit et passa même tout un dimanche avec lui à désherber les allées. Le soir, ils firent un feu de paille et de feuilles mortes dans le jardin, et bavardèrent longtemps en activant la braise sous les branchages humides . Mais elle n’accepta pas de rester manger.

Ce ne fut que quelques semaines plus tard qu’elle revint, les bras chargés de plants de fleurs à repiquer. Apparemment , c’était une surprise pour Maître Batik et il se montra fort gai. Ils cherchèrent ensemble les places propices pour planter. Pour la première fois, il lui prit le bras et l’emmena faire le tour complet du jardin, y compris le recoin où se trouvait la pompe.

Sitôt qu’elle l’aperçut, Louisa s’exclama de joie. Toute excitée déjà à l’idée de pouvoir arroser ses plants à l’eau de pluie. Naturellement, il dut la détromper, et cela tempéra un peu l’enthousiasme de la jeune femme.

En tout cas, il ne faut plus planter de fleurs dans son bassin. Même si elle ne marche pas. Cela lui donne l’air triste d’une pompe inutile...”

Et elle décréta qu’il ne fallait pas se décourager sous prétexte que les anciens propriétaires n’étaient pas parvenus à la faire fonctionner. Elle voulait qu’on essaye à nouveau. Maître Batik ne tenait pas à se vanter du rôle qu’il avait eu à cette époque; il dut lui promettre de démonter le mécanisme et de tenter de le remettre en état.

Je viendrai Dimanche pour vous aider.

C’est tellement fastidieux de poncer tous ces rouages! A deux, nous irons plus vite. Et puis, je ne voudrais pas vous imposer un travail sans y apporter ma quote-part.

Nous la pomponnerons si bien que, vous verrez, nous parviendrons à la faire fonctionner.”

Ce programme eut l’air de séduire son compagnon, car il accepta. De ses réticences, s’il en avait encore, il se garda bien de parler.

Mais rien n’est plus difficile à déboulonner qu’une vieille pompe rouillée, et qui, de surcroît, met une mauvaise volonté évidente à se laisser dégripper. Ils y passèrent, non pas un dimanche, mais plusieurs. Dés la première semaine, barbouillée de cambouis et de rouille à la fin des opérations, la jeune femme accepta de rentrer prendre une douche avant de repartir. Le dimanche suivant, elle resta souper. Et cela devint une habitude.

Le jardin n’avait jamais été si luxuriant. Les fleurs se battaient à qui serait la plus belle et mériterait les compliments de Louisa. Les voisins commençaient à être jaloux: c’était peut-être un pot-à-tabac, la petite, mais elle avait la main verte!

Seule la pompe s’obstinait à faire grise mine. Mais Maître Batik, après tout, n’était pas pressé. Et si une fois l’entreprise réussie, son amie ne venait plus passer le dimanche avec lui! Patiemment, il l’avait déjà montée et démontée plusieurs fois, sans trop se soucier du peu de résultats.

A la Pentecôte, ils firent encore une tentative infructueuse. Cette fois, ils commençaient à se décourager. Ils s’assirent sur la margelle, tristement. Et ils bavardèrent longuement. A les voir ainsi, l’un près de l’autre, il y avait gros à parier qu’il lui faisait un brin de cour. Elle en avait les pommettes toutes roses de plaisir.

Tout à coup, elle poussa un cri! Dans le dos, elle venait de recevoir quelques gouttes glacées. A n’en point douter elles étaient tombées du col de la pompe, le bec était encore humide. Mais ils eurent beau s’acharner à pomper, ils n’en tirèrent pas plus ce soir là.

Car la pompe était maligne. Elle avait bien vu que, si elle s’obstinait plus longtemps dans sa mauvaise volonté, les deux compères l’abandonneraient. Mais, elle n’en était pas encore à se décider à fournir de l’eau pour arroser le jardin tout entier... Elle n’avait pas servi depuis si longtemps qu’elle se posait la question de savoir si un tel effort était vraiment rentable.

C’était compter sans la nostalgie... Les quelques gouttes qu’elle avait laissées admettre dans le mécanisme, lui avait rappelé bien des plaisirs et bien des joies. Elle se sentait toute fraîche et toute émoustillée. Puisqu’on avait curé sa citerne, elle ne prenait plus de risques, il n’y avait aucune raison de ne pas essayer... La nuit, en cachette de tout le monde, elle s’offrit le luxe de faire couler quelques litres d’eau, histoire de voir si c’était toujours aussi agréable qu’au siècle dernier.

Bon Dieu! Que c’était bon de se sentir revivre!

La pompe prit de bonnes résolutions et décida de se montrer plus coopérative. Il serait toujours temps de se tarir si elle regrettait ou si on abusait de ses services...

Mais, en voyant arriver la jeune fille, dès le Lundi, puisqu’il était férié cette semaine là, elle se renfrogna de nouveau, jugeant très suspect un tel acharnement. Pas une goutte. Toutefois, pour se réserver de devenir plus traitable, elle laissa suinter légèrement son bec.

Je vous assure, elle est humide”, affirma Louisa en enfilant ses doigts au fond de l’étroit goulot.

Nous y arriverons.

Il faudrait l’actionner tous les jours pour l’amorcer. Je passerai le soir, si vous le permettez. Je ferai marcher un peu le levier en votre absence.”

                                                                                                 *

 

Cette semaine là, il se mit brusquement à faire une chaleur épouvantable. La jeune femme venait au jardin, comme elle l’avait promis, et profitant de l’ombre accueillante des vieux arbres, s’attardait un peu, assise sur la margelle du bassin de la pompe. La pierre était fraîche. Il semblait même que, malgré la sécheresse qui régnait depuis quelques jours, une bienfaisante humidité s’en dégageait. Quelques papillons, d’ailleurs, venaient s’y poser. Les fleurs aux alentours dépérissaient moins que dans les parterres plus éloignés.

La pompe coulait, à n’en point douter, mais refusait obstinément de se mettre en marche quand on activait le bras.

Le samedi, Louisa arriva plus tôt que de coutume. Elle profita du soleil pour s’étendre quelques instants sur la pelouse. Ses vêtements lui parurent très vite superflus par une telle canicule, mais comme elle voulait échapper au regard des curieux, elle s’enfonça dans le fond du jardin pour les enlever. Sans être laide, elle ne ressemblait certes pas aux filles des magazines à la mode. Elle se mettait rarement nue, même chez elle, car elle n’aimait pas son corps. Mais aujourd’hui, il faisait si chaud! Elle ne risquait pas d’être surprise: le jardin était bien clos et son ami n’arriverait pas avant deux bonnes heures. Mais d’instinct, elle eut besoin de la présence rassurante de la pompe, et se rapprocha pour s’asseoir sur la pierre fraîche. C’est qu’elles se connaissaient bien à présent, toutes les deux. Elle posa sa main sur le col et y déposa un baiser furtif.

Quelle ne fut pas sa surprise, quelques gouttes dégoulinèrent du bec!

Elle se précipita, pleine d’espoir pour l’actionner. Pas de résultat. Pourtant, elle n’avait pas rêvé, une tache d’humidité subsistait sur la pierre. Elle se pencha pour vérifier et son sein heurta légèrement le col. Il coula de nouveau. Cette fois, il restait une petite flaque au fond du bassin.

Intriguée elle posa sa main, et comme la première fois, se remit à la caresser. Pas de doute, la pompe laissa échapper un peu d’eau. Alors Louisa, amusée par le manège, lissa le bec entre ses doigts, chatouillant doucement l’extrémité polie et ronde, avec ses ongles laqués de rose. Ses mains furent toutes humides.

Enhardie par le résultat de ces approches, elle décida de poursuivre le jeu. Un objet aux caprices si sensibles commençait à l’amuser. Elle déposa ses lèvres à l’ouverture du col. Sa bouche se remplit d’eau. Plusieurs fois elle répéta l’opération, de nouveau, la pompe ne put retenir l’eau qui gonflait ses rouages. Mais dès que la jeune femme s’écartait, le débit s’arrêtait, et il était toujours aussi inutile de tenter de pomper avec le bras.

Mine de rien, avec ces manoeuvres, le petit bassin commençait à se remplir. Louisa, avait toujours aussi chaud, et ses tentatives infructueuses à pomper l’avaient mise en nage, elle trempa ses mains dans la fontaine et s’aspergea d’eau, puis, toute parée de gouttelettes irisées au soleil, elle se rapprocha de la pompe et doucement appuya son corps contre l’acier, le frôlant tour à tour de ses fesses et de ses seins.

Visiblement, la pompe était émue. Elle gouttait sans parvenir à se contrôler complètement. Le petit bassin se remplissait. Le col ne tarissait presque plus,.

Fallait-il y boire pour l’émouvoir davantage et la décider enfin à couler avec abondance? Qu’à cela ne tienne! Elle rit. Elle savait à présent comment attendrir cette vieille ferraille stupide!

Alors, qui, de la rue, aurait eu l’indiscrétion de regarder à travers l’épaisse haie qui séparait le jardin du trottoir où jouaient les enfants, aurait vu cette jeune femme présenter sa croupe splendide dans la blancheur du soleil de midi, et, s’agenouillant sur la margelle, entourer de ses deux beaux bras, l’objet de ses désirs encore à demi-inerte. La poitrine pressée contre le fer, elle renversa la tête en arrière, et, arrondissant ses lèvres, commença délicatement à pomper la pompe.

Le jardin tout entier retint son souffle. Les oiseaux s’arrêtèrent de chanter. La brise tomba, et la chaleur devint torride.

Louisa, arc-boutée devant le mur, les genoux blessés par les aspérités de la pierre, aspirait l’embouchure de cuivre avec componction et une ardeur qui n’avait d’égal que l’obstination de la pompe à ne pas céder au plaisir de se déverser dans sa bouche. Malgré tout, quelques gouttes perlaient toujours et, de temps à autre, la jeune femme, glissant la langue jusque dans la paroi de l’embout, les avalait, et déglutissait lentement et béatement, en présentant à la pompe le spectacle de sa gorge qui frémissait au passage du liquide qui l’imprégnait toute.

Avant le dernier assaut, elle reprit haleine, puis dans un élan sublime, enfourna le col qui pénétra jusqu’au plus profond de son gosier. Dans son ardeur, elle manqua de s’étrangler. Le fer blessa son palais et glissa dans les cavités les plus difficiles à forcer ... Elle gémit! L’eau lui jaillit dans la bouche, dégoulina sur ses épaules rondes et le long de son dos, inondant le creux de ses cuisses.

Bienfaisante fraîcheur! Elle but longuement, les cheveux trempés, les yeux aveugles, avant de se relever, titubante de bonheur.

Et, quand elle actionna de nouveau le bras de la pompe, l’eau coula enfin, voluptueusement. Elle se jeta dessous, et s’y noya encore, ivre de son succès.

 

                                                                               *

 

Louisa attendit son ami, ce soir là, dans le jardin, elle ne fut pas peu fière de lui annoncer la réussite de leurs efforts.

Ils arrosèrent toutes les plantes , et même la pelouse, sans que la pompe rechignât à la tâche.

Ensuite, ils soupèrent, en grande pompe, au champagne, à la lumière des chandelles. Et vers le soir, il faut bien le dire, ils étaient un peu pompettes...

 

Après cette nuit-là, Louisa ne retourna plus dormir chez elle le week-end



                                                                                                            Février I993.

 

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Style : Nouvelle | Par Anne Mordred | Voir tous ses textes | Visite : 205

Coup de cœur : 7 / Technique : 6

Commentaires :

pseudo : Iloa

Magnifique histoire qui nous offre des frissons de plaisir. Un grand bravo. Merci.