Et le temps s’écoula à flots réguliers sous le pont de l’amour que je te portais. Alors que le soleil avait lentement rejoint son zénith dans l’océan sans fond du ciel, je m’étais activé de poser la camisole de ton harnachement habituel. Le maréchal ferrant t’avait façonné avec soin des fers de haute qualité, que j’allais pourtant te changer dans six semaines, lesquels permettaient de te protéger de la corne et de l’usure. Deux anneaux métalliques, suspendus de chaque côté de la selle, me donnait la possibilité de glisser les pieds pour mieux prendre appui ; il s’agissait d’étriers camarguais dont la large semelle conférait aux pieds une assise parfaite et confortable, bien à plat, dont l’armature à l’avant offrait une protection contre les chocs éventuels. Bientôt, sur tes flancs, viendraient frapper mes éperons qui étaient une aide artificielle prolongeant l’action des jambes en la renforçant et en la rendant plus précise ; je pensai évidemment à mes éperons de cygne à molette dentée, de type western, dont la rondelle métallique tournait librement, qui me permettaient de gérer ton comportement récalcitrant. Comme tu étais têtue, Mon amour. J’étais pourtant toujours le Maître ! L’avais-tu oubliée ? Par-dessus le tapis usé, la selle en cuir toute équipée (étrivières, étriers et sangle) avait pour fonction d’aider le cavalier que j’étais à trouver son point d’équilibre ; elle avait été confectionnée par le meilleur sellier bourrelier de la région. Toute grimée ainsi de tes artifices synthétiques si humains je ressentis comme un changement en te regardant : j’eus l’impression que tu avais perdu ton animalité, l’essence même de ta vitalité en fait. Tu me fis alors songer au poème « Les chevaux de bois » (in Bruxelles II) rédigé si délicieusement par Paul Verlaine. Mais il ne fallait pas que tu crusses que cet envol en mes pensées eût été un terme à ton harnachement, cela n’avait été qu’un intermède.
Et voilà que par des gestes secs, je plaçai sur toi le caparaçon, une armure de harnais qui serviraient à te protéger mais surtout à … t’ornementer. Belle, si belle Épona. Je te mis ensuite les brides. Il y avait d’abord deux mors en acier que je t’incérai dans la bouche (au-dessus de la langue) qui, par une action sur cette dernière, une traction sur les commissures de tes lèvres et une compression de ton nerf mandibulaire si sensible, permettait d’interférer sur les mouvements de ta tête, ton encolure et tes épaules afin de dicter ta conduite et de régler ton allure. Il y avait ensuite, entre ces deux mors, quatre rênes qui formaient un filet particulier mais très efficace pour te faire plier à ma volonté. La muserolle française t’empêchait d’ouvrir la bouche démesurément te soustrayant à l’action trop lourde des mors. Et comme ultime armure d’humiliation – pensai-je à ce moment –, je trouvai encore l’idée de t’enrêner par une terrible martingale fixe, à la dureté inqualifiable, laquelle t’empêcherait de lever la tête trop haut ; elle était en cuir usé et fixée à un bout de la sangle, sous ton flanc, et à la muserolle de l’autre bout. Devant cette carapace faite par la main de l’homme, je sentis grandir en moi un sentiment de fierté indéfinissable qui, subitement, fut brisé par une douleur puissante qui m’enserra la cage thoracique. Je tombai à genoux. Devant toi. Mais, au bout de quelques secondes, la souffrance s’étant atténuée, je me relevai d’un air rageur. Je pris mon temps pour réfléchir.
Alors, comme une revanche envers ce mal que je compris inconsciemment en rapport avec toi, je me résolus à ajouter un autre harnachement inutile dans ce contexte mais essentiel pour assouvir ma vengeance contre ces douleurs, dues à toi, qui me tiraillaient depuis que j’avais pénétré dans l’écurie. Je te plaçais donc sur les yeux, toi qui avais une vision binoculaire à l’instar de tous les autres chevaux, des œillères lourdes qui, officiellement, permettait de te protéger les yeux mais, officieusement, avait pour but de t’empêcher de te distraire de tout ce qui se passait autour de toi et, donc, de me donner le plein contrôle sur tes sens. Ce furent plus que des œillères, ce furent des ténèbres qui venaient de s’abattre sur tes prunelles, un voile épais sur ton visage qui réclamait l’ardeur du soleil, une cage rouillée où venait d’être emprisonnée un oiseau innocent… ta liberté bafouée, tout simplement. Je pris la longe en main et te conduisis vers le centre de l’enclos. Durant ce laps de temps, je me mis à penser aux diverses aventures de Flicka que Mary O’Hara avait relatées, de manière épique et hippique, dans plusieurs de ses livres. Or, comme ses histoires et la nôtre étaient différentes : moi, je ne voulais gagner ton amour que par la force, que par la maîtrise absolue de ton être. Et, lentement, le regret se fit remord. Le temps se fit absence, mon esprit silence… Je saisis soudain la cravache insérée dans l’une de mes bottes, la levai haut dans le ciel mais, avant que je ne pusse l’abattre sur ta peau d’ébène, le vent d’est me fouetta le visage et lacéra ma mégalomanie. Ce fut pourtant sur mon cœur que je découvris une balafre…
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pseudo : Iloa
Pfff...Quelle émotion...Je continue...
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