De mon exil intérieur en cette Albion onirique, je gravais sur la stèle marbrée de mes désillusions des mots enflammés avec la plume de ma colère. Ma main s’agitait en tout sens, tentant vainement de contrôler le flux torrentiel de mes idées qui se déversaient sur le papier virginal. Malgré la chaleur intense qui se dégageait d’un radiateur plus loin à ma gauche, je grelottais dans ma soupente existentielle sous la puissance véhémente d’un vent glacial qui s’introduisait par la porte-fenêtre grande ouverte permettant d’accéder au balcon, là, à ma droite. Mes tremblements se firent spasmes et, tout en continuant à écrire de manière automatique, je tombai soudainement dans une sorte de songe maladif. Je me vis pénétrer dans un grand édifice de pierres finement taillées dont chaque fenêtre était étoilée d’un drapeau tricolore aux couleurs vives. Je souriais. J’avançai le long d’un couloir illuminé de mille flambeaux, avant d’entrer dans une pièce tout de bois rare vêtue dans laquelle s’alignaient en rang d’oignons une poignée d’individus, assis, l’air hilare, m’attendant tout en me faisant signe d’avancer vers eux. Je me sentais fier de moi. Je leur présentai des papiers (mes papiers…), pris je ne sais quel prospectus écrit noir sur blanc et m’enfonçai dans une étroite cabine d’où je tirai un rideau − voile pudique pour un choix inique. Un carré, une croix, un rectangle. J’en ressortis, me dirigeai vers une urne (que j’ignorais idéologiquement funéraire à ce moment) et introduisis l’enveloppe dans la fente prévue à cet effet. Je croyais alors accomplir un acte juste, être un citoyen digne de ce nom, exister en tant qu’individu au sein d’une collectivité bigarrée. Je ressentis brusquement une douleur vive au bout de la main et dégageai cette dernière à toute vitesse de la fente. Ce fut avec horreur que je m’aperçus que je n’avais plus en guise de doigts que des moignons ensanglantés… Je me réveillai soudain sous le bombardement qui s’abattait non loin des croisées. Je m’arrêtai d’écrire, me levai, puis me dirigeai vers le balcon où, après avoir posé mes mains sur le garde-corps, je me mis à écouter un tintamarre pestilentiel. Là-bas, à l’horizon de mes yeux, sur la place Rape en contrebas, un troupeau de moutons chamarrés avait encerclé une estrade sur laquelle leur berger, déguisé en croque-mort par ces vêtements anthracite, haranguait cette foule lobotomisée. Du haut de mon balcon où une colombe venait de laisser s’échapper une plume à la blancheur immaculée, je trouvais cet « horrateur » si minuscule, là-bas, perdu au beau milieu de cette estrade gigantesque. Et il vociférait maintenant plus fort, encore plus fort, toujours plus fort. …Un hurlement à talonnettes !
Alors que ses mots déchiraient et l’espace et le temps, je plongeai peu à peu dans le lac moiré de mes réminiscences, de telles sorte que je pusse atteindre une terre ancienne et mystérieuse où j’eus l’opportunité, à loisir, de contempler les affreuses affres affriolant les uns pour mieux réduire à néant les autres. Le rideau rouge s’ouvrit et apparut un petit pantin pathétique qui commença à parler tout en faisant branler ses bras menus et anguleux à tout bout de champ. C’était lui. Il parla des malheurs qui frappaient ces (ses ?) pauvres ouvriers qui allaient perdre leur emploi, il fit couler nombre de larmes sur les yeux des spectateurs hypnotisés, il dit alors que c’était injuste et indigne de son royaume, qu’il ne laisserait pas se faire cela. Et il prononça des promesses − toujours des promesses ! − par lesquelles il jura sur ce qu’il avait de plus cher, sur son âme aussi, qu’il lutterait contre ce malheur immérité, qu’il empêcherait que ce drame se produisît, que tout finirait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Possible ? Certain ! disait-il. Ses mots se formulaient dans sa bouche de manière si claire, si simple, si populaire en fin de compte que tous les gogos qui l’écoutaient n’auraient jamais eu la clairvoyance d’esprit de remarquer qu’en vérité, lui, lui ne régnait que par et pour les dorures et les flonflons des palais et hôtels privés. Malgré ses talents en rhétorique, je compris bien vite qu’il n’était qu’une minable marionnette dont les financiers et industriels tiraient les ficelles. Minable !
Mes paupières s’entrouvrirent légèrement et je crus naïvement me réveiller enfin, mais dans l’univers qui m’entourait ne régnaient que les ténèbres des pleurs, le vide des cris, le silence des peurs et le chaos des tourments. Un torrent de lave s’abattit soudain à mes pieds, alors que de partout j’entendis la clameur sourde d’un peuple en proie aux pires supplices. La crise venait de cracher ses flammes de destruction. Dans la nébuleuse qui me cernait, je vis soudain un lutin rachitique apparaître dans un halo de lumière blafard. C’était lui, à nouveau lui. Il se mit à héler tous ceux qui pouvaient l’ouïr, il brailla à s’en arracher les cordes vocales de telle sorte que nul ne put échapper à sa cataracte verbale. Les petites sociétés proches du dépôt de bilan ? Je vais faire, sous très peu de temps, de nouvelles lois qui les protégeront à tout jamais et je leur obtiendrai des subventions à profusion ! Les chômeurs ? Je leur trouverai rapidement un travail satisfaisant… très bien rémunéré ! Les mal-logés et sans-domiciles-fixes ? Bientôt, très bientôt, je leur donnerai les moyens de vivre dans des palaces aux façades dorées ! Le mal-être et le mal-vivre ? Je vous jure que vous vivrez tous dans la jouissance de la plénitude existentielle… grâce à moi ! moi ! Moi ! MOI ! Mois passèrent, et rien ne vint, juste l’espoir lentement estompé. Mais peu en importait au lutin rachitique, l’important était de gagner du temps, toujours plus de temps. Cernée par une enceinte de saphir, une forêt d’émeraude dissimulait sournoisement la façade d’un palais de diamant dans lequel un feu rubis d’ambition démesurée brûlait les entrailles du lutin rachitique. Nulle préciosité ici, sinon la noirceur d’un morceau de charbon consumé en guise de bilan. De son appétence égoïste ne demeura bientôt plus que les braises de la souffrance d’un peuple qui se métamorphoseraient promptement en des cendres de promesses jamais tenues. --> le passé chatoyant avait engendré un présent livide --> « Selon que vous serez… », il n’y a de justice que pour ceux qui détiennent déjà l’un des rênes du pouvoir. Ainsi, médiatiquement, théâtralement, sournoisement, perversement, le gouverne ment, le parle ment, le Préside ment. Manipulations et Mensonges !
Peu à peu, les surfaces s’étiolèrent et les lignes s’effacèrent, ne subsista de ce monde que le lugubre de mon cœur en guise de métaphore à mon affliction. L’horreur allait-elle finalement s’achever ? Allais-je enfin revenir à la réalité après ce cauchemar saisissant ? Non, bien entendu que… non ! Tout cela n’était qu’un prélude à mon désespoir. Une faible lueur transpira dans la profondeur de la nuit et, la peur au ventre, la sueur me dégoulinant le long du dos, des frissonnements dans tous le corps, je m’avançai à petits pas vers elle. Elle m’hypnotisa, m’attira à elle, fit de moi le voyeur de ses méfaits. La lumière se fit vive, c’était un néon rouge sur un fond jaune qui indiquait les mots : Bon accueil ! …Une fête foraine. Les prétendues festivités qui s’y déroulaient étaient voilées par un double rideau : l’un rouge, à gauche, l’autre bleu, à droite, et un interstice blanchâtre entre les deux. Ce fut là que surgit une nouvelle foi l’autre, cette fois il était devenu un entraîneur, il avait pris l’apparence d’un misérable shayãtîn aux membres tordus, à l’œil scintillant et au sourire figé. Il beuglait des « Entrez ! entrez ! vous ne serez pas déçus ! soyez tous les bienvenus ! » Mais il fallait payer l’entrée au prix fort : le shayãtîn prenait le bras du convive, lui pinçait sa peau ivoire, faisait éclater une de ses veines safres et répandait son sang cardinal sur le ticket. Il pouvait ensuite pénétrer au sein du saint des saints. Mais gare à celui qui ne pouvait payer ! La fête foraine n’était point une terre d’asile pour l’indigent mais seulement pour le fortuné qui saurait y dépenser son argent allégrement et, au passage, laisser un bakchich substantiel à l’entraîneur. Et nul mot ne saurait décrire ce qu’aurait à endurer le sans-le-sou, si l’entraîneur donnait l’ordre à ses sbires aux uniformes brunâtres de le conduire à la cage aux fauves. (Nul mot…) Le shayãtîn attrapa alors sous mes yeux l’un d’entre eux. Celui-ci, probablement candidement, lui demanda pourquoi il portait un tee-shirt sur lequel le nom « elfe » était barré d’un trait vif et rouge. L’autre lui répondit que c’était parce qu’il refusait d’être un elfe, qu’en fait, il était un « ELF ». « Un ELF ? » lui rétorqua l’indigent. Le shayãtîn le regarda droit dans les yeux et lui lança : « oui, un ELF : Égalité, Liberté, Fraternité ! » Et sur ces derniers mots, le sans-le-sou fut alpagué par les hommes en brun et traîné dans une impasse où son cri finit par s’éteindre après que le claquement métallique d’une grille se fût fait entendre. Le shayãtîn passa alors sa main sur le côté gauche de sa poitrine, où battait faiblement son cœur, et sourit ; il la passa ensuite sur le côté droit, où trônait son portemonnaie, et se mit à émettre un rire sardonique qui emplit l’espace et me remplit l’âme d’une douleur sans nom. …/… Égalité envers chacun de nous… et surtout pour celui qui pourra se la payer plus chèrement que les autres ; Liberté pour tous… sauf pour ceux qu’on a décidé de ne pas considérer comme des hommes ; Fraternité entre tous les êtres humains… mais c’est le shayãtîn qui trace l’arbre généalogique au feuillage hexagonal. …/… Et comme je n’avais jamais su exprimer autrement ma rage que par le biais des mots, je saisis un papier et un stylo dans ma poche. Et comme j’avais toujours aimé mettre les points sur les i, je rajoutai un i au mot elf. Et comme de la clarté j’avais toujours préféré l’ésotérisme, je me mis à jouer à l’anagramme avec ma plume. ELF Í… juste du… FÍEL !
Un tremblement de terre assourdissant eut tout à coup lieu et du temple de mes désirs ne resta plus que les décombres de mes soupirs. Une tempête de sable se leva alors et ravagea tout ce qu’il demeurait encore, ne subsista plus que des fondations ensablées. Les cheveux en bataille, le visage buriné, les lèvres craquelées, la peau souillée par un brun doré, j’avançai de quelques pas vers les fondations sur lesquelles se trouvait une plaque de béton armé à la forme hexagonale. Je mis les pieds dessus. Ce fut à ce moment qu’un orage éclata dans un craquement d’horreur. Je levai les yeux vers le firmament et, là, je vis avec effarement que le ciel était devenu un écran géant de cinéma sur lequel mes yeux projetaient le plus mauvais des films, une production à 100% française. Les photogrammes étaient striés ainsi qu’en noir et blanc. Je me mis à assister à un spectacle bien étrange. Le paysage montagneux de la Suisse apparut et bien en deçà des plus hautes cimes, je pus remarquer la présence de quatre chétifs minarets qui, brusquement, réapparurent sur une affiche de propagande électorale. Leurs pointes transpercèrent le drapeau helvétique sous le regard enturbanisé d’une femme. Quatre petits minarets pour un si grand drapeau… − Le ridicule ne tue pas, il atomise ! − Et ce fut à cet instant, que lui, toujours lui, refit surface, cette fois-ci sous la forme grotesque et repoussante d’un ignoble gnome dont les odeurs corporelles empoisonnaient l’univers d’une pestilence indescriptible. Dans sa main gauche, il tenait l’affiche en question ; de la droite, il pointait du doigt une femme portant un voile intégral. Il ouvrit la bouche et ne dit qu’un mot, mais un mot qui résonna plus fort que tous les fracas de toutes les chutes du Niagara, il dit : Burqa ! La burqa… Je me rendis compte presque immédiatement à quel point un mot lâché de la sorte pouvait engendrer tant de dégâts, surtout lorsqu’il ne correspondait à rien. Car, saufs exceptions qui pouvaient se compter sur les doigts de ma main, il n’y avait personne en cette terre hexagonale qui portait un tel vêtement. Seules des femmes en Afghanistan, au Pakistan et quelques une en Inde revêtaient la Burqa. Evidemment, susciter la confusion entre un voile et un pays de terroristes avait ses avantages… Et pourquoi se soucier d’un détail comme celui de la vérité face à une foule trépanée ? Au fond, comme le disait si justement Adolf Hitler, plus un mensonge est gros, plus il est crédible ! Je compris rapidement que le vilain gnome puant parlait du Niqab, un voile intégrale dont les origines islamiques s’avéraient contestables, qui n’était porté que par quelques centaines de femmes sur ce territoire enflammé de haine et d’ignorance. Alors quoi ? Sous la fureur de politichiens enragés, de médiagaga bluffés, d’une meute populaire assoiffée de sang, fallait-il faire une énième loi inutile, d’ailleurs anticonstitutionnelle, réservée à une poignée d’individus ? Fallait-il encore une fois faire usage du mot non pas pour poétiser la vie, l’amour et l’humain mais, au contraire, pour stigmatiser une petite minorité afin de faire main basse sur la majorité des électeurs ? Comme ces monstrueux malfaiteurs aux doigts crochus et au nez busqué durant l’Allemagne des années 1932-1945 ! Et le gnome putride se mit à vomir ses excréments de haine sur la surface des cieux, du bleu on passa au brun-rouge, et la nuit se fit. Je ne vis plus rien d’autre que le néant, non pas seulement sur mes yeux, mais aussi dans mon cœur. Il n’y avait plus rien, sinon l’image fugace, dans ma mémoire, de lui, le gnome repoussant duquel il exhalait des relents maudits. Maudit sois-tu !
Je me réveillai soudainement sans comprendre où je me trouvais et ce qu’il m’était arrivé. Au bout de quelques secondes, ayant baillé à en décrocher ma mâchoire, m’étant étiré au maximum de mes capacités musculaires, ayant cligné autant de fois que possible mes yeux afin de relever le flou qui couvrait mes prunelles, je compris que j’étais sur mon balcon, là, à quelques dizaines de mètres d’une estrade plantée sur la place Rape. (Rape’em all !) Et sur l’estrade enflammée, la limace nerveuse ne cessait de s’agiter en crachant son venin sur la foule soumise et masochiste. Des larmes coulaient à profusion de mes yeux, lorsqu’un éclair étincelant brisa le ciel. Je poussai un cri de souffrance de mon balcon qui n’eut pour écho qu’un cri de haine en contrebas. Je ne sus, je ne pus trouver les mots pour exprimer ce que je ressentais à ce moment là, là, au plus profond de mon cœur. Ce fut alors, peut-être dû à un instinct poétique, que je crachai au ciel toute la salive qui restait encore dans ma bouche. Le jet propulsé monta si haut qu’il toucha le firmament. Ce fut à cet instant qu’une pluie forte, drue, diluvienne s’abattit sur la place. La meute se mit à s’alerter, à bouger en tout sens, à parler, à hurler, avant qu’elle ne se disloquât entièrement et ne s’éparpillât aux quatre vents. La place était vide. Il n’y avait plus que lui sur l’estrade. Il ne bougeait plus. Il ne parlait plus. (Il faisait si beau en mon âme.) J’élevais alors ma main gauche, plaçai la silhouette difforme de l’autre entre le pouce et l’index, et me mis à appuyer fort, très fort, si fort… De minuscule, l’autre se fit nabot. Il ne resta bientôt plus de lui qu’une tâche saumâtre et noirâtre sur le bout de mes doigts. Et ce fut ainsi que, sous mes yeux pétillants, disparut à tout jamais Naboléon.
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Commentaires :
pseudo : Iloa
J'ai lu...j'ai avalé ta nouvelle et vais à présent la digérer. Ce texte est époustouflant d'intelligence...Quel grand écrivain tu es ! Je suis heureuse d'avoir la chance de te lire. Merci.
pseudo : damona morrigan
Excellent ! Grand maître, bravo et merci.
pseudo : dees_d_amoure
je suis d'accord avec LLOA merci pour le partage cdc
pseudo : Mignardise 974
Tu manies vraiment bien l'écriture et la langue ce qui donne un texte assez engagé (voire très) si on regarde le fond. J'aime les jeux de mots, la poésie et les idées fortes qui se dégagent de ton texte. Waouh ! époustouflée ! CDC !
pseudo : PHIL
excellent d'autant que sur un site j'avais choisit le pseudo de Napolaidron
pseudo : w
Merci Iloa, damona morrigan et dees_d_amoure. J'étais pressé par le temps et ai dû rédiger cette nouvelle pamphlétaire en une dizaine d'heures seulement, ce qui est un rythme intense vu le temps que je prends d'habitude pour écrire trois pages 1/2 sur word. Quelques modifications légères seront ajoutées au courant de la journée, histoire que Naboléon corresponde à mes envies. Merci PHIL et Mignardise. Je ne sors jamais manifester, je ne passe sur aucun media, alors ma seule façon d'exprimer ce que je pense d'une telle situation est... l'écriture. Et malgré quelques difficultés lors de la rédaction, j'ai pris un réel plaisir à faire saigner mes veines d'une telle prose. Maintenant, je vais laisser des commentaires sur certains de vos textes que j'avais délaissés ces derniers jours. Bisous à tous.
pseudo : damona morrigan
N'oublie pas d'aller faire un tour chez moi, il y a un haïku en ton honneur !
pseudo : Ferski
très jolie Texte avec des idées intéressantes,j'aime bien Bravo
pseudo : w
oui, oui, damona morrigan, j'y ai pensé, pas de soucis. Je te remercie pour ce merveilleux Haïku. Cela me donne envie d'en écrire aussi...mais avec propres règles. :-) Merci Ferski, au plaisir de te lire aussi.
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