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La Jument Noire (5ème partie) par w

La Jument Noire (5ème partie)

 

       J'étais à présent juché sur Mon Épona et la faisait marcher au pas en me disant que le cheval était bien la plus belle conquête de l’Homme. Tel un fruit mûr dépérissant sous le supplice du temps, je me mis à songer aux usages faits de l’équidé par ma propre espèce. Il y avait bien évidemment l’hippothérapie, point culminant de la relation entre le cheval et l’homme, où l’équilibre inhérent au cheval apportait l’équilibre aux corps et aux esprits malades. Mais bien vite, me vint à l’esprit la toile jaunie de ces montures de parade : que ce fussent les palefrois montés par les demoiselles du début du Moyen-âge ; les Haquenées, réservées aux dames fortunées de la fin du Moyen-âge, qui s’avéraient facile à monter (je pensais toujours aux haquenées) et dont l’allure douce était due à l’amble ; à l’amble aussi allaient les bidets d’allure qui étaient taillés pour la route ; le bidet de poste que se réservaient les estafettes comme monture de transport, les chevaux de race spécialisés dans les ballades en calèche jusqu’au tout début du XXème siècle, les équidés dressés et réservés à la randonnée envers lesquels les moniteurs s’avéraient bienveillant en la présence des touristes, mais fort malveillants en leur absence. De l’objet de soin il était passé à l’objet de distraction avant de ne devenir un objet tout court, un objet parmi tant d’autres. Et ils se passaient tous cet objet entre les mains : les marchands de chevaux, les propriétaires, les éleveurs, les grooms (palefreniers ou soigneurs), les entraîneurs, les agents de haras nationaux et tant d’autres… L’objet fut marchandé mais fut aussi catalogué : l’Homme créa un registre d’élevage, le Stud-book, qui n’était ni plus ni moins qu’une liste officielle d’animaux appartenant à une certaine espèce ; il y avait aussi les données généalogiques, compilées dans le Herd-book, avec ses attributions de pédigrée au cachet de race pure, toutes sortes de certificats d’ascendance et de descendance, etc. Et que dire des haras, ces établissements dans lesquels étaient entretenus des reproducteurs de toutes l’espèce équine afin d’en améliorer les races, où toute naissance ne pouvait avoir lieu qu’après une fécondation artificielle avec du sperme congelé placé dans l’utérus de la femelle par la main ganté de l’Homme ?

       J'en étais à ce stade de mes réflexions, lorsque je me rendis compte que l’être humain avait dompté le cheval moins pour des raisons d’ordre pratique que pour une cause bien plus pernicieuse : il en avait fait le miroir de ses propres affres sur lequel se reflétaient ses plus viles et vaines ambitions. Il  me revient alors en mémoire la pauvre monture de Don Quichotte, Rossinante, qui dut céder aux caprices déments de son maître en chargeant en toute rage de simples et inoffensifs moulins… Miguel de Cervantes avait peut-être tout compris bien avant que ne germât en moi l’idée qu’il avait développée. Et l’idée, après avoir germé, ne cessait de croître en moi tel un train s‘approchant de plus en plus de la sortie illuminée d’un tunnel. Je me mis à nouveau à penser à l’usage de l’équidé par les miens. L’animal devint l’objet du spectacle : il était applaudi ou hué lors des sports hippiques où les jockeys faisaient du saut ‘obstacle, les drivers du jeu de polo, les cavaliers de la garde républicaine de la parade dansée, et comme suprême honneur, il était présenté en animal de cirque pour faire rire ou peur, pour faire réagir, lui qui ne réagissait plus en être libre… Or, l’objet s’avérait encore trop beau, il fallait le rabaisser encore plus. Alors, après lui avoir enserré le cou d’un collier d’épaule et de licols de la corde, on l’utilisait dans les champs pour tracter des machines agricoles, sur les routes pour tracter des carrioles bondées de marchandises, sur les rives caillouteuses et boueuses pour haler des péniches immenses et lourdes, et ainsi de suite. Le noble équidé s’était métamorphosé en un vulgaire roussin, bête à tout faire à la valeur moindre.

       Alors que contrairement à mes habitudes, je n’avais pas mené Épona au trot mais l’avait laissée avancer au pas, un tableau peint par Théodore Géricault s’imposa en moi comme la réverbération d’une vérité absolue. Il s’agissait du fameux « Officier chasseur à cheval de la garde impériale chargeant » dont la splendeur apparente dissimulait en arrière-plan la haine, violence, destruction, souffrance et… mort... L’apanage chatoyant de l’Homme dans toute sa pestilence .Et toutes ses guerres où le cheval prit part, de l’invasion de l’Egypte par les Hyksos sur leurs chars de combats, aux croisades militaro-religieuses où les chevaliers voulurent libérer leur Terre Sainte face à des Arabes montant leurs purs-sangs, en passant par les charniers des conquêtes napoléoniennes où cavaliers et animaux jonchaient le sol tel un varech décimé sur la plage du chaos. Loin de ce triste spectacle, vint le spectacle joyeux, quoique tout autant sanglant, des corridas où l’on infligeait au cheval le supplice de voir l’homme qui était juché sur son dos massacrer son frère animal, le taureau. Et comme un spectacle en amenait toujours un autre encore plus violent, évidemment, voilà que l’équidé se trouvait dans un amphithéâtre circulaire à tourner en rond dans la démence de la vitesse pour une course de char où, bien souvent, il était victime de chutes ou de coups qui le blessaient à mortellement. Le sang, toujours le sang. Et comme ultime méfait apporté par l’homme envers on cousin le cheval, il fallut bien en arriver au charcutage à proprement parler, puisque si son lait était déjà utilisé par les consommateurs, il fallut aussi que sa peau se fît cuir rentable et que sa viande dégoulinant d’hémoglobine se vendît au plus offrant afin de garnir son estomac. Ce sang, toujours ce sang. J’arrêtai Épona et en descendit soudainement me sentant sur le point de vomir toutes mes entrailles.

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Coup de cœur : 8 / Technique : 9

Commentaires :

pseudo : damona morrigan

Je viens de finir ma lecture et je ne trouve pas les mots pour expliquer ce que je ressens. Tout ce que je sais, c'est que ça confirme bien ce que je t'ai déjà dit. Immense CDC suis fan !!!

pseudo : lutece

C'est vrai qu'on se prend dans le tourbillon de ton histoire, j'ai la sensation de le caresser et de le sentir ce cheval tellement ce récit est précis. j'attends impatiemment la suite et Bien sûr, un ENORME CDC

pseudo : w

Merci bien damona morrigan, ce que tu dus me touche énormément ; n'oublie pas que la carte de membre de mon fan club coûte 50 € (j'ai fdes frais moin non mais !!!) Merci lutece, cette nouvele a nécessité un travail de recherche immese : des centaines de passes compulsées pour parvenir à disposer d'un univers crédible, moi qui n'y connais quqsiment rien en chevaux.

pseudo : damona morrigan

Tu pourrais faire un effort pour le prix de la carte de membre, pas de remise pour la reine?

pseudo : lutece

...Oui je pense que "la féee sereine" serait comblée par un tel cadeau pour le 19, jour de son anniversaire!!!

pseudo : damona morrigan

Ô petite bleuet c'est entre mister w et moi !

pseudo : w

Ne vous battez pas pour moi, nous allons tirer à la courte paille pour aujourd'hui :-) Merci damona pour ta gentillesse et... pour te répondre... J'accepte les paiements en nature ;-) lutece, je n'oublierai pas ton anniversaire, ne t'inquiète pas. Je vous embrase toutes les deux très fort. Merci encore.

pseudo : lutece

P.S. Ce n'est pas mon anniversaire, c'est celui de Damona!!!

pseudo : w

oui lutce, j'ai été distrait lorsque je lisais ta com, et je l'ai mal intêrprétée. Sorry angel.