Le droit des femmes #1
Hatchepsout
Derrière le brouillard du rejet se dissimule sournoisement la peur de l’autre, cette force invisible qui pousse l’un à dégrader l’autre, à faire de lui un sous-être. Quel que soit le lieu, quel que soit le temps, il est quelque chose d’éternel et de commun à l’être humain que de hiérarchiser l’être humain. L’âge, la couleur de peau, la religion et, bien évidemment le sexe. Ainsi il en fut, il en est et il en sera des femmes qui, à travers le puzzle des nations et à travers les méandres des ans, se dévoilent comme les pions dociles et manipulables d’un échiquier de ségrégation. Même si je suis sincèrement et profondément touché par la cause de ces femmes qui souffrent de leur naissance jusqu’à leur mort, je ne souhaite pas traiter de ce problème de manière générale car cela serait incompatible à la tolérance due à chaque individu. Par conséquent, loin de moi l’idée de vouloir stigmatiser une ère ou une civilisation, mais j’espère plutôt, par le biais d’un exemple précis comme celui qui va suivre, exposer aux yeux de tous le cas d’un être humain, d’un être-femme qui aura dû, qui aura su lutter toute sa vie durant afin d’atteindre le sommet d’une montagne et de planter son drapeau au même niveau que celui qu’aurait pu planter un homme.
Remontons un instant le temps et laissons-nous emporter par le vent inversé de l’évolution. Laissons derrière nous l’Âge moderne, la Révolution industrielle, la Renaissance, le Moyen-âge afin d’aboutir enfin à l’Antiquité. Là, à l’horizon méridional et oriental de nos yeux, naissent des dunes légères et voluptueuses qui cachent jalousement les plus beaux palais, les plus beaux temples, les plus beaux monuments à jamais crées. Nous voici en Egypte, il a de cela près de 3500 années. Terre de tant d’événements, d’évolutions et de bouleversements.
Et ce fut à cette époque que tu naquis, toi, Hatchepsout, fille de Pharaon, dans les dorures d’un écrin de noblesse. Mais ne nous y trompons pas, derrière le voile aux fibres luxueuses, tu n’étais qu’une femelle perdue dans un univers d’hommes. Certes, en ces temps reculés, tes congénères adultes jouissaient de droits jusqu’alors inégalés dans les autres nations antiques : le droit au divorce unilatéral, le droit de gérer ses biens, le droit d’être une citoyenne parmi d’autres citoyens égyptiens. Mais ne nous leurrons pas, les discriminations existaient encore et une femme, quelles que fussent ses qualités, ne pouvait point accéder aux plus hautes fonctions de l’état. Et tu passas ton enfance à étudier les arcanes du pouvoir au lieu de jouer aux jeux traditionnels des fillettes, tu vécus à l’ombre de ton père - Thoutmôsis Ier – où tu côtoyas les plus grands dignitaires nationaux et étrangers, tu vécus telle une éponge intelligente qui phagocytait le moindre fait politique aussi infime fût il.
Les années studieuses passèrent et vint l’adolescence, phase cruciale qui commença à transformer la fillette que tu étais en une femme que tu devins rapidement. Mais la femme infante n’était que source de plaisir pour le futur mari et engendreuse d’héritiers pour le trône. Destiné martelée dans la veine sanglante du marbre de la tradition. Bientôt on te maria à ton frère afin de perpétuer le sang divin de même que d’assurer la pérennité de la succession au trône. Dans ton malheur, tu eus de la chance : tu épousas un être faible et sans volonté qui te laissa agir à ta guise. Tu en profitas alors pour tisser ton réseau de connaissances au sein même du pouvoir et faire de toi l’un des personnages les plus en vue de ton pays.
Quelques courtes années plus tard, advint le décès de ton père. Le roi est mort, vive le roi ! Ton frère et mari devint le nouveau Pharaon des Deux-Terres et tu obtins le statut de Grande Epouse Royale. Loin de ne t’acquitter que de tes tâches subalternes liées à ton poste royal, tu commenças immédiatement à te soucier du sort de l’Etat et à te mêler d’affaires politiques qui, jusqu’alors, ne regardaient que les hommes. Soit, c’était bien ton époux qui apparaissait sur tous les monuments commémorant un fait politique marquant ; mais, derrière le monarque soi-disant unique et omniscient, régnait déjà une femme qui allait bouleverser l’Histoire. Durant tout ce temps, tu accomplis de nombreuses tâches importantes à l’exception de celle que t’imposait ton sexe : tu n’eus pas d’héritier mâle, mais seulement - si j’ose dire ! – deux filles. Hélas ! ton mari, à la santé fragile et précaire, mourut subitement, ne laissant qu’un très jeune fils, enfant d’une épouse secondaire, comme futur Pharaon. Tout ce que tu avais bâti allait-il s’effondrer ?
Non ! Par ta séduction, ta volonté et tes stratagèmes politiques, tu convainquis les plus hauts dignitaires du pays que cet enfant, Thoutmôsis III, était trop jeune pour régner. Il monta sur le trône, mais ce fut toi qui devint régente de l’Egypte et qui obtenu tous les rênes du pouvoir. Tu compris cependant rapidement que ton statut de femme allait barrer la route à tes ambitions. Maline, afin de légitimer ta régence, tu fis croire à tous que ce fut le dieu Amon qui t’avait conçue ; tu fis tout pour apparaître au peuple et à l’establishment sous une autre apparence, une apparence d’homme, au point de t’affubler du pagne court, du némès et de la barbe postiche, trois attributs jusqu’alors portés seulement par les Pharaons. Or loin de la forme, ce fut le fond qui s’avéra le plus intéressant : ta gestion du pouvoir se révéla ferme mais tolérante, ordonnée mais ouverte à tous les esprits vifs, rationnelle mais pas sans la présence d’émotions (tu fis de ton amant, Sénènmout, l’un des hommes les plus influents du pays). A mille lieues de tes prédécesseurs, tu préféras recourir à la diplomatie plutôt qu’aux armes, une œuvre pacifiste qui demeurera gravées dans les annales de l’Histoire ; à l’instar des plus grands souverains des Deux-Terres, tu fis bâtir des monuments sublimes sur tout le long du Nil, dont ton exceptionnel et éternel Château des millions d’années qui est encore aujourd’hui l’un des plus grands temples antiques de l’Egypte ; puisque tu délaissas la force, tu préféras user du commerce avec toutes les nations avoisinantes au point d’organiser une expédition mercantile au lointain Pays de Pount d’où tu fis ramener les artefacts, les plantes et les objets animaliers les plus rares qui fussent. Ton règne fut grandiose et se prolongea même après que Touthmôsis III ait atteint l’âge adulte, âge normalement où il aurait dû te prendre le pouvoir. Tu gardas la barre du navire et le conserva durant 22 ans. Après, aucun archéologue ne sait ce qu’il s’est passé, si ce n’est que ton jeune rival prit ta place. Fut-ce pour toi une mort naturelle ou bien fut-ce un assassinat politique ? La question demeure posée.
Mais à ta mort, le bruit des cris et des pleurs de regrets ne pesa pas bien lourd sous le vacarme assourdissant des marteaux qui martelèrent tous les monuments figurant ton corps de souveraine, portant tes titulatures, soulignant tes actes politiques majeurs ; tout de toi fut rayé, effacé, jeté dans l’abîme abyssal de l’oubli, sous la véhémence de Touthmôsis III qui avait décidé que tu n’avais jamais existé. Et les hommes reprirent le pouvoir pour des siècles… Les traces de tes pas furent recouvertes par le sable du temps passant et tout devait être fait pour qu’il n’y ait jamais eu d’Hatchepsout.
L’Egypte connut des hauts et des bas avant de s’effondrer bientôt sous le coup des invasions étrangères. Ses personnages historiques, son écriture, Ses monuments et toutes ses richesses furent oubliés durant des siècles, avant qu’on ne finisse par les redécouvrir au début du 19ème siècle. Centimètre carré de sable après centimètre carré de sable déblayé, les archéologues redécouvrirent les trésors perdus des Pharaons et, finalement, remirent à jour ton règne qui est aujourd’hui reconnu par tous comme majeur pour l’Antiquité. Et me voilà aujourd’hui, en train d’écrire ces quelques mots pour te rendre hommage et montrer à tous quel fut le cheminement d’une femme exceptionnelle pour accéder enfin au plus haut statut qui soit : celui d’une reine inoubliable
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Style : Réflexion | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 207
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Commentaires :
pseudo : féfée
Encore une histoire passionnante ! CDC
pseudo : w
Merci bien féfée. Ma passion de l'égytptologie transpire encore une fois de ses gouttelettes passionnelles ! :-D
pseudo : Iloa
Oh, merci W. Que j'ai aimé cette lecture ! Un voyage dans l'histoire enchanté par ta plume...Immense CDC !
pseudo : damona morrigan
Merci mon petit Philippe, excellent récit et bien que je connaissais son histoire j'ai lu ton texte avec grand plaisir ! Enorme CDC for you !
pseudo : w
Merci Iloa et damona. C'est une histoire dans l'Histoire, la vie d'une personne qui a marqué les temps et dont la condition féminine n'a pas été facile à gérer. Une des premières grandes femmes qui a marqué l'Humanité (15èm siècle av. J.C) On ne sait pas bien si elle morte de manière naturelle ou bien suite à un assassinat politique. Mais quelle vie ! c'est passionnant.
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