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La Première (3ème partie) par w

La Première (3ème partie)

 

3) La consécration

 

       Et s’écoula le temps sous le pont d’une rivière au flux puissant, idée créatrice sur idée créatrice trouvée puis mise en réalisation. Marie Curie crut que le moment le plus important de cette année 1906 aurait été son passage devant une commission où elle aurait tenu sa thèse sur les substances radioactives, mais un instant plus intense se présenta à elle près de six mois plus tard. Le soleil pointait timidement le bout de son nez à travers les nuages aussi blancs que la neige en contrebas sur laquelle des centaines de personnes passaient afin de se rendre dans un grand édifice  au cœur-même de Stockholm. Nous étions le dix décembre 1903. Henri Becquerel, Pierre et Marie Curie montèrent sur la scène et reçurent, sous une trombe d’applaudissements, le Prix Nobel de Physique. Marie fut la première femme à obtenir un Prix Nobel. La première ! Tempête de joie. Il y avait en cet instant magique la turbulence enivrante du désir assouvi, celui d’être parvenue au sommet après un travail si long et harassant. Son sourire timide dissimula celui qui se lovait au fond de son cœur et qui arborait les silhouettes opalines de l’autosatisfaction intense. Et pour orner ce gâteau richement nappé de crème chantilly, une cerise s’y déposa dessus, celle de la Médaille Davy dont elle fut la première femme lauréate et qui récompensa ton travail méticuleux et zélé. Les prix ne cessèrent plus de sertir sa tête de couronnes plus dorées les unes que les autres, telle la Médaille Matteucci qu’on lui donna sous les hourrahs. Mais la plus grande récompense qu’elle reçut, le six octobre 1904, elle l’eut au forceps, dans la sueur et les cris, en donnant naissance à sa seconde fille, Eve, dont le premier son qui sortit de sa voix fut la plus belle note de musique jamais jouée dans l’univers. Pour autant, quelles qu’eussent été les médailles, qu’elles que fussent les mises au monde, elle continua sans cesse à travailler d’arrache-pied dans la pesanteur de ce minuscule laboratoire désuet où, jour après jour, les découvertes de son mari et d’elle-même faisaient avancer la science à grands pas. Il semblait que son passé de tristesse s’était à présent auréolé d’un halo de jouissance familiale et professionnelle. Et pourtant…

       Et pourtant, le dix-neuf avril 1906, dans la cohue d’une rue parisienne bondée de monde, une voiture à cheval déboula du coin de la rue et fonça droit sur un homme qui était en train de traverser la voie piétonne. C’était Pierre Curie. Un cri. Un hennissement. Choc violent. Il mourut atrocement sous le prisme de dizaines de regards qui l’observaient avec curiosité, voire avidité. Et dans la brume de la foule, son âme meurtrie quitta son corps puis s’éleva dans le silence intense d’un firmament étoilé. Lorsqu’on lui annonça cette terrible nouvelle, Marie demeura extérieurement de marbre ; au fond d’elle, cependant, bouillait la lave incandescente de la souffrance qui ressurgissait de son passé sous les visages décharnés de sa sœur et de sa mère. La vie n’était qu’un inlassable manège funeste qui, tour après tour, lui faisait subir périodiquement les affres de la perte des êtres chéris. Elle resta toute seule pour élever ses deux filles, Irène et Eve, elle mère et femme courage, dont la détermination inflexible prit rapidement le pas sur le désespoir. Elle reprit immédiatement ses recherches et, l’affliction la poussant paradoxalement, elle poursuivit l’atteinte de ses objectifs avec encore plus d’ardeur.

      Moins de deux mois plus tard, encore en période de deuil, elle remplaça son époux décédé à son poste de professeur à la Sorbonne, ce qui lui valut, encore une fois, d’être la première femme… à enseigner dans cette université. Nombre de critiques de la part de ses collègues mais aussi des bien-pensants plurent immédiatement devant sa nomination, elle ne répondit à cette déferlante véhémente que par un silence dédaigneux. Elle était devenue célèbre, trop célèbre. Plus une femme montait haut, plus les cobras masculins se sentaient capable de cracher de loin sur elle. La presse l’accusa d’entretenir des relations avec M. Langevin, collègue de la Sorbonne, étant marié et père de famille respecté, avec qui elle avait reconnu avoir des relations publiques. Les scribouillards aux becs sifflants l’accusèrent alors de ne pas écrire ses leçons mais qu’elles étaient l'œuvre de cet homme. Le journal « La Libre Parole » osa même affirmer que les jours de Madame Curie en tant que professeur à la Sorbonne étaient comptés. Nul mot de la bouche de Marie pour se justifier, justes des mains qui s’activaient et un cerveau qui bouillonnait. Et dans le vacarme des persiflages, têtue et sure d’elle-même, elle continua d’avancer sur la voie royale qu’elle s’était tracée.

       Et telles des équations mathématiques sans fin, elle persista à se battre, encore et encore, afin d’accomplir des tâches de plus en plus ardues et de parvenir à réaliser des découvertes qui auront bouleversé à tout jamais l’humanité. Les années passèrent. En 1909, sous les huées de ses collègues jaloux, tous des hommes, elle fut nommée professeur titulaire dans sa chaire de physique générale et de radioactivité. En 1911, elle participa en tant qu’invité de marque au premier congrès Solvay où étaient réunis de très nombreux physiciens de renommée internationale tels que Planck ou bien Einstein. Et elle fut, bien évidemment, la seule femme scientifique invitée à ce congrès…

       N’y avait-il jamais eu, aux confins de l’univers, de soleils éteints qui, soudain, s’étaient ravivés ? Peut-être que non. Pourtant, dans le chatoiement d’une immense salle bondée de monde, elle prouva le contraire en recevant son second Prix Nobel pour la découverte du radium et du polonium ainsi que pour l’étude de leur nature et leurs composés. Elle ne fut pas seulement la première femme à obtenir deux fois cette récompense, elle fut le premier être humain à l’obtenir. Bien avant un homme. Le crépitement intense des flashes masquait d’un voile doré les larmes qui, pudiquement, coulaient dans l’ombre de son fond de teint. Elle était heureuse, heureuse qu’on  lui offrît un prix, heureuse que son travail si prenant et plaisant pût se voir mis en lumière, heureuse de faire de sa vie un cheminement de réussite de ses objectifs. Heureuse.

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