La belle d’âme (1ère partie)
1) La quête incertaine
Nulle étoile sur laquelle auraient scintillé mes émois disparus, nulle lune sur laquelle se seraient reflétés les battements vains de mon cœur, juste une nuit d’encre de Chine qui voilait mes yeux d’un bandeau de souffrances. Sous une chape de nuages lourds et noirs que je distinguais à peine du ciel, les flots furieux d’un océan sans fond se déchainaient au cœur de cette tempête endiablée à la pluie drue. Perdition. Isolé au beau milieu de ce no man’s land asphyxiant, j’étais étendu sordidement de tout mon long sur le sol trempé d’un radeau de fortune dont les rondins de bois étaient vermoulus et la voile de toile déchirée de toute part. J’avais cru voir un espoir dans le départ, mais de ma fortune ne demeuraient plus que les illusions perdues. Et le vent me lacérait le corps tel un fouet à la lanière de cuir sur la peau d’un animal martyrisé. Je crus déceler une once de bien-être en trempant mes doigts brûlants dans l’eau glaciale mais, soudain, un requin aux lignes anguleuses, aux yeux éteints et à la mâchoire gigantesque se rua sur moi dans la folie du festin offert. Je retirai ma main prestement et la plaçai sur le côté gauche de ma poitrine où une plaie béante déchargeait son flot de sang, un sang rouge lie-de-vin. J’avais le mal de mer, j’avais le mal de feue ma mère, j’avais mal en moi, j’avais mal de moi ; j’avais les mains transies de froids, les mots muets au fond de la gorge et les émois morts en moi à tout jamais. Je me sentais si seul dans les ténèbres de mon affliction débordante, avec pour seule compagne l’errance de mes sens égarés dans le firmament d’un amour à jamais anéanti. De mes envies de grandeur, il ne restait que de petits besoins ; de mes lueurs de bonheur, il ne subsistait que les peurs et les pleurs ; de mes rêves, rien, sinon des cauchemars qui hululaient atrocement dans les tréfonds de mon inexistence. Alors que je me plongeais dans la torpeur du néant, j’entrevis soudain, par-delà l’horizon, une faible lueur chimérique qui semblait me héler de sa voix cristalline. Je me relevai un tant soit peu et forçai mon regard à traverser le dense brouillard nocturne. Là-bas, plus loin que le lointain, j’entraperçus une silhouette sombre et énigmatique, celle d’une terre juchée sur cet océan déchiqueté. Dans un dernier sursaut d’espoir, je saisis le manche d’une de mes deux courtes rames et plongeai la pale dans l’enfer liquide que je surplombais. Et je godillai, godillai encore, avec la dernière énergie, de telle sorte que je pus rattraper ce que je croyais n’être qu’un mirage pervers qui se serait moqué de mes yeux à moitié aveuglés. A bout de forces, les poumons sur le point d’exploser, je parvins à atteindre les abords d’une plage désertique où ma frêle embarcation s’échoua. Je me relevai avec peine, pris mes deux petites rames à l’embout arrondi et sautai. L’eau me bordant le haut de chevilles, je me mis à courir avec difficulté vers l’orée de la terre.
Apeuré par l’univers lugubre qui m’entourait, je me mis à courir pieds nus sur des galets et, malgré les glissades, je continuai à avancer à toute allure, tentant vainement de fuir l’inévitable. Chaque arête aigüe me tranchait la plante des pieds et du sang s’en extrayait en fins filet. Au bout d’une à deux minutes de courses folle, je parvins sur une surface lisse et tendre que je compris être du sable. Fin. Si fin. Alors que le bombardement de la pluie diminuait d’intensité, je m’écroulai par terre puis me retournai ventre à l’air afin d’observer les cieux. Mes pensées étaient floues, je rôdais dans le dédale de mon inconscient en touriste égaré. Ce fut là, à ma grande surprise, que j’aperçus une étoile percer la brume opaque du firmament en accroissant lentement son scintillement. Ce fut une lueur d’un orange pâle qui, peu à peu, se métamorphosa en vive lumière rousse qui inonda mes yeux par ses vagues de bien-être. Alors que je demeurais hypnotisé par l’éclat de cet astre étrange, mes mains caressaient le sable doux à la recherche d’un je ne sais quoi, un indicible élément qui eût pu rasséréner mon âme anéantie. Tout à coup, ma main droite rencontra un objet à demi-enfoui que je déterrai rapidement avant de l’élever à mes yeux. C’était un coquillage aux formes originales qui rappelaient celle d’un hippocampe figé dans le silence du temps. Je l’approchai de ma tête et en mis l’orifice à l’oreille afin d’en écouter le chant mélodieux. La mélopée d’une mer aux vagues tranquilles résonna en moi à l’instar d’une brise légère sur une peau échaudée. Les minutes passèrent dans la contemplation de cette étoile fauve et l’admiration envers cette musique suave. Au bout d’un certain temps, je me rendis compte que l’eau me recouvrait de plus en plus : la marée, dans sa lente pérégrination poétique, montait de plus en plus. Courroucé de devoir abandonné cet éden de fixité apaisante, je me relevai d’un bond, saisis mes courtes rames et me dirigeai plus à l’ouest (l’emplacement des étoiles dans le ciel m’était carte d’orientation), en direction d’un amas de rochers surplombant la plage et me voilant le paysage lointain. L’étoile rousse semblait me tracer la voie de ses doigts de safran. Pourquoi allai-je par là plutôt que de longer la plage ? Je l’ignore. Peut-être avais-je ressenti en moi comme le présage ineffable d’un futur prometteur. Et je grimpai tant bien que mal la roche humidifiée et coupante, m’écorchant les mains et les pieds à nouveau, en conservant en moi cet espoir, celui que par-delà la barrière de mes maux pouvait subsister encore une infime flammèche d’espoir et de vie.
Arrivé au sommet, je vis naître l’aube nouvelle dans l’amplitude du cosmos. La clarté m’aidant, je remarquai une plaine gigantesque s’allonger jusqu’aux tréfonds de l’horizon. Portant en guise de tout bagage une maigre illusion, je descendis la pente à vive allure et me ruai sur un petit chemin légèrement rocailleux que je venais d’apercevoir. Je ralentis et, l’écume à la bouche, le souffle court, le cœur battant la chamade, je me mis à regarder d’immenses champs de blés qui s’étalaient à perte de vue sur la surface plane de ce pays inconnu. Leurs épis penchés vers le sol se teintaient d’un brun maladif. A ma gauche, longeant le chemin qui serpentait légèrement sur tout ce parcours, une petite rivière aux eaux calmes titillait de ses tintements tendres mes tympans ; à ma droite, sur tout mon parcours, s’étiraient en une gestuelle large un long bras de sole pleureurs dont l’écorce était couverte de champignons parasites et dont les feuilles s’étaient fardées de la pâleur jaunâtre d’un matin d’hiver. De la pluie drue ne restait qu’un crachin quasiment indécelable qui me laissait totalement indifférent. J’avais plongé dans le lac sans fond de mes pensées et, en totale apnée dans mes réminiscences, je me retenais de respirer les fragrances suaves qui tourbillonnaient autour de moi, préférant me cloîtrer dans mes maux infâmes. Ma vie n’était que vertige face à l’abîme, nausées des affres intérieures, poussière du temps passant sur le carrelage fêlé de mes soupirs. Le futur serait-il torture ? L’avenir serait-il sourire ? De mon présent je ne voyais que le néant. De mon passé ne surgissaient que les trépassés. Mon existence se conjuguait à l’imparfait absolu. Et des larmes étonnamment chaudes coulèrent sur mes joues blêmes. Et mon cœur vibra timidement dans l’enceinte close de mon être. Alors que je me livrais à ma quête intérieure, je continuais de suivre l’éclat de l’étoile rousse en marchant encore et encore, m’approchant de plus en plus des limites évanescentes d’une brume épaisse qui, soudain, se dissipa comme par magie et me révéla la façade abrupte d’une montagne gigantesque qui semblait s’élever jusqu’au paradis même. Je m’y rendis. Je m’en approchai. J’y fus.
La montagne à la pente marquée était couverte d’une peau d’écorché, pierre érodée, et rôdait autour d’elle des aigles menaçants au bec pointu, aux ailes taillées dans le silex, au regard perçant, aux griffes acérées. Sans la moindre hésitation, comme mû par une vérité latente dissimulée derrière cette paroi de roche, je commençai à gravir la montagne tout en suivant les conseils de mon amie, la douce étoile rousse, qui me murmurait à l’oreille des conseils chamarrés. L’ascension se révéla fort pénible, mais l’envie d’avancer me dominait, ce qui me procura les ressources nécessaires pour continuer mon périple en cette terre onirique. En moi mes émois se multipliaient en masse m’amenant à me mouvoir dans le monde du magnifique. L’envie était en train de renaître : l’envie de retrouver la joie, la joie de se réaliser soi-même, même de se plonger dans la plénitude de l’amour, l’amour donné, l’amour reçu, l’amour partagé, l’amour de toute chose et tout être dans l’absolu d’un univers infini. J’atteignis péniblement la cime enneigée de laquelle j’eus une vue imprenable par delà l’infini. Mon regard fut cependant uniquement attiré par une prairie en contrebas au centre de laquelle se trouvait un mystérieux bâtiment haut de taille et large de ceinture qui semblait trôner sur la verdoyance environnante. Je dévalai rapidement la pente blanche en glissant sur les rames que je m’étais fixé aux pieds avec deux minces cordelettes que j’avais trouvées au fond de l’une des poches de mon pantalon élimé. En un souffle, essoufflé, m’insufflant l’énergie du courage, j’aboutis aux pieds de la montagne en une chute moins dramatique que comique. Quoique se fussent mes fesses qui effacèrent facilement le souvenir de mon éboulement, je demeurai quelques instants prostrés devant le merveilleux qui dépliait son éventail de couleurs sous mes yeux. De partout la luxuriance de la vie baignait dans l’océan de la nature. C’était un spectacle seulement possible dans un songe, et encore, un songe rare, voire impossible. Je me relevai, abandonnai mes deux rames et, sous la brillance d’une aurore naissante, je franchis d’un pas alerte l’orée de mes désirs.
Mes pieds foulèrent un sol inhabituel, de la terre battue couvrant l’intégralité de ce large chemin qui, en une ligne droite parfaite, se dirigeait directement vers l’édifice que j’avais remarqué quelques minutes plus tôt. Tout du long, deux rangées de chênes au tronc d’un brun robuste et au feuillage d’un vert vivifiant formaient une haie d’honneur à mon passage. Sous les indistinctes fragrances lumineuses d’un soleil à son zénith, je continuais ma quête d’un avenir meilleur tout en admirant la beauté mirifique du paysage qui m’entourait en un nappage de sérénité. La verdoyance émeraudée de la prairie se fondait dans l’éternité. Ci et là, en un tintamarre charmant de bêlements, des moutons au déguisement cotonneux me saluaient en hochant leur tête tout en continuant à se balader sur la surface sauvage de leur garde-manger. Ils flottaient sur ce ciel vert, à la nuance menthe à l’eau, en toute liberté vue que nulle clôture ne leur barrait la route et qu’aucun berger ne levait sa crosse menaçante pour les forcer à rebrousser chemin. Tout n’était qu’essence de plaisance, ravissement intense des sens. Après avoir franchi un petit pont de marbre rose aux veines d’ivoire sous lequel s’écoulait avec grâce une rivière à la savoureuse teinte turquoise, je parvins à atteindre mon objectif : le fameux bâtiment. A ma grande surprise, je compris alors que, surgi d’un passé que je croyais mort et enterré, trônait devant moi un magnifique château moyenâgeux dans un état de conservation quasiment parfait. Je me sentais dans un état bizarre, comme si j’avais conscience que mon âme lévitait au-dessus de mon être dans la nuée d’une farandole de sentiments déments. Sous un soleil orangé aux rayons puissants et revigorants, je m’approchai des douves aux eaux de jade et fixai le pont-levis, de l’autre côté, qui était relevé. Ce fut à ce moment que le rythme des battements de mon cœur s’accéléra à tel point qu’il finit par jouer à la chamade. Je fermai les yeux. Comme si je me trouvais dans un rêve, je sentis mon cœur s’extraire de ma poitrine, le devinai virevolter dans les airs, avant de venir se cogner contre les larges et épaisses planches en bois du pont-levis. Il toqua huit fois : toc-toc-toc-toooc, toc-toc-toc-tooooc. Je rouvris les yeux et le pont-levis s’abaissa brusquement après qu’un vacarme de chaînes en mouvement se fût fait entendre dans les tréfonds de la forteresse de pierres. La grille métallique de séparation remonta comme par magie et, l’entrée à présent dégagée, Je pus pénétrer à mon aise dans l’enceinte même du château.
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Commentaires :
pseudo : damona morrigan
Philippe, tu es le meilleur ! Bisous la reine. CDC
pseudo : w
Merci ma fan préférée. Tu es si gentille avec moi. Je t'envoie une nuée démente de baisers ardents.
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