En cette triste veillée de Noël, je marche seul sur ce chemin de terre recouvert d’un épais manteau blanc. Au-dessus de moi, un ciel noir sans la moindre étoile crache ces lourds flocons qui tombent sur moi, me gelant le visage et les mains. A chaque pas que je fais, je laisse une trace par terre, une trace comme moi, profonde et éphémère. Et je continue à avancer dans ce désert d’arbres dénudés dont les branches anguleuses semblent tendre vers moi pour mieux me saisir. Un kilomètre, puis un autre kilomètre, puis encore un kilomètre, cela fait maintenant une éternité que je déambule ainsi, tel un fantôme qui parcourrait son château de long en large sans trouver la sortie, trainant derrière lui son pesant boulet. Mon boulet à moi, c’est cette solitude immense, un abîme sans fond dans lequel je tomberais à jamais. Quelle pathétique nuit de Noël pour moi, je n’ai aucun ami pour la fêter, tout juste me suis-je griser d’une bouteille de champagne bon marché dont le liquide me fait à présent tourner la tête. Je vacille, je titube, j’éprouve la pire des difficultés à mettre un pas devant l’autre. J’ai mal à la tête, j’ai mal au cœur, j’ai mal à l’âme…
Au bout d’un temps qui m’a paru durer une éternité, j’aboutis à un petit pont de bois qui surplombe une large rivière en furie. Je m’approche. A peine ai-je posé un pied sur le pont que le bois craque de manière assourdissante, ce sinistre bruit résonne dans toute la forêt avoisinante. Malgré la frayeur que cela aurait dû me faire, je ne ressens aucune peur ; en fait, je me fiche éperdument de ce qui m’entoure, préférant me focaliser sur moi, sur ma vie en ruines. Je dépose les mains sur la rambarde et commence à réfléchir. Je me souviens de ces Noëls joyeux que je passais avec mes parents et mon oncle, où tout était prétexte à rire, à s’amuser. Aujourd’hui, ce passé est défunt comme le sont tous les membres de ma famille, vestiges pitoyables du bonheur perdu. Je suis poussière errante poussée par un vent de mélancolie intense, je suis seul… L’idée de l’inutilité de ma vie croit en moi, tel un cancer qui, lentement mais sûrement, rongerait chacune de mes cellules, ne laissant plus qu’un corps de douleur, une boule de souffrance. Et je continue à m’enfoncer dans mes pensées.
Loin, très loin, retentissent les cloches de l’église qui annoncent bruyamment qu’il est minuit ; mais nuits sont calvaires pour moi : soit je les passe à veiller du fait d’insomnies, soit à faire des cauchemars récurrents dans lesquels les spectres de ma famille me hantent. Ce soir, je souhaite que tout cela s’arrête, que la vie cesse de me charrier son varech d’ennui, de nostalgie, d’affliction. J’en ai assez. Poussé par une force irrésistible, je grimpe soudain sur la rambarde et pose les pieds sur le ponton. Au-dessus de moi, un ciel vide ; en face de moi, un horizon mort ; en-dessous de moi, les flots violents de l’eau. Je m’exsangue d’être moi-même, je veux mettre un terme à cette vie sans but ni joie. C’est au moment où je suis sur le point de me jeter dans ces eaux furibondes, que j’entends tout à coup un fort bruit d’ailes non loin de moi. Je tourne la tête et vois un être tout de blanc vêtu juste à mes côtés. Sa peau est d’ivoire, ses membres sont fins et gracieux, son corps est svelte, ses yeux sont d’un bleu profond et un large sourire se dessine joliment sur sa face. C’est à ce moment que je remarque qu’il a des ailes, oui, des ailes d’un blanc immaculé dont les formes sont gracieuses tout en courbes. Il continue à me sourire ; je ne sais plus quoi faire. C’est alors que je retourne mon regard vers la rivière qui semble me héler. Vertige. J’ai peur. Non, je ne veux pas mourir. Je fais volte-face et regrimpe sur la rambarde, puis repose mes pieds sur le sol en bois du pont. Je tombe à genoux et commence à pleurer des larmes chaudes qui s’écoulent à profusion sur mon visage. Les yeux embrumés par le voile liquide, je me remets à regarder cet être si étrange. Il sourie encore et toujours. Après m’être relevé avec difficulté, je m’approche de lui. Il dépose soudain la paume de sa main sur sa bouche puis la tend vers moi tout en soufflant. Une forme que je devine être un petit cœur décolle alors de sa paume et volette délicatement vers moi, avant d’atterrir sur ma bouche. Ses ailes se déploient soudain et commencent à battre. Il s’envole, plonge dans le néant des cieux et disparait dans la profondeur du noir. Je me retrouve seul, mais je ne ressens pourtant pas un sentiment d’isolation. Pourquoi ? Parce que je sais qu’à tout instant un ange veille sur moi, qu’il me protège, qu’il m’aime.
Je fais demi-tour et prends le chemin de la maison. Je sifflote un air jovial tout en marchant, cette douce musique qui illumine les plus noires des soirées. Je me sens si bien, comme libéré de mes entraves d’isolement, d’ennui et de regrets. Alors que mille idées positives explosent en moi, j’entends au loin des battements d’ailes. Il est là, au-dessus de moi, me veillant avec amour. Le bien-être m’envahit et fait de moi un homme plus heureux que jamais.
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Commentaires :
pseudo : italogreco
je m'incline devant ce texte plein de sagesse, mille merci W pour ces paroles qui font ressurgir une éclatante lumière dans notre coeur...un ange veille sur chacun de nous....même si trop de fois on s'en apperçoit pas...amitié
pseudo : Claire Selva
nos guides sont toujours là, même lorsqu'on ne les voit pas, parce que l'on ne peut pas ou parce que l'on ne veut pas. la lumière est sans condition. merci W pour cette nouvelle emplie de lumière.
pseudo : lutece
Que d'émotions à te lire, une fois de plus! Personnellement je suis persuadée de sa présence, de cet ange qui veille sur chacun de nous et intervient quand le besoin s'en fait sentir! je l'ai ressenti bien des fois! Gros CDC et bisou à toi qui me fait tant rêver!
pseudo : damona morrigan
Ô mon petit scribe préféré, un conte d'hiver en plein mois de mai... Merci du fond du coeur et vais te dire un secret, moi je le connais ton ange! Big CDC
pseudo : Iloa
Je n'ai pas d'Ange gardien moi. Mais j'ai une Bonne Étoile...C'est sympa aussi. Merci pour ce merveilleux texte qui comme ton personnage, nous fait retomber en enfance. Le bonheur serait il dans l'innocence ?
pseudo : féfée
Beaucoup d'émotions à lire ce texte, et une profonde joie pour finir. Merci du partage.
pseudo : w
italogreco, l'ange veille sur nous mais arrivons nous àle comprendre et, surtout, à l'aimer ? Claire, J'aime de plus en plus la lumière, je l'ai fait mienne. lutece, je le ressens aussi, mais je sais que les démons veillent, trrés dans le lugubre de leur perversité. damona, lol, le conte a été écrit à l'hiver 2008, et c'était une "commande" si j'ose dire; mais je dmeure fier de ce texte sans qu'il soit pour autant mon préféré. Iloa, le bonheur est dans l'amour et il y a une part d'innocence dans l'amour. féfée, Merci à toi de m'avoir lu et de m'avoir laissé un si gentil commentaire. JE vous embrasse tous et toutes.
pseudo : damona morrigan
Ah bien merci pour "la marchandise made in 2008", suis décue bien que le texte n'en perd pas sa qualité.
pseudo : w
mais non, damona morrigan, ce n'est pas une marchandise, c'est un texte que j'ai écrit avec mon coeur et mon âme et que j'ai transpiré de tous les pores de mon être. J'en suis fier sois en persuadé. Et jel'ai mis en ligne ce soir car je sentais que c'était le bon moment pour lui de quitter son anonymat. Je t'embrasse tendrement damona. Excuse-moi.
pseudo : damona morrigan
Mais no, Philippe, j'aime beaucoup trop ton texte et encore plus maintenant que je sais que tu l'as écris avec ton coeur et ton âme ! Moi aussi t'embrasse tendrement !
pseudo : Allover
Un texte très bien écrit comme toujours. On rencontre souvent des anges gardiens dans les moments de désarois. Ils n'ont rien d'irréels, ils sont humains. Je prend ton texte comme un hommage à toutes ces personnes qui sont là quand rien ne va plus. cdc
pseudo : w
merci ma damona adorée
pseudo : damona morrigan
C'est normal que nous deux on soit des super potes (entre alsaciens on se comprend) Bonne nuit !
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