Prologue
5h45
Garret terminait toujours sa ronde, avec un quart d'heure de retard, par l'inspection des sous-sols. C'était ainsi, plus une manie qu'une volonté d'accomplir correctement son travail. Et cette fois-là – la der de der avant le très long weekend – il ne dérogea pas à la règle.
L'ascenseur A, le plus luxueux, l'emporta au moins un. L'homme, d'un geste professionnel, empoigna sa lampe-torche qu'il alluma et il se mit à arpenter l'énorme entrepôt. Il n'y avait là rien à voler, aucun objet de valeur, rien que d'immense pyramides de papiers et cartons entassés au fil des ans, mais Garret vérifiait cependant tous les jours, par acquis de conscience.
Tout était évidemment en ordre. Il vérifia encore les soupiraux grillagés qui accédaient aux cages des ascenseurs, puis, comme il s'apprêtait à rengainer sa torche, tandis que par automatisme sa main gauche avait déjà poussé le bouton d'appel de l'ascenseur, une fulgurante douleur au mollet l'avait fait s'agenouiller lourdement, simultanément il avait lâché sa lampe électrique qui avait rebondi sur le sol pour rouler au loin. L'homme n'eut pas le temps de hurler, sa bouche resta grande ouverte sur un cri muet, juste en dessous de celle-ci, sa gorge tendue se mit à déverser un flot continu et saccadé d'hémoglobine, tandis que plusieurs paires de crocs carnassiers lui sectionnaient la carotide.
Chapitre I
1.1
Jeudi 30 décembre 1999, 06h00
Lorsque les 4 chiffres digitaux marquèrent 06.00, le réveil matin électrique enclencha la radio. Comme chaque jours de la semaine, le générique ringard des informations se termina et la voix nasillarde de l'animateur parut sortir des ténèbres brumeuses, plongeant la chambre dans une espèce de quiétude bienfaisante.
Kris expira profondément, elle souffla, plus par habitude que par dépit, et, sans prendre la peine de soulever une paupière, elle tendit la main, chercha au hasard, et guidée par l'habitude, elle effleura la touche pause de l'appareil.
10 minutes, c'était le temps qui lui restait pour tâcher de recouvrer ses esprits et pour se lever. Passé ce délai, le réveil allait de nouveau se mettre en marche pour lui rappeler qu'il était l'heure de se lever.
Les informations n'intéressaient pas Kris, elle ne les écoutait, mais n'entendait rien. Dans sa tête, elle se ressassait les choses indispensables qu'il lui restait à terminer avant de prendre le métro pour se rendre au travail.
Sans s'en rendre compte, elle somnola encore quelques instants, sa respiration se fit plus lente, et, même si elle avait repoussé l'édredon pour tâcher de se réveiller en échappant à la chaude moiteur du lit, elle s'endormit à nouveau.
A 06.10, la minuterie du réveil ralluma la radio qui cette fois diffusait les prévisions météorologiques. Kris sursauta, et, d'un bond, elle s'assit et alluma la rampe halogène incrustée dans le ciel de lit.
Les écarquilla les yeux en se les frottant énergiquement, s'étira à la manière de chats comme elel aimait tant le faire et, décidée, elle se leva enfin. D'un geste automatique, elle poussa la porte coulissante de la garde-robes, elle y choisit un t-shirt, des jeans sur la planche inférieure et, à l'étage plus bas, elle prit un chemisier parfaitement repassé.
Dans un tiroir de la commode, elle sélectionna ses sous-vêtements, prit une paire de chaussettes blanches au logo de la Funco et descendit après avoir soulevé le volet de quelques centimètres afin de laisser l'air frais pénétrer dans la chambre et rafraîchir l'atmosphère.
Kris frissonna. Depuis son divorce et surtout depuis qu'elle vivait seule avec ses deux enfants, elle avait respectéles règles d'économie que ses moyens financiers lui avaient à la longue imposées, si bien que le soir, systématiquement, elle baissait les deux convecteurs au gaz qui chauffaient son habitation. D'emblée, elle monta le thermostat de celui de la cuisine sur 21.
Elle poussa l'interrupteur du percolateur, et, pareille à une machine programmée, elle se rendit immédiatement aux toilettes pour se soulager.
Les gargouillis du percolateur la firent songer qu'un de ces jours il lui faudrait penser à le détartrer, puis, comme si cette pensée n'avait aucune importance, elle tira la chasse, passa à la salle de bains et prit une douche.
Le temps de se sécher et de passer ses vêtements propres, le café était prêt et elle s'en servit une tasse généreusement arrosée de lait avec une pierre de sucre. En allumant sa première cigarette, elle vérifia l'heure sur l'horloge murale et se rassura en constatant qu'il lui restait encore 30 minutes avant de réveiller les filles.
Elle vérifia les sacss qu'elle avait préparés et posés près du sapin, en se remémorant les effets personnels qu'elle y avait ajoutés et en essayant de se rappeler les moindres détails afin qu'elle n'ait rien oublié pour les filles. Mary et Emily partaient en weekend chez leur père, et, comme à chaque visite chez celui-ci, il fallait qu'elle prévoie un tas de choses indispensables.
Kris soupira, le long weekend de fin d'année s'annonçait bien triste, elle n'avait rien prévu, ni réservé, et l'absence des enfants, cumulée à cette période de fêtes particulières et au passage à l'an 2000 lui donnaient le cafard et un certain dégoût de la vie.
Kris se sentait seule. Plus aucun homme n'était venu véritablement remplacer son ex-mari depuis longtemps. Le dernier date, celui de l'été dernier, avait été son dernier petit ami et depuis lors, elle était restée seule, cloîtrée dans la maison qu'elle avait récupérée de son mariage.
C'est quand les gens ne sont plus là qu'on s'aperçoit combien ils comptaient énormément, songea-t-elle pour la millionième fois en revoyant en flou le visage de son mari et en songeant plus particulièrement à son père qui lui manquait un peu plus chaque jour qui s'écoulait.
Avec rage elle écrasa le mégot de sa Marlboro dans le cendrier en repensant à cette jeune femme qu'à plusieurs reprises elle avait entr'aperçue sur le seuil de la porte du domicile de son mari; cette Val, comme il l'appelait, qui, de surcroît, était appréciée des filles, qui en parlaient en éloges; cette pimbêche qui avait réussi là où elle avait échoué: combler, aimer et satisfaire Ted.
Leur divorce avait été la période la plus noire de sa vie, avec celle du décès de ses parents quelques mois plus tard, et aujourd'hui, s'il avait existé un moyen pour qu'elle puisse faire marche arrière et tout recommencer, elle l'aurait, sans aucune hésitation, exploité entièrement.
Mais il n'y avait plus rien à faire, Ted semblait heureux, leurs relations se limitaient à présent à quelques paroles indispensables au sujet des filles et plus rien ne semblait exister des sentiments, qu'ils avaient pourtant partagés durant près de 10 ans.
C'est la vie ! murmura-t-elle en se levant et allant se servir une autre tasse de café. Elle grilla une autre cigarette et replongea dans ses pensées négatives.
4 longs jours sans voir les filles, cela allait être pénible ! Si seulement elle avait accepté de sortir avec Isabelle - une copine qu'elle connaissait depuis quelques mois - elle aurait pu se changer les idées, et cela lui aurait permis de se changer d'atmosphère, mais, elle avait catégoriquement refusé, sans même savoir pourquoi !
Elle alla ensuite se coiffer, se lava les dents et passa un peu de fond de teint sur ses joues, et puis elle maquilla ses yeux, et vérifia le pli de ses jeans qui lui moulaient les fesses. Elle allait rencontrer brièvement Ted et, comme à chaque fois, elle voulait être parfaite. Dans le miroir, elle observa les quelques rides au coin de ses yeux qui trahissaient ses trente ans une vie déjà fort mouvementée, et puis elle se parfuma abondamment afin que les filles conservent son odeur sur elles en arrivant chez leur père.
Kris n'avait pas l'intention de récupérer Ted, il était trop tard, il y avait eu beaucoup trop de mauvaises choses entre eux deux, beaucoup trop de sales coups de la part de leur avocat respectif, et beaucoup trop de mensonges aussi, mais elle avait eu beau essayé, elle n'était jamais parvenue à l'éliminer de ses souvenirs et, malgré ce qu'elle prétendait aux gens qui l'interrogeaient sur ses relations passées, elle devait bien admettre qu'elle éprouvait toujours beaucoup de sentiments pour le père de ses enfants.
Kris brancha la radio du salon en sourdine, et comme le commentateur rappelait aux auditeurs qu'un long weekend s'annonçait tout prochainement, elle se rappela de nouveau que durant 5 jours elle ne verrait pas ses enfants et serait seule à la maison durant 4 longues nuits sans devoir aller travailler.
La Funco, la boîte qui l'employait, avait exceptionnellement accordé au personnel un congé extraordinaire de 4 jours à l'occasion du passage à l'an 2000, tout le monde serait donc en congé les 31, 1er, 2 et 3 janvier. Tout le monde devait s'en réjouir, sauf elle, car elle craignait la déprime qui la gagnait déjà anticipativement.
Le générique des infos lui rappela qu'il était l'heure de lever les filles, aussi monta-t-elle à l'étage afin de les réveiller.
1.2
En un clin d'œil, Mary et Emily furent habillées et coiffées, la table fut dressée, et ensemble, elles déjeunèrent tranquillement. Kris leur rappela qu'elles allaient passer le weekend chez leur père, une fois encore elle récita à Mary la leçon qu'elle lui avait apprise par cœur, c'est-à-dire d'être sage et de penser à lui téléphoner le jour du réveillon pour lui souhaiter une bonne année. Elle leur signala qu'elle avait laissé le numéro dans la pochette avant du cartable, mais elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase car Mary lui reprocha de savoir tout cela depuis belle lurette. Kris se tut, elle avala le restant de sa tartine à la confiture qu'elle mâchait sans appétit, puis elle commença à débarrasser la table.
Les filles, comme d'ordinaire, allèrent s'allonger sur le canapé, face à la télévision qui, déjà à cette heure-là, diffusait quelques vieux dessins animés. Kris éteignit le percolateur, elle rangea la vaisselle dans l'évier, frotta la table, mit sa montre et ...
Décidément, ce n'était pas son jour de chance, les aiguilles de sa Swatch s'étaient arrêtées sur 4h20. La petite pile électrique devait être usée, mais Kris l'attacha malgré tout à son poignet, songeant brièvement qu'elle passerait en vitesse, le temps de la pause de midi, chez le marchand pour en faire placer une neuve. Elle appela les filles, les aida à enfiler leur manteau et leurs gants - dehors, il gelait à -2°c - et, se retournant une dernière fois pour vérifier qu'elle n'avait rien oublié, elle referma la porte derrière elles.
Les filles ne parlaient jamais beaucoup le matin, encore à demi endormies, mais ce jour-là, elles étaient en effervescence car elles allaient passer les fêtes chez leur père et allaient, comme d'ordinaire, recevoir un tas de cadeaux. Kris les écoutait, mais elle ne les entendait pas. Elle avait envie de pleurer, mais elle se retenait afin de ne rien laisser voir à Ted et aux enfants.
1.3
La lumière filtrait au travers des volets partiellement baissés de la maison de Ted, ce qui rassura Kris sur sa présence. Bien que l'homme n'ait encore jamais failli à son droit de visite, Kris redoutait le jour où cela arriverait.
Elle ouvrit la portière du côté de Mary qui courut sonner chez son père, et elle prit Emily dans ses bras. Dans le couloir, des pas rapides se firent entendre et la porte s'ouvrit.
Ted était là, élégant et rasé de près, son after-shave sentait bon et rappela à Kris un tas de souvenirs qu'elle aurait préféré ne pas se ressasser. Mary embrassa l'homme et disparut au fond de la pièce inconnue pour Kris.
Elle n'était en effet jamais rentrée chez Ted, il ne lui avait jamais proposé, et elle s'était toujours dit qu'elle refuserait si cela arrivait. L'homme et la femme se saluèrent froidement, ils s'échangèrent la petite Emily, tandis que Kris alla jusqu'au coffre de son automobile pour y décharger les bagages des enfants. Mary revint en questionnant son père: - où est Val, Papa ? Kris ravala sa salive, rien que ce prénom prononcé l'agaçait au dernier des points. - Partie, ma chérie, elle est partie pour de bon, nous resterons à trois ce réveillon ! dit l'homme en baissant les yeux pour éviter le regard inquisiteur de Kris.
La poufiasse s'était enfin barrée, Kris s'en réjouit et tout à coup ça avait été comme si tous ses tracas s'étaient évaporés. - Partie ? pour aller où ? insista Mary. - Peu importe, ma chérie, maintenant nous allons être tranquilles tous les trois, et puis, je pense que le père Noël est passé la semaine dernière pour vous deux, allez voir sous le sapin, je pense y avoir vu quelques paquets, dit Ted en déposant Emily qui suivit sa soeur.
Kris faillit les rappeler à l'ordre et exiger un dernier baiser avant qu'elle s'en aille, mais il valait mieux ne pas trop s'attarder, car autrement la séparation allait d'autant être plus douloureuse pour elle.
- Tu as une jolie cravate ! lança Kris en tendant à Ted les deux énormes sacs des filles.
- Merci. Donc, comme convenu, je te les ramène lundi vers 19h30, c'est bien cela, n'est-ce pas ?
Kris faillit lui proposer quelque chose d'insensé, un dîner, un rendez-vous, une rencontre, mais elle n'osa pas et acquiesça d'un geste de la tête en s'en retournant vers sa voiture et ajoutant: - Ne sois pas en retard à l'école, et n'oublie pas qu'aujourd'hui, exceptionnellement; elles ont terminé plus tôt, soit à 15h45 !
- Kris !?! appela l'homme en la voyant baisser la tête pour s'asseoir derrière le volant. Mais la femme qui tournait le contact n'entendit pas et elle repartit, les yeux noyés de larmes.
Ted suivit la petite voiture s'éloigner et puis il referma la porte et alla vérifier d'où provenait le brouhaha des filles qui déballaient fébrilement leurs cadeaux.
1.4
Kris braqua le volant et stationna son véhicule sur l'air de parking qui lui était réservée. Face à elle, la Funco s'élevait vers les cieux, avec ses vingt-deux étages aux fenêtres déjà largement illuminées.
Elle prit son sac à main, y chercha son badge et descendit de voiture.
Une fois le sas franchi, elle introduisit son badge dans la fente de l'appareil et le tourniquet de contrôle la laissa pénétrer dans le vaste hall de la société. Au passage, elle adressa un signe de la tête au gardien dans sa cabine de verre qui la reconnut, puis, machinalement, la femme se dirigea vers l'ascenseur dont la double porte fermée arborait la lettre C.
A la Funco, c'était ainsi. Trois ascenseurs étaient disponibles, le A, le B et le C, mais chacun était réservé à une catégorie précise d'employés.
L'ascenseur A était exclusivement réservé aux cadres et aux membres de la Direction, le B aux employés et aux visiteurs et le C, aux ouvriers et aux sociétés de livraison.
Kris était nettoyeuse à la Funco, s'était un emploi bien rémunéré, pas trop astreignant, à quelques minutes à peine de chez elle et où, avec un peu de chance, elle pouvait espérer un avenir un peu plus prometteur. On lui avait en effet fait miroiter un poste de brigadière, avec traitement supérieur à l'appui, responsabilités connexes et avantages sociaux supplémentaires. Kris appela l'ascenseur C....
2.1
Tandis que Kris appuyait sur la touche -1, l'étage où le local des nettoyeurs était situé, Ted parvint à convaincre Mary et Emily qu'il était grandement temps de se préparer pour ce dernier jour d'école.
L'ascenseur mit quelques secondes à descendre, et durant le temps que les étages décroissaient sur l'échelle numérique de l'indicateur électrique; Kris se rappela des tâches habituelles qui lui incombaient.
Tout d'abord, il lui fallait passer aux vestiaires, s'y déshabiller, y enfiler son tablier et ses chaussures de sécurités et y préparer son chariot.
2.2
Le chariot.
Il s'agissait d'un chariot, monté sur 4 roues mobiles et multi-directitionnelles, qui incluait un double bac d'eau savonneuse, et claire, une presse à "mop" et un "mop", à l'arrière duquel se trouvait un dérouleur de papier essuie-tout, un support étudié pour un énorme sac poubelle d'une capacité de 150 litres et le triple emplacement prévu les produits d'entretiens, les réserves de papier de toilette et de serviettes.
Kris se changeait quand Karin, une collègue avec qui elle s'entendait bien, entra dans le vestiaire. Sans aucune pudeur, les deux femmes se retrouvèrent en sous-vêtements et puis elles s'observèrent en comparant ceux-ci. Kris, qui possédait une poitrine généreuse, portait un soutien à renforts et un string assorti, tandis que Karin, dont les mensurations étaient loin d'égaler celles de Kris, n'avait revêtu qu'un tout petit top qui suffisait à cacher ses seins et une culotte blanche sans fioritures. Une fois de plus, Karin s'étonna de l'élégance de Kris et de son corps magnifique, répétant à nouveau qu'il était incompréhensible qu'aucun homme encore ne l'avait trouvée à son goût ! Kris la remercia, et gentiment, mais avec amertume, elle lui répondit que coucher avec homme n'était pas difficile en soi, mais en trouver un qui l'aimerait elle à part entière ainsi que ses deux filles était une autre paire de manches. Karin hocha la tête pour marquer son accord, puis, ensemble, elles enfilèrent leur tablier, leur pantalon bleu et leurs chaussures. L'uniforme des nettoyeuses, parce qu'il fallait bien parler d'un uniforme, n'était pas des plus élégants, et, sans doute intentionnellement, son port conféraitiil un anonymat standardisé peu seyant et volontaire, qui rappelait à tout le personnel que les nettoyeuses étaient des ouvrières au bas de l'échelle.
Les femmes d'ouvrage poussèrent leur chariot jusqu'au magasin pour s'y approvisionner. C'est là aussi qu'elles recevraient leurs instructions et consignes pour la journée des mains d'Andrée, la brigadière, et puis, avant de commencer leur journée, elles avaient encore droit à 5 minutes, le temps d'avaler une tasse café insipide.
- C'est une coutre journée aujourd'hui, lança Karin à Kris qui, l'air étonnée, l'interrogea du regard. - Oui, poursuivit la fille, j'ai fini à midi, avec Karl nous partons à la côte pour y passer le réveillon ! Kris lui sourit, mimant son contentement pour elle, mais en son for intérieur, elle eut envie de pleurer et de tout plaquer pour aller nulle part, tant elle était déprimée.
Andrée, la brigadière, les attendait. Elle les embrassa - c'était la coutume au sein de l'équipe, toutes les nettoyeuses s'embrassaient pour se dire bonjour - et puis elle leur remit chacune leur ordre du jour. Kris lut le sien, elle devait nettoyer les toilettes des 1er et 2ème étage et approvisionner le Dining Room de la Direction - c'est-à-dire l'énorme salle de réception du 22ème étage -, en papier de toilette et en serviettes propres. Andrée, qui se relisait par dessus son épaule, lui précisa qu'une grande fête était prévue pour les pontes début d'après-midi et qu'il fallait que rien ne manque.
Karin, quant à elle, souffla péniblement. Les sous-sols ! Andrée l'avait affectée aux sous-sols, alors qu'en principe, suivant l'ancienneté, cette tâche ingrate aurait plutôt dû revenir à Kris et non à elle. Andrée trancha rapidement en lui précisant que la dernière fois c'était encore Kris qui avait hérité des sous-sols et qu'aujourd'hui c'était son tour, point final. Les deux filles reprirent la direction de l'ascenseur, sans rien ajouter, mais Kris put voir dans l'expression du visage de Karin que celle-ci lui en voulait.
Tandis que la double porte coulissait en grinçant, Andrée rappela Kris. Elle secoua la tête, c'était trop beau, si la brigadière lui avait fait "cadeau" des deux premiers étages, c'était sans doute pour lui demander autre chose en échange. les portes se rouvrirent sous l'impulsion de l'index de la grosse femme.
- Kris, au fait, ce soir, vous n'avez rien prévu, n'est-ce pas? questionna la brigadière sur ton qui n'attendait pas d'autre réponse que celle supposée.
- Non, Andrée, pourquoi cela ? Kris, du coin de l'œil, remarqua le petit sourire pincé de Karin.
- Faudra que vous reveniez vers 20h30, pour nettoyer le Dining Room après la réception, tout doit être nickel pour mardi prochain ! Je me suis arrangée avec le Chef - la femme montra le plafond du bout de son index tendu - vos heures compteront en double. Cela vous arrange, je suppose, vous n'avez pas vos enfants ce soir, n'est-ce pas ?
Il ne servait à rien de prêcher le contraire, la brigadière s'était intelligemment renseignée en début de semaine, et Kris était tombée dans le piège, quand Andrée lui avait demandé ce qu'elle envisageait de faire pour le Millénium, Kris s'était plaint qu'elle serait seule, ses filles allant en visite chez leur père. Cela avait suffit à la Brigadière.
- Non, Andrée, ça ira ! soupira-t-elle en songea déjà aux confetti et aux rubans qui allaient submerger la salle de réception. C'était toujours pareil après une fête de la Direction à la Funco, chacun y mettait toujours plus que du sien pour tout salir, pour semer des confettis à tous vents et pour coller ses doigts graisseux sur le moindre miroir et sur toutes les fenêtres.
- Surtout, pensez à prendre le grosaspirateur, n'est-ce pas, vous savez, les confettis ! Bon, dépêchez-vous toutes les deux, vous allez être en retard sur le planning. Andrée renfonça le bouton de l'ascenseur et les portes se refermèrent sur le dodelinement de ses hanches monstrueuses.
- Elle t'a bien eue ! ricana Karin.
- Elle aurait pu m'envoyer aux sous-sols et en plus me donner le Dining Room enchaîna Kris. Tandis que les étages défilaient sur l'écran lumineux – de petites lumières scintillantes qui s'allumaient et s'éteignaient tour à tour -, les deux femmes restèrent muettes. Le sonnerie du -3 retentit et Karin poussa son chariot pour sortir. Deux autres filles que Kris connaissait de vue, saluèrent leur arrivée et entrèrent dans l'ascenseur. La première appuya sur le -1, tandis que l'autre s'épongeait le front en transpiration. Kris grimaça un sourire et fit semblant de regarder la lampe de secours appliquée au plafonnier.
- J'en avais encore jamais vu d'aussi gros ! dit une des deux nettoyeuses.
- Tu parles, répondit l'autre, quand j'ai retiré les cartons, j'ai tout d'abord cru que c'était un chat !
Les deux filles pouffèrent d'un rire nerveux, tandis que Kris les regarda avec une expression interrogative
L'ascenseur stoppa et s'ouvrit.
- Des rats, ma chère, grands comme ça ! dit la fille en s'éloignant et en écartant exagérément les mains à une distance de quelque 40 centimètres.
Kris ouvrit grands les yeux, déglutit et entendit encore les filles s'esclaffer tandis que la porte de l'ascenseur se refermaient et que la lampe clignotait sur + 1.
Un des sous-sols de la FUNCO était loué à une société en charge du transit d'animaux de laboratoire en provenance de l'étranger, s'il était déjà arrivé – à une époque qui datait déjà – qu'une veuve noire s'échappa de son vivarium pour créer l'émoi et la confusion dans le building, aucun autre incident n'était survenu depuis lors. Aussi, Kris se persuada-t-elle que ses collègues exagéraient ou avaient inventé de toute pièce cette histoire de gros rats.
Pauvre Karin, songea Kris, puis elle réajusta son tablier, jeta un dernier coup d'œil à son chariot et descendit au premier étage, la reproduction, où il lui incombait de nettoyer les toilettes hommes et celles des dames, il était aussi indiqué d'y remplacer les serviettes et d'y ajouter – si indispensable - le papier de toilette manquant.
... à suivre
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Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 343
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pseudo : Mignardise 974
l'intrigue est bonne... j'attend la suite avec impatience =D
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