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Dans une jolie maison... Partie 2 par Rackma

Dans une jolie maison... Partie 2

 

 

 

 

 

 

 

 Une semaine passe. Une nouvelle fille arrive. La première a été poignardée dans le torse tandis qu’elle fermait les yeux. La seconde est étranglée avec un bas de soie. Octave a eu beau hurler, tenté d’apparaître, rien n’y a fait. Elle est descendue toute souriante. Ils ont fait l’amour, et soudain, de sous l’un des oreillers, il a tiré son bas, après lui avoir demandé de se mettre sur le ventre.  Elle, pense deviner avec excitation, une pratique peu catholique, s’est exécutée sans grande difficulté. Pour finir, elle s’est retrouvée avec ce bas autour de la gorge. Il a serré, tirant le tissu vers le haut, obligeant la fille à regarder la glace. Son visage et son corps, ont montré les stigmates de l’apoplexie, puis, ceux de l’asphyxie. Son visage est devenu bleu, les yeux ont semblé sortir de leurs orbites, son corps a convulsé, et puis…plus rien.

                Ensuite le mec a mis le cadavre dans la caisse, puis il a regardé sa vidéo quand il est revenu, et Octave a récupéré cette nouvelle victime.

                La troisième, est arrivée la semaine suivante, et le même manège s’est répété. Là encore, il a fait en sorte qu’elle soit face à la glace (instrument érotique pour tout voir), à genoux, lui derrière elle. Là encore, il a tiré un instrument de mort de sous l’oreiller, un couteau. Il a remonté sa main baladeuse, partant du bas du ventre, passant sur un sein, le long du cou, sur le visage, jusqu’au front. Il lui dit « Ferme les yeux » et elle s’exécute. Rapidement, quoique avec douceur, il lui fait pencher la tête en arrière. Elle repose la nuque contre l’épaule de son cavalier, et soudain sent la sensation étrange d’un fil de froid le long de sa gorge. Elle ouvre soudain les yeux, et n’a que le temps de sentir le fil glisser. L’homme vient de lui ouvrir la gorge, le sang gicle et coule sur la poitrine saillante de la jeune femme, transformant son corps en une sublime cascade rouge. La fille part en soubresauts agités, et l’homme la repose sur le lit, pour la laisser terminer ses macabres convulsions.

Une troisième victime, un troisième fantôme à la charge d’Octave, qui ne sait plus quoi faire. Et rien ne s’arrange, avec une quatrième et une cinquième victime. Elles n’ont pas conscience d’être mortes. Elles n’arrivent pas à comprendre, ce qu’elles font là, nues et blessées. Et comme elles ne comprennent pas ce qu’elles sont, elles ne peuvent pas partir. C’est tout du moins ce qu’il pense. Mais en même temps, il n’en est pas sur. Lui, il sa     it qu’il est mort, et pourtant, il n’a jamais réussi à partir. Il ne sait même pas s’il a jamais eu une place de l’autre côté. Enfin bon, le problème reste entier. Les filles ne savent pas que leurs corps, sont en train de pourrir dans la terre autour de la maison. Elles sont assises par terre, se cachant le corps, se balançant en gémissant. Ça  commence à le rendre dingue. Ah ! Si seulement sa vieille amie était là, elle saurait quoi faire.

Le brave fantôme laisse les filles au grenier, et descend dans le séjour. L’homme vient de jeter son journal négligemment ouvert sur la table. Octave y jette un coup d’œil, et quelle  n’est pas sa stupeur, quand il voit ce visage qui lui est si familier, quoiqu’un peu changé. Sa petite vieille, là, en photo sur le journal. Elle fête ses 112 ans dans sa maison de retraite, entourée de… de… de plein de gens qu’il ne connaît pas. Il a beau chercher, il ne voit pas son couillon de gamin et sa bécasse.

Jamais pu les souffrir ceux-là.

Mais elle, si seulement elle était là, elle saurait quoi faire. Mais elle est là bas.

« Il est temps pour toi de quitter ce lieu. »

Octave se retourne presque en entendant cette voix, « la » voix. Cette voix qui l’avait mené à la guerre, lui avait fait tuer l’officier, et l’avait mené ici pour mourir. La voix était là, à nouveau.

« Partir ? Pour aller où ?

--Tu le sais. Tu dois la voir. Elle pourra te dire quoi faire.

--Elle ?

--Oui. Retrouve la et demande lui son aide. Tu dois trouver le moyen de l’arrêter. C’est là, ta rédemption. »

En quelques instants, son projet est bouclé. Il va retrouver sa vieille amie et lui demander de l’aider. Avec son aide, il pourra arrêter le monstre.  Elle a été la seule vivante à pouvoir le voir. Elle sait forcément pourquoi. Elle pourra certainement l’aider à agir contre le monstre.

Octave va voir les filles et leur parle de son projet. Elles lui demandent de ne pas partir, de ne pas les laisser seules avec leur assassin. Mais il n’a pas le choix. Il demande à la plus ancienne de s’occuper de ses…ses sœurs, comme il les appelle. Il lui demande aussi d’accueillir et de s’occuper d’une éventuelle nouvelle victime, s’il n’est pas revenu d’ici le mardi.

                Quelques instants après, il prend son courage à deux mains, et quitte son domaine.

 

 

***

 

                La ville, il n’a jamais vu, enfin, jamais depuis sa mort. Il a vu Paris, il y a longtemps, menacée par les boches. Mais ça a tellement changé les villes.

                Tout y est gigantesque. Pas un gigantesque merveilleux, un gigantesque oppressant.

                La dernière fois qu’il a vu la ville, c’était un soir de Noël. Il avait neigé et à part un ou deux fiacres, quelques malheureux, il n’avait pas vu grand monde dans les rues. Le ciel était couvert de gris et l’air était froid. Le temps est relativement clair et pourtant la ville est sombre. Alors qu’il avait vu Paris, enneigée, les rues vides d’humains, mais dotée de vie, il voit aujourd’hui cette ville pleine d’hommes et de femmes, mais vide d’humanité.

               

La ville a changé. Il est arrivé de nuit, la ville lui paraît sombre par son manque d’âme et pourtant ce qui l’a frappé, c’est la lumière. Une lumière partout présente. Une lumière, qui éblouit, brûle les yeux. La lumière, aussi bien celle des lampadaires, que les phares des voitures, ces véhicules qu’il n’a jamais vu en si grand nombre. Elles sont là, les unes derrière les autres, comme imbriquées dans une chaîne sans fin et les conducteurs de ces véhicules semblent être des machines, sans âme, sans sensation. La preuve c’est qu’ils ne semblent même pas entendre le bruit, un terrible vacarme, qui percute Octave de toute part, et puis, toujours ce foutu vide d’humanité.

                Les gens sont enfermés en eux-mêmes, à pieds ou transportés en automobile, en autobus.

                Le peu de visages que Paris a montré à Octave autrefois, étaient des visages témoins d’une grande misère, d’une vaste souffrance mais indiscutablement sujets d’humanité ; cette humanité aujourd’hui disparue. Les visages qu’arborent les gens, quand il parvient à les voir, sont des visages fermés sans autre expression que la lassitude, l’indifférence. Ce sont deux expressions, qu’Octave retrouve partout. Les uns sont las, ce qui importe peu aux autres, qui en sont indifférents, à un tel point qu’ils semblent plus savoir ni rire, ni pleurer, ni s’émouvoir, et que le faire devient si dur qu’on l’évite, de peur d’être trop vite lessivé, d’être trop rapidement lassé. Alors ils sont indifférents et l’indifférence répond à l’indifférence, devenant un mode de vie, une règle de cohabitation, qui au fond lasse jusqu’au plus altruiste des hommes.

                Les autres, ceux qu’Octave, ne parvient pas à voir, soit qu’ils marchent trop vite, soit qu’ils se cachent dans leurs automobiles, les transformant en silhouette informe, emportées bien vite, bien loin et bien ceux-là, Octave n’a pas même la possibilité de voir si leur âme est différente de celle des fantômes vivants, qui vont autour de lui.

                Il lui semble retrouver les gueules de ceux qui connurent les tranchées, comme si tous ces gens qui vivent en paix et dans la prospérité, vivaient simplement leurs journées, en se disant que chaque journée ressemble de plus en plus à n’importe quelle autre, et … attendent que tout s’arrête, le travail, la vie, les jours.

Octave prend peur. Il ne reconnaît rien, ni les lieux, ni les hommes. Le fantôme est totalement perturbé, perdu, désorienté. Tout est source de malaise, la foule, le bruit, la lumière. Il est perdu et ne peut pas même pas demander son chemin, car personne ne le voit. Alors il erre sur les boulevards, remplis de monde et regarde les gens ; ces gens qui ne peuvent le voir, et puis le bruit, la lumière, les yeux qui brulent, la gorge en feu. Il se retrouve en un instant dans les tranchées au cours d’un assaut. Le bruit, le feu, le sang. Il entend le cri des hommes mourant sous les balles, Brasseur fauché par un éclat d’obus à 5 mètres de lui, Raymond se vidant de ses tripes dans un cratère noirci et lui Octave, là, montant à l’assaut, contre ces boches, qui au fond, ne lui ont rien fait d’autre, que d’être dans le camp ennemi. Il est là-bas, hurlant comme si ça pouvait faire mourir l’ennemi de peur, avec des balles sifflant autour de lui, le fracas de la mort à chaque tournant. Il est là, tombé à genoux, entouré par le hurlement des mécaniques et il hurle à la mort, pour que tout s’arrête. Comme dans les tranchées, il sent l’air qui lui brûle la peau et les poumons, les lumières lui transpercent les yeux  et… une main sur son épaule.

 

                Octave sursaute autant qu’un fantôme le peut et se retourne pour voir le visage d’un homme, buriné par le temps et qui semble lui parler sans qu’il puisse entendre, rendu sourd par la ville.

                « Quoi, parvient-il à prononcer ? »

                L’homme le tire par la manche et Octave le suit dans un endroit plus calme.

                « Je disais, que tu devais pas être d’ici. »
               

Octave observe son interlocuteur. C’est un petit vieux, tout crasseux, avec un barbe grise hirsute. Il est vêtu de haillons sales et déchirés. A son apparence octave se dit que c’est un mendiant.

« Vous me voyez ?

-Oui.

-Vous m’entendez ?

-T’as beau être un esprit, t’es pas une lumière.

-Et vous, vous êtes vivant.

-Non, je suis mort.

-OH. Mais vous pouvez peut-être m’aider. Je cherche une personne qui est en maison de retraite.

-C’est vague ! »

 

Il suffit alors à Octave de donner un peu plus de précisions, en l’occurrence l’adresse de la maison de retraite et son guide le conduit à sa destination.

« Voilà c’est là.

-Merci.

-Autre chose pour ton service ? »

 

Octave regarde son interlocuteur. Il regarde ses traits et lui dit :

« J’ai l’impression qu’on s’est déjà vu.

-Ben oui Octave. C’était dans les tranchées avant que tu désertes. Moi c’était Célestin.

-Célestin ?

-Oui,  j’ai été blessé. Alors j’ai rejoins l’arrière. Après la guerre je me suis marié. J’ai joué en bourse, j’ai fait fortune, j’ai tout perdu et je suis mort en 57. L’hiver 57.

-Désolé.

-Y’a pas de quoi. Au moins j’avais plus froid. Bon allez à plus lieutenant. Tu sais où me trouver, si t’as besoin. »

 

Octave reste seul devant le bâtiment avec ses souvenirs et ses pensées. Il se rappelle de Célestin. Il avait survécu et pourtant on ne donnait pas chère de la peau de ce petit blond naïf. Mais il avait survécu, tout du moins jusqu’en 57.

Bon ! C’est pas tout ça, mais il a des choses à faire. Octave entre dans le bâtiment. Le hall est lumineux, tout blanc comme dans un hôpital. D’ailleurs sa vieille amie lui avait dit qu’une maison de retraite n’était pas autre chose qu’un hôpital pour attendre la mort, un mouroir amélioré. A l’accueil, une femme d’un roux, tout sauf naturel, assez corpulente et revêtant une blouse blanche par dessus son pantalon habillé et son chemisier, parle au téléphone avec un grand sourire agaçant, sans accorder la moindre attention aux hommes et femmes aux cheveux blanc qui sont assis sur des chaises, les unes contre le mur, les autres, autour d’un table.

Ce sont les pensionnaires qui discutent, ou laissent le temps passer, qui jouent aux cartes ou regardent a télé, sans vraiment s’y intéresser. Octave en repère 2 autres, qui sont derrière la standardiste et qui semblent se moquer d’elle sans qu’elle s’en aperçoive.

 Octave comprend tout de suite que ce ne sont pas pensionnaires ou plutôt qu’ils ne le sont plus. Il s’avance et les salut :

« Qu’est-ce que tu veux le jeunot ?

-Je cherche quelqu’un, une vivante.

-Il y en a encore quelques uns ici.

-Oui, mais elle peut nous voir.

-Ah ! C’est vrai que ça réduit considérablement le champ de recherche. Mais dis-moi. Tu ne serais pas Octave ?

-Si.

-Alors je sais, qui tu cherches. Suis-moi. »

 

Encore une fois, Octave se laisse guider, et son guide le mène directement là où il le souhaite.

Ils s’arrêtent devant une porte ouverte, et Octave peut voir sa vieille amie qui regarde dans le vide. Son regard semble éteint. Elle est assise dans un fauteuil, vêtue d’une simple chemise de nuit et d’un châle sur ses épaules. Alors il s’approche doucement, pour ne pas l’effrayer. Il s’approche et comme si elle avait senti sa présence, elle lève la tête, et son regard reprenant vie, elle s’écrie en tendant les bras : « Octave.  Tu es venu. »

Il s’approche encore d’elle, pose un genou à terre, lui sourit et  effleure son visage de ses doits irréels.  

« Oui. Je suis là.

-Oh je savais que je te reverrai.

-Comment tu vas ?

-Je suis vieille et déracinée. Je suis desséchée et je suis fatiguée. Alors j’attends simplement de quitter ce monde. Mon fils m’a mise ici, mais il ne vient pas me voir. J’ai des petits enfants que je n’ai vus que deux ou trois fois. Mais tu sais Octave j’ai quand même des amis. Ils ne sont pas encore passés de l’autre côté. Alors comme je suis la seule à les voir, ils viennent me tenir compagnie. »

 

Un infirmier, un grand noir chauve d’une trentaine d’année, entre souriant et demande aimablement :

« Alors Madame Rohmer, avec qui vous discutez, aujourd’hui ?

-C’est Octave, il est venu me rendre visite.

-Ah ! Bonjour Octave, dit l’infirmier, en regardant à peu près en direction du fantôme. J’ai beaucoup entendu parler de vous. Allez ! Je vous laisse. »

 

L’infirmier part. Octave sait très, qu’il ne l’a pas vu mais qu’il a joué le jeu, pour la petite vieille, qui elle non plus n’est pas dupe.

« Il me prend pour une folle, mais il très gentil.

-Il a l’air.

-Mais dis-moi Octave, je te sens préoccupé. Tout va bien à la maison ?

-Non. En réalité, si je suis venu, c’est que j’ai besoin de tes conseils. Quelques années après ton départ, un homme a racheté la maison. Elle était tellement délabrée qu’il a été obligé de presque tout refaire. Il n’a gardé que les murs principaux.

-C’est ce changement qui te pose problème ?

-Non. Pendant les travaux, cet homme partait tout les mardi matin pour revenir la nuit suivante. Puis quand les travaux ont cessé et qu’il a habité ici, il partait encore le mardi matin, pour revenir la nuit suivante, mais il ne revenait plus seul. Il a amené des femmes.

-Et bien, c’est un homme !

-Oui sauf que les femmes ne sont jamais reparties. Il les a toutes assassinées, sans que je puisse rien faire, à part recueillir leurs âmes choquées.  Je ne sais plus comment m’en sortir. Il faut que je trouve un moyen de l’arrêter. Et j’ai pensé que tu pourrais m’aider à le trouver. »

 

La petite vieille a écouté ce qu’avait à lui dire son ami et elle reste horrifiée.

« Sait-il que tu es là ?

-Il a eu la lettre que tu avais laissée au maire, mais je ne pense pas qu’il y ait cru. En plus il n’est pas sensible aux esprits.

-Il faut qu’on aille à la bibliothèque.    

-Pardon ?

-La bibliothèque. On trouvera certainement quelque chose là bas.

- Tu es prête à y aller ?

-Laisse-moi seulement le temps de m’habiller, dit elle en se levant soudain pleine d’énergie. »

 

A ce moment, un petit vieux passe sa tête par la porte.

« Qu’est-ce que tu fais ? Tu ne me lis pas le journal, aujourd’hui ?

-Désolé Victor je n’ai pas le temps. Je dois aider Octave, pour quelque chose de grave. Octave je te présente Victor. Il est mort.

-Bonjour Victor.

-Bonjour Octave. Mais vous allez où ?

-A la bibliothèque, je crois.

-Très bien. J’appelle les autres.

-Les autres ?

-Oui, ça nous fera une sortie. »

 

C’est  ainsi, que quelques minutes plus tard,  la petite vieille, entourée d’une dizaine de fantômes de pensionnaires et d’Octave, sortent en douce de la maison de retraite pour aller en centre ville.

 

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