Je connais un parc où j’aime à me promener aux beaux jours. L’herbe y paraît plus verte qu’ailleurs ; il baigne dans une atmosphère sereine. Il me semble que là-bas le chant des oiseaux est plus beau et que les fleurs sont plus éclatantes. Il y règne une espèce d’éternel printemps. Je m’y rends souvent avec un livre que je n’ouvre jamais, c’est juste pour me donner une certaine contenance.
De plus, il n’y a pas ces horribles pancartes « défense de marcher sur les pelouses ». C’est quelque chose que je n’ai jamais compris, c’est comme si on offrait une jolie poupée à une petite fille en lui interdisant de jouer avec. J’éprouve une certaine satisfaction à retirer mes chaussures pour fouler pieds nus ces carrés de verdure.
Quelquefois, je m’y allonge pour respirer l’odeur de la terre, ça sent si bon ! Des bancs bordent l’allée, l’un d’entre eux, m’attire tout particulièrement. Il est invariablement occupé par un monsieur sans âge qui respire la sérénité. J’ai mis très longtemps à m’en approcher, sans doute par pudeur ou par le profond respect qu’il m’inspire.
Un jour pourtant, prenant mon courage à deux mains, je me suis assise du côté opposé souriant timidement au vieil homme. Il m’a rendu mon sourire et s’en est suivie une conversation étrange…
Nous avons parlé de choses et d’autres. Au cours de notre échange, je lui ai avoué qu’il y a un moment que je l’observais et lui trouvais quelque chose de fascinant, une tendresse extraordinaire l’irradiait. J’ai vu une lueur dans son regard, soudain il paraissait avoir retrouvé toute sa jeunesse et il s’est mis à me raconter son histoire insolite.
« C’était il y a bien longtemps, un village commun, et, un peu à l’extérieur du bourg, une demeure isolée. Personne n’osait trop s’approcher de cette maison, un grand malheur avait frappé le gentil couple qui vivait là. La mère avait donné naissance à un petite fille, jolie comme un cœur avec ses cheveux blonds comme les blés et les yeux d’un beau bleu azur. Et, c’était comme si, pour la punir d’être aussi belle, une méchante fée s’était penchée sur son berceau et l’avait rendue muette. Le modeste couple en était désolé, il faisait tout pour rendre son enfant heureuse, essayant de combler son handicap par tout l’amour qu’il lui portait. Mais rien n’y faisait, elle avait toujours une profonde tristesse au fond des yeux. Cette famille vivait à l’écart, puisque, comme chacun sait, le malheur fait fuir, comme s’il s’agissait d’une espèce de maladie contagieuse. Et ce qui est différent dérange, c’est bien connu !
Un jour pourtant, un autre foyer venu de la grande ville vint s’installer dans le village. Il y avait toute une ribambelle d’enfants, mais comme souvent dans les fratries, un petit garçon, différent était voué à la solitude. Il ne s’amusait jamais avec ses frères et sœurs et aimait à se promener de longues heures, seul, courant à travers la campagne. Il s’était crée un monde à son image dans lequel il vivait heureux et n’avait besoin de personne. Imitant à la perfection le chant de tous les oiseaux, il était en symbiose avec la nature. Une autre de ses passions était de courir dans les herbes folles avec son filet à papillons et d’attraper ces insectes multicolores. Il les sortait des mailles du filet, les prenait délicatement au creux de ses mains et les observait. Quelquefois, il leur parlait, ensuite les relâchait comme s’il leur demandait de transporter ses mots et ses chants tout là-haut, dans le ciel.
Un matin pas comme les autres, ses pas le guidèrent vers la petite maison où vivait Clara. Comme à l’accoutumée, elle était assise sur son banc et observait le ciel et les nuages. C’était sa passion à elle, deviner des formes, imaginer des personnages. Au final, leurs deux mondes n’étaient pas si différents. Tous les deux s’étaient créés leur espèce de planète sur laquelle ils évoluaient chacun à sa façon. Le petit garçon la guettait, caché derrière un fourré, il la trouvait si belle ! Ce jour-là, il ressentit des sensations bizarres, son cœur s’était mis à battre très fort et une idée germât dans son esprit d’enfant pas comme les autres. Oh bien sûr, il avait entendu parler de la muette, d’ailleurs les gens baissaient les yeux et la voix en parlant d’elle comme si c’était un vilain secret.
Cette nuit-là, il fit un rêve, il se voyait courir la campagne tenant la main de Clara qui riait aux éclats en courant après des papillons. Mais ils ne ressemblaient pas du tout à ceux qu’il connaissait dans la réalité. Il se réveillât le matin, troublé par ce songe étrange. Ses pas le menèrent vers l’atelier de son père et presqu’instinctivement il se mit à fabriquer une jolie petite boîte. Il était très adroit de ses mains. Il la dota d’une serrure dont il avait trouvé la clef.
Le lendemain, il s’installa à son poste d’observation, avec, sous son bras la cassette qu’il avait confectionné et son filet à papillons. La petite fille était plongée dans ses pensées scrutant le ciel quand elle entendit le plus beau des chants d’oiseaux qu’il lui avait été donné d’entendre. Comme hypnotisée, elle quitta son banc et se dirigeât vers le fourré où elle découvrit, accroupi, un garçon qui lui souriait. En la voyant, son visage s’illumina et il se releva lui tendant timidement sa main. Elle lui tendit la sienne et tous deux partirent en courant dans les prés. Ils n’avaient pas besoin de se parler, c’est comme s’ils se comprenaient avec leurs cœurs.
Il l’entraîna dans un champ de fleurs sauvages qu’il ne connaissait pas. Mais là, ce n’était pas des papillons qui volaient, c’était des mots de toutes les couleurs. Il prit son filet, les attrapa un à un et les enferma dans le nouveau coffret de Clara et le refermait bien vite pour qu’ils ne s’échappent pas. Ils passèrent toute la journée ainsi, elle riait et rayonnait de bonheur. Ils allèrent se rafraîchir au bord d’un petit ruisseau où coulait une eau pure.
Les parents de la petite furent saisis d’angoisse lorsqu’ils découvrirent le banc désert, ils avaient beau appeler, la fillette ne répondait pas. Affolés, ils s’en allèrent prévenir tous les habitants du village. Dans un grand élan de solidarité, tous les voisins se mirent à battre la campagne à sa recherche. Ce n’est que bien plus tard qu’on les découvrit endormis au pied d’un saule pleureur. C’était un bonheur de les voir ainsi, la fille serrant fermement son trésor sur son cœur.
A partir de ce jour, les deux enfants devinrent inséparables et il y avait foule devant le banc, Clara sortait sa clef, ouvrait la boîte et distribuait ses mots multicolores à qui voulait et, chacun s’en retournait chez lui avec une richesse inestimable. Elle distribuait de la tendresse bleu ciel, de l’amour rouge écarlate, de l’espoir vert d’eau, de la chaleur jaune orangé, de l’amitié rose bonbon, de la sincérité blanche perlée, tant de mots encore…
Le petit garçon, c’était moi. Je ne l’oublierais jamais, cette princesse. Elle m’a offert le mot tendresse et je l’ai gardé au fond de mon cœur toute ma vie et l’ai partagé tant que j’ai pu »…
…Je sors doucement de la torpeur dans laquelle ce récit m’a plongé et, lorsque je me retourne vers mon interlocuteur, il a disparu. Aurais-je donc rêvé ? Je n’en sais rien. Pendant des semaines et des semaines, je suis retournée dans ce parc, mon vieux monsieur n’est jamais revenu. Mais, souvent à la place qu’il avait occupé, je trouve un joli bouquet de bleuets…..
FIN
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Style : Poème | Par lutece | Voir tous ses textes | Visite : 618
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Commentaires :
pseudo : damona morrigan
J'adore l'idée des mots multicolores, dis Lutèce, tu sais si Clara à un mot violet mauve? Si oui, je serais ravie d'en recevoir un. Féérique, gros CDC, merci.
pseudo : Lutece
Merci mon amie. Violet mauve? je verrais bien amour maternel, tiens je te l'envoie, bise !
pseudo : damona morrigan
Comme la terre-mère, ô merci !
pseudo : féfée
Mon dieu qu'elle est magique et magnifique cette histoire ! Merci pour ce grand moment d'émotion. CDC
pseudo : lutece
Merci féfée mais c'est moi qui te remercie, ton petit com m'a fait comme un déclic, sans lui je n'aurais sans doute pas inventer cette histoire, biz amicale
pseudo :
Voilà un conte intensément touchant dans lequel les coouleurs des papillons sont aussi vives que celles des mots. Il faudrait que je me construise moi aussi une jolie pete boîte où je pourrai préserver tous ces mots qui sont si chers à mon coeur. Bisous et à bientôt lutece.
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