Pour la centième fois, par dessus ses lunettes noires, Denzel relut l’annonce sur la banderole tendue au sommet de la vitrine. Dans l’étalage, les trois modèles existants de l’Ecobox étaient disposés en diagonale occupant toute la largeur de la devanture.
Chaque Ecobox était placardé d’une affiche fluorescente sur laquelle on avait écrit à l’encre rouge les données techniques et les spécificités.
L’Ecobox I, le plus petit, le moins cher aussi, avait été conçu pour les célibataires ou les couples sans enfant. D’une capacité de 60 litres et d’une autonomie de 3 mois, l’Ecobox correspondait parfaitement aux nécessités et besoins moyens d’un célibataire ou d’un couple par trimestre.
Denzel l’oublia et se pencha sur le second.
L’Ecobox II, bien plus cher, était une boîte verte (tous les Ecobox étaient de couleur verte), de forme parallélépipédique, monté sur roulettes et muni de deux poignées. D’une capacité de 150 litres et d’une autonomie de 3 mois, celui-là, disait la pancarte, s’adressait plus particulièrement aux familles comptant au moins 4 personnes.
L’homme se gratta la tête, réfléchit l’espace d’une seconde, puis il décoda l’affiche suivante.
L’Ecobox III, dernière génération, disaient les mots rouges en gras.
L’Ecobox III mesurait 1 mètre de côté sur 1,30 mètre de hauteur. Il était muni de 4 roues et d’un bras oscillant servant à le déplacer sans effort. D’une capacité de 350 litres, l’Ecobox III avait une autonomie de 6 mois et correspondait, en moyenne aux nécessités et besoins de 7 à 8 personnes par semestre. Son prix n’était pas indiqué, mais l’annonce assurait qu’il y avait possibilité de crédit facile.
Denzel souffla. Il vérifia s’il avait bien son portefeuille en poche, l’en extirpa et sortit une photo toute racornie. Une photo ternie et jaunie par le temps, une photo de 4 jeunes enfants. Les enfants de Denzel, encadrant Linda, son épouse. Denzel inspira une grande bouffée d’air frais et pénétra dans le magasin.
D’emblée le vendeur s’avança vers lui, son visage bronzé fendu d’un large sourire dévoilant sa dentition parfaite.
- Monsieur ? puis-je vous servir ? lança-t-il de sa voix mâle et assurée.
Denzel l’observa des pieds à la tête, ce qui ne parut pas gêner l’autre, qui s’avança davantage vers son client potentiel.
Le vendeur avait revêtu l’uniforme du magasin: cravate jaune sur chemise bleue, gilet vert, pantalon noir et chaussures à rayures jaunes. Denzel renifla son after-shave qui empestait.
- Vous avez fait votre choix ? le vendeur posa sa main lourde sur l’épaule de Denzel qui frémit.
- Oui, le III ! Balbutia Denzel en ravalant sa salive et en désignant l’Ecobox d’un geste du menton.
- Monsieur a une grande famille apparemment, vous avez raison, avec l’Ecobox III, vous ne regretterez rien ! De plus, vous savez que l’Etat vous rembourse jusqu’à 10 % du prix d’achat pour 4 enfants à charge ! Venez, approchez, nous allons voir cette merveille de plus près. Le vendeur prit Denzel par le bras et l’emmena dans la vitrine.
- Vous voyez, ici, ce sont les bacs de diluant, vous devez toujours bien prendre garde à ce qu’ils soient fermés; là c’est la sécurité, vous comprenez, pour les enfants, je vous rappelle que tous les Ecobox sont propres et libres; ils fonctionnent sans énergie et ne polluent pas ! Là, c’est la cuvette de récupération, 350 litres, à manipuler avec précaution si vous achetez la recharge, les services de collecte d’immondices se chargeront, pour une somme modique, de venir vous en débarrasser une fois qu’elle sera pleine, mais, je vous rassure tout de suite, avec ce modèle-là, vous avez droit à 900 kilos de déchets ménager. 900 kilos, soit six mois de besoins et nécessité en moyenne pour-
J’ai lu la pancarte, l’interrompit Denzel qui savait tout cela par coeur.
- Au fait, je me présente, le vendeur pointa de son index manucuré le petit rectangle jaune qui portait son nom sur sa poitrine musclée, Bart Deep, pour mieux vous servir et à votre disposition pour tout renseignement. Combien d’enfant avez-vous Monsieur ? Monsieur ? Le vendeur voulu sympathiser, mais Denzel détourna l’attention.
- Peut-on faire un essais ?
- Je vous demande pardon ? lança le vendeur éberlué.
- Un essais, je voudrais voir la machine fonctionner ! insista Denzel en s’efforçant de pincer les lèvres en un faux sourire.
- Un essais ? heu, oui, bien entendu. Deep prit un dépliant publicitaire au hasard, il le roula en boule, enclencha la touche de mise en marche de l’Ecobox, et, quand la lampe verte s’alluma, il poussa la trappe d’aspiration et y jeta le papier chiffonné.
- Vous voyez, c’est tout simple ! C’est sans bruit, sans odeur et pratique !
- Et avec les gros paquets ? s’enquit Denzel en touchant la trappe argentée de ses doigts tremblants.
- Jusqu’à 80 litres en une fois, mon brave, d’une traite, l’Ecobox vous fait tout disparaître !
- Que reste-t-il de la boulette de papier ? Denzel contourna l’appareil.
- Voyez vous-même ! Deep ouvrit le bac de récupération, celui était vide, hormis un minuscule confetti de matière compacte et étrange.
- On peut tout y mettre ?
- Pas les métaux ! Vous le savez, pas les métaux !
- Mis à part les métaux, on peut tout y mettre ?
- Tout ! Papier, carton, plastique, bois, matière composite, restes de cuisine, couche-culotte, tissus, laine, synthétique, tout ! Tout, sauf les métaux.
- Que se passe-t-il avec les métaux ?
- Rien, ils restent tels quels !
- Combien pesez-vous, Monsieur Deep ?
- Je vous demande pardon ?
- Votre poids ? Denzel haussa le ton.
- 75 kilos, pourquoi ?
Le visage de Denzel Brackman changea littéralement. Ses traits se tirèrent, ses joues se creusèrent et s’empourprèrent. Il se jeta sur le vendeur, le souleva d’une traite sans que celui-ci eut le temps de réaliser, et, d’un coup rein extraordinaire, il poussa l’homme dans l’Ecobox.
La trappe résista un peu, mais la tête de Deep y disparut tout de même. Denzel poussa davantage, le torse du vendeur y pénétra sans encombre. Comme soudain devenu fou, Denzel, enfourna le vendeur dans l’appareil.
Il entendit à peine le malheureux se cogner la tête dans le fond de la boîte. Denzel recula.
Dans un hurlement atroce, l’Ecobox se mit à bouger en tous sens, secoué par les mouvements de paniques de Deep.
Une main réapparut par la fente de la trappe, mais elle retomba aussitôt dans l’obscurité, par intermittences, les cris de la victime s’échappaient de la machine.
Soudain, une tête, à moitié dévorée, comme éclaboussée d’acide mordant, surgit par la trappe, Denzel se précipita, exhibant fièrement la photo de ses quatre enfants et hurla tant qu’il pouvait:
- Que tu prennes ma femme, peu importe, mais pas eux, pas eux, pas eux !
Sans le savoir, Denzel Brackman fut un précurseur dans son genre, il venait de perpétrer le tout premier crime passionnel écologique.
23 secondes plus tard, la montre et la chevalière de Bart Deep retombèrent dans la cuvette de récupération, ensevelies sous une masse ridicule d’une matière compacte, propre, et non polluante.
FIN.
"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"
Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 377
Coup de cœur : 8 / Technique : 8
Commentaires :
pseudo : Mignardise 974
J'adore ! la fin est vraiment très drôle. énorme CDC !
pseudo : ...................
Daccord avec le commentaire du dessus.
Nombre de visites : 60777