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Âme Culpa par w

Âme Culpa

 

Âme Culpa

  

       Le chapiteau ténébreux de mes sempiternels soupirs était jonché d’innombrables étoiles aux éclats d’espoir. Sur le marbre de ces astres scintillants était gravé le sceau chatoyant de mon amour sous la forme d’une lune éternelle dont la peau transpirait les ocres et les garances. En contrebas, comme le reflet tronqué de mon âme fragile, se répandait en une flaque livide le marais de mes souffrances. Son sol était recouvert d’une couche d’eau stagnante sur laquelle se développaient en une cacophonie verdâtre les herbes les plus folles : des roseaux aux lignes anguleuses dont le soupir se faisait haleine putride, des massettes squelettiques dont les larges feuilles formaient un linceul sur le corps bleuté, des joncs nains dont les bras rachitiques se s’élevaient vers le firmament tel des tours de Babel sur le point de s’écrouler, des carex aux tiges pyramidales dont les épis des fleurs ressemblaient à des barbelés aux pointes empoisonnées, et tant d’autres plantes ligneuses basses dont les racines acérées s’accrochaient au sol à l’instar des serres d’un charognard sur une carcasse en putréfaction. Dans les entrailles liquoreuses de ce paysage torturé qui reposait ici depuis la nuit des temps, des espèces halophiles millénaires, desquelles émanait une pestilence aux fragrances d’imposture, grouillaient dans l’eau saumâtre. Marais salant, marais Satan, marais sanglant.

       Et moi, j’étais là. Là, aux tréfonds de ce cœur figé végétal. Je masturbais mes peines en contemplant l’image embrumée de mon visage sur le miroir de la lune. Elle me fixait de ses yeux aux prunelles humides, comme si mes affres effleuraient la soie fine de ses émois. Et moi, je me vautrais narcissiquement dans la fange et la boue de mes tourments desquels s’éjectaient sans cesse des rayons blafards qui bombardaient la cité sélénite. Mes diables instables l’accablaient, mes démons déments lui mentaient. Et moi, encore et toujours plongé dans l’océan sans fond de mon moi s’auto-flagellant, je vis soudain les eaux nauséabondes tressaillir, bouillir, jaillir du marais, ennoblir les cieux d’une couronne liquide, puis atterrir sur le parterre velouté de la lune. Le silence se fit. Lentement. Longtemps. Naquit alors sur l’œil astral une larme aux dimensions infinies qui finit par s’écouler le long de la paroi sensible de l’espace et du temps. Elle se déposa délicatement sur mon visage, tel un rideau de sentiments qui aurait dissimulé la chambre pudique de ton empathie pour moi. Ce fut là que je compris. Tu ressentais et je t’inondais, tu comprenais et je t’aveuglais, tu m’aimais et je me haïssais… sur toi. Oui, je saisis que tu étais plaie, que j’étais sel. Mon cœur s’embauma. Mon aura se fit sombre, mon ombre prit la fuite, mon âme se reconnut coupable. Âme culpa. Je pris la décision de grimper sur l’estrade du pardon et, devant la foule hostile des étoiles hilares, de prononcer le discours de la rassurance.

« Puisque de nos aubes ne demeure plus que le crépuscule, sache que tu ne fus jamais éclipse pour moi mais toujours soleil.

« Puisque de mes tais-toi tueurs ne subsistent plus à présent que le silence de toi, sache que ta voix tenta tout ce qu’elle put pour harmoniser la partition schizophrène de ma psyché.

« Puisque de nos amours ne persiste que la poussière de ma haine, sache que la pluie fine de tes sourires a toujours essayer de balayer le sol de mes affres.

« Puisque de mes mots s’éjaculèrent l’inquisition, le jugement et l’agression, sache que tu ne fus responsable que d’une seule faute : celle d’avoir eu la tendre naïveté d’embrasser la folie faite homme dans le seul but d’aimer.

« Puisque de la cage que je me fus fabriqué ne s’échappa que les cris lugubres de la peur et de l’affliction mentale, sache que ton ombre protectrice resta toujours pour moi plumes d’ailes flottant dans l’espace infini de la rédemption.

« Puisque de mon antre profonde ne naquirent que les flammes de l’enfer dont les doigts crochus me décharnèrent le corps et l’âme, sache que tes larmes muettes noyèrent mes souffrances incandescentes autant qu’elles le purent.

« Puisque je suis coupable de tout, tranquillise-toi à tout jamais en acceptant  que tu n’es coupable de rien. N’aie point de remords infondés, juste peut-être un regret humide.  …que tu n’es coupable de rien. Il n’y eut de fautes faites que dans la fatalité de mes défaites, les défaites que je subis contre moi-même. Là, je perdis la guerre ; tu perdis l’amour ; la mort de nos émois se mura sous la stèle de la nostalgie de nos cœurs enlacés.  …que tu n’es coupable de rien. »

      Le silence. Et après. Nuls applaudissements d’une foule emmouchoirisée, rien que les rires moqueurs des astres ; aucune éclaircie dans ma nuit, juste le suaire en lambeaux du ciel. Et je vis la lune pâlir, blêmir, devenir livide, avant qu’elle ne finisse par s’éteindre, par s’étreindre dans l’obscurité, par se teindre des couleurs mortes du néant. Malgré la nébulosité qui régna alors dans mon univers, je perçus brusquement comme un indicible éclat dans l’infini : c’était mon cœur ému qui, de par l’incandescence de ses sens, éclairait mon existence d’une lumière nouvelle, celle d’avoir pu te dire que ton innocence s’érigeait en stèle sur la tombe de mon absence. Une voie pavée de dalles fines et lisses à la blancheur opaline, entre les rainures desquelles se lovaient des thlaspis aux pétales épanouies, naquit soudain sous mes yeux dont la brillance me permit de voir par-delà l’horizon. D’un pas d’abord hésitant puis finalement ferme, je me mis à marcher sur cette voie dont les bas-côtés se tapissaient de saules resplendissants à l’écorce d’ivoire et au feuillage de jade. Au bout d’un temps d’éternité, j’aboutis à un lac au nappage reluisant duquel émanaient les fragrances subtiles de la sérénité. Après un dernier regard lancé sur le paysage à présent fleurissant qui m’entourait, je mis un pied dans l’eau, puis l’autre. Je me mis à avancer lentement dans l’aquarelle délicate de la plénitude. Mes jambes, mon tronc, mes bras, de mon corps presque immergé n’apparaissait plus que la tête. Je basculai vers l’arrière et, ainsi allongé sur la couche frémissante des eaux, je fis de moi radeau d’espoir réalisé, radeau de vie retrouvée. Ma tête s’enfonça progressivement dans le plumage bleuté, au point que ne s’y trouva bientôt plus à la surface que mon visage. Au moment où celui-ci allait se fondre dans les profondeurs du lac, la lune rouvrit sa paupière d’électrum et son œil à présent ravivé d’un chatoiement rare put voir la dernière trace de moi : celle d’un sourire de contentement. Mon visage se recouvrit du voile liquide et ne subsista plus de moi que le reflet de l’œil sélénite sur le miroir aqueux de l’adieu.

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Coup de cœur : 13 / Technique : 13

Commentaires :

pseudo : dees_d_amoure

le miroir aqueux de l'adieu....c'est triste mais comment c'est écrit et décrit le rond beau à ronde le lecteur joyeux ......très beaux ce texte !!!! cdc merci

pseudo : lutece

"...exilé sur le sol aux milieu des huées, ses ailes de géant l'empêche de marcher..."(l'Albatros- Baudelaire) voilà ce qui m'est venu à l'esprit en te lisant! CDC

pseudo : Iloa

Ha ! Un texte dans la lignée de ce que j'aime lire de toi. J'adore tes phrases à rallonge. Elles font sourire mes yeux tant elles sont belles. Tu as le don de nous plonger dans les profondeurs de l'être. Un texte qui me fera méditer certainement sur la question de pardon de soi... CDC !

pseudo : w

Oui, dees_d_amour, l'adieu est si dur mais pourtant nécessaire parfois ; et je suis bien heureux d'avoir de tes nouvelles car tu t'étais bsentée depuis si longtemps. lutece, ta citation de Baudelaire va à mon texte et à mon coeur comme un gant, mais le géant va bientôt s'envoler pour rejoindre ange-frère. Merci Iloa, c'est un texte un brin proustien dans la structure et très très auto-émotionnel dans le fond ; et, par delà les ténbères de mes entiments déchus, il réside un astre d'amour qui scintille pour toujours. Je vous embrasse tous les trois.

pseudo : damona morrigan

Encore un texte de toute beauté, comme j'aime sa profondeur, merci beaucoup. Enorme CDC