Les Cris
Ce fut en un torride après-midi de l’année 1972, quelques semaines après ton éviction de l’université, que tu fondas la Black People Convention (BPC), une version post-étudiante de la SASO dont tu devins le président. Comme un brillant intellectuel que tu étais au fond, tu lanças au front des journalistes ainsi qu’au nez et à la barde du gouvernement que : « Pour commencer, il faut que les Blancs réalisent qu’ils sont seulement humains, pas supérieurs. De même, les Noirs doivent réaliser qu’ils sont humains, pas inférieurs. » Tu fus incarcéré pour la première fois quelques jours plus tard. Trois autres arrestations suivirent avant que… Donc, en 1973, tu fus détenu sur le principe d’accusations de terrorisme avec d’autre membres de la Conscience Noire ; tout cela, bien évidemment, n’était dû qu’au fait que, peu à peu, toutes les écoles et universités étaient politisées contre le système de l’apartheid par des membres de ton organisation. Malgré ton arrestation, ta longue détention et ces interrogatoires à maintes reprises, tu ne bronchas pas, tu résistas encore et toujours avec, au fond de te yeux, cette ineffable lueur de victoire face à la soumission. En guise de représailles, les établissements d’enseignement furent boycottés, voire tout simplement fermées, sous l’impulsion de tes camarades. Or, cela ne modifia en rien le comportement du pouvoir en place qui te bannit du Natal, en premier lieu, avant de t’assigner à résidence non loin de King William’s Town. Tu reçus l’interdiction formelle de tenir des discours en public et, pire que tout, de parler à plus d’une personne à la fois. Ils avaient peur. Ils avaient peur de toi. Ils avaient peur d’un seul et petit nègre. Pendant ce temps, de plus en plus de jeunes noirs devinrent militants en refusant le système de modération et d’intégration proposé – imposé ! – par le pouvoir. La Sécurité Intérieure te mis au secret pendant 101 jours mais, après cela, tu persistas dans ta résistance et alla jusqu’à braver l’interdiction de séjour à ton encontre en sillonnant sans cesse le Cap-Oriental. Et tu te lias d’amitié avec le journaliste blanc et progressiste Donald Woods auquel tu présentas tes idées et proposas tes projets de changements qui furent en partie publiés dans son journal d’opposition. Ce fut donc dans ce silence dicté que tu réussis à crier le plus fort.
En une fin de journée de 1976 où la température était devenue asphyxiante, tu déclaras que : « Le principe de base de la Conscience Noire est le rejet pas l’homme noir du système de valeur qui veut faire de lui un étranger dans son propre pays et… qui détruit jusqu’à sa dignité humaine. » Et dans les vapeurs évanescentes de la résistance contre l’oppression, un soulèvement populaire d’une importance inégalée eut lieu dans tous les townships du pays du fait du durcissement de la répression par les forces de sécurité face à la révolte grandissante des écoliers et étudiants contre l’imposition de l’éducation en Afrikaans… Le massacre de Soweto ! Le 16 juin 1976, dans la banlieue noire au sud-est de Johannesburg, une manifestation d’adolescents à la peau d’ébène se déroula avec le soutien de la Conscience Noire. Il s’agissait d’une protestation pacifique (tout affrontement avec la police devant être évité) contre ce fameux enseignement dans la langue du tyran. La police avait reçu pour consignes de la part de Jimmy Kruger, alors ministre des prisons, de la justice et de la police, de « rétablir l’ordre à tout prix et d’user de tous les moyens à cet effet. » La milice légale demanda à la foule de se disperser avant d’effectuer les tirs de sommation réglementaires. Mais la situation dégénéra complètement lorsque la police ouvrit le feu, dans un nappage enflammé de haine raciale, sans faire la moindre distinction sur la foule désarmée. Armes. Violence. Sang. Assassinat. Il y eut, selon le bilan officiel, 23 morts et 220 blessés (dont bon nombre furent touchés par balles dans le dos), cependant on parla officieusement de 575 morts dont 570 noirs. L’un des premiers morts, Hector Pietersen, âgé de seulement douze ans, devint le symbole de la répression aveugle du régime nationaliste. A la nouvelle de ce génocide banlieusard, des émeutes se propagèrent dans tous les townships d’Afrique du Sud. Les violences politiques et la répression policière n’en furent qu’accrues ; il y eut encore, officiellement, à dénombrer 600 morts supplémentaires. Toi, Steve Biko, tu abaissas les paupières afin de mieux dissimuler la cascade naissante de tes peines dont le rugissement était un cri de souffrance intense pour tes sœurs et frères victimes de l’exécration pestilentielle.
En ce début de soirée au cours de l’année 1977, dans une fraîcheur inattendue comme un ultime moment de sérénité en préambule au tumulte final, tu étais assis dans un fauteuil en rotin et était plongé dans tes réflexions. Tu songeais à cette affaire qui datait de 1974 où tu avais été accusé d’avoir violé ton ordre de bannissement. Aujourd’hui, accusé dans cette affaire d’avoir incité des témoins à modifier leur témoignage, tu te dis que l’ironie avait atteint son paroxysme car ses soi-disant faux témoins avaient été torturés par la police et contraints de signer des aveux qu’ils n’avaient même pas pu lire. Toi, Steve, tu les avais incités à révéler au juge le déroulement exact des faits qu’ils avaient vécu. Et tu fus mis une nouvelle fois aux arrêts en compagnie de ton ami Peter Jones, militant ardent de la BPC, qui fut lui aussi banni en 1977. Mais d’autres éléments t’inquiétaient bien plus. Outre l’histoire réelle et avérée de ces T-shirts, portés par des militants de l’ANC, qui avaient été imprégnés de poison, tu venais récemment d’apprendre une nouvelle terrifiante. Selon des sources sûres, tu avais découvert avec effarement que des scientifiques avaient été chargés par les services secrets de travailler sur un programme de diminution du taux de fertilité des femmes noires par le biais d’une substance répandue dans l’eau ou les produits liquides de consommation courante. Le matin même, tu avais rencontré ton ami Donald Woods auquel tu avais dit : « Soit tu es vivant et fier, soit tu es mort… et quand tu es mort, tu ne peux plus t’en soucier. Et ta façon de mourir elle-même est une chose politique […] car si je n’arrive pas dans la vie à soulever la montagne de l’apartheid, l’horreur de la mort y parviendra sûrement. » Tu te demandas alors jusqu’où « ils » oseraient encore aller pour assurer leur pouvoir, pour maintenir leur tyrannie. Un merle, là-bas, au loin dans l’invisible de ce crépuscule, se mit à crier sa mélodie funèbre.
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Commentaires :
pseudo : féfée
Passionnant ! cdc
pseudo : damona morrigan
Wouah w c'est excellent, encore une fois bravo pour ton travail et ta narration, splendide ! Enorme CDC for you !
pseudo : w
Merci féfée et damona. Je vous embrasse toutes deux, féfée sur les joues et damona sur... hum !
pseudo : damona morrigan
Oui Philippe, hum ! sur... ???
pseudo : damona morrigan
Sur le front mon petit scribe. Merci, bonne nuit !
pseudo :
ben oui, damona, sur le front, bein entendu. Pourquoi ? Pensais-tu à un autre enroit ? (Tu as vraiment les idéées mal placées)
pseudo : damona morrigan
No, pas du tout. Mais j'adore le baiser sur le front ! Bonne journée !
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