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L’œil sacrificateur par w

L’œil sacrificateur

        Sous le baldaquin d’ébène où s’éparpillaient en une nuée poétique les astres lointains et scintillants se dessinaient les formes veloutées d’une forêt tropicale. En son centre, telle une île de sérénité perdue au beau milieu d’un océan tumultueux, trônait une clairière dont le sol était recouvert d’une plage immaculée d’adonis blancs. Au beau milieu de la nappe céleste vibra soudain une étoile plus menue que ses sœurs mais dont l’éclat à la teinte de cornaline les supplantait toutes. Elle ouvrit alors son cœur incandescent, avant d’émettre un rayon aveuglant en direction des basses-terres mayas. Le faisceau atteignit la surface opaline de la clairière, comme une caresse neigeuse sur la peau d’un matin d’hiver. Et par le pinceau tendre de Venus se peignit en toute lenteur l’esquisse de tes courbes dans la profondeur encreuse de la nuit. Une fois que ton être eût fini par se matérialiser entièrement, tu relevas la tête, jusqu’alors penchée vers l’inframonde, remarquas ce petit chemin traversant le massif des arbres et fixas l’horizon à l’est. Tu vis là-bas se dessiner en arrière-plan les silhouettes anguleuses d’une ville de pierre dont le rougeoiement des feux attisa ta curiosité et finit par te convaincre de t’y rendre. D’un mouvement voluptueux tu posas ton pied nu sur le tapis de pétales qui amortit ton poids, à l’instar d’une larme sélénite absorbée par la surface d’un lac d’empathie. Et tu plongeas dans les tréfonds verdoyants de ton avenir. Un vert viride cependant.

        Arrivée au seuil du portique de la cité, au sommet de l’ouverture duquel était gravée l’image d’un génie malin aux yeux d’un bleu perçant, tu te figeas soudain. Peur et envie. Les secondes se firent éternité. Mais tu aperçus tout à coup un pétillement brillant au loin, éclats blancs, chaleur froide ; tout de toi se fit papillon de nuit attiré par la lumière. Et tu t’enfonças dans la gueule béante et ténébreuse de Tikal. Après avoir traversé calmement le sacbé aux pavés d’or, tu aboutis à une grande place, ceinturée de bâtisses élevées aux murs de jade, où l’agitation la plus extrême régnait dans la foule. Surprise. Excitation. Evènement. Les fidèles hystériques se regroupèrent autour de toi − leur déesse ardemment désirée −, tels les quetzals resplendissants se jetant sur le fruit appétissant assez mur pour être dévoré. J’étais là. A l’arrière. Dans les ténèbres. Je suis le dieu Buluc Chabtan, celui dont l’œil pénétrant est entouré d’un arc noir. Dans la cohue du désir, les fidèles te fixèrent de leurs yeux scintillants aux paupières clignotantes, éclairs innombrables qui balafrèrent ton visage de leurs griffes de notoriété. Et mes pupilles envieuses se transformèrent en lames aiguisées qui lacérèrent ta robe d’ivoire et ta peau de quincite. De ta chair à vif, s’échappa un sang des plus sombres qui se répandit sur toute ta robe au point que sa teinte se fit totalement noire. La couleur de l’ombre de mon avidité de toi. De toi nul soupir mais un sourire, pas un rictus mais un rire. Tu tournas lentement la tête et regarda par-delà la meute, là-bas où s’élevait jusqu’au chapiteau de l’azur  la forme triangulaire du temple du Grand Jaguar.

        Cieux vides. Olympe blafard. Everest acéré. Tes pas t’amenèrent à l’orée de cette forêt de pierres taillées. Tu élevas ton visage. Au sommet de l’escalier de la pyramide qui se dressait devant toi, tu vis trôner un fanum majestueux dont la façade se composait d’un bois aux essences rares et le toit de plantes exotiques aux fleurs chatoyantes. L’éclat. Mais un éclat terne et trompeur. L’entrée du fanum prenait l’apparence d’une bouche. Soudain, une langue longue et lourde en sortit et se mit à s’agiter frénétiquement en tous sens. Je saisis mon arc et, de mon regard vorace et affilé, je la visai. Je décochai ma flèche qui alla se ficher au cœur de la langue. Un flot ininterrompu de sang jaillit alors, inonda la plateforme, puis se déversa en furie sur les escaliers. Sans que je comprisse pourquoi, tu commenças cependant à monter les marches. A la vue de tes pieds nus s’éclaboussant dans l’hémoglobine, je me mis à rire. Un rire primaire. Un rire moqueur. Un rire puissant qui, s’extrayant avec véhémence de ma gorge, devint une cataracte déchaînée dont les eaux furibondes se répandirent dans la plénitude de l’espace. Le déluge fut tel que la nature prit peur, paniqua, perdit la raison. Et, tout à coup, les lois de la pesanteur s’inversèrent. Je te vis attirer par les hauteurs, perdre l’équilibre et rouler sur toi-même du bas de l’escalier vers son sommet à une vitesse affolante. Je regardai. Encore et toujours. La joie de l’effroi, le sourire du souffrir… de l’autre. Tes cris résonnèrent dans le vide : je n’avais pas d’oreilles, juste des prunelles dilatées. Mon regard eut juste le temps de croiser le tien, dans lequel je vis briller une étrange lumière dont je ne pus jamais saisir la signification, avant que tu ne pénétrasses dans la bouche du fanum et que tu te fisses avaler. La bouche se ferma. Elle ne se rouvrit plus. Silence éternel.   

        Mais dans le firmament de mon cœur, il n’y avait jamais eu qu’une seule étoile. C’était toi. Et tu disparus sous mes yeux fascinés. Je devins aveugle car, sans ton astre unique, il n’y eut plus de lumière dans mon ciel. Rien que les ténèbres. Mon rire devint pleurs, ton absence mon châtiment, ta mort ma vie de remords. L’œil avide et moqueur ne voit que le reflet de sa propre perdition…

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Style : Nouvelle | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 272

Coup de cœur : 10 / Technique : 9

Commentaires :

pseudo : PHIL

quelle inspiration et imagination digne d'un romancier, vraiment bon CDC

pseudo : w

Merci PHIL, tu me touches profondément. Vraiment désolé pour la supression... de ton dernier commentaire et de ceux des autres, mais je m'étais trompé de titre de texte la nuit dernière (confusion mentale...). J'espère juste que je n'aurai pas de problèmes ici à cause de cela.

pseudo : Iloa

Alors...Un texte grandiose ! c'est ça que j'avais dit ? Oui c'est ça...Je l'ai relu avec grand plaisir tant il est beau.

pseudo : lutece

tu me transportes toujours dans ton univers mystique et j'aime ca! Big CDC

pseudo : androïde

Un texte bouleversant. De l'amour, un brin de haine et de la souffrance brute. T'as plume vaut de l'or. Et crois moi je suis pourtant très radine niveau louange. ;)

pseudo : w

Iloa, je remarque que tu as une excellente mémoire ; je travaille énormément sur l'esthétique environnementale dans mes derniers textes car ils se révèlent symboles des émois de mes personnages. lutece, c'est toujours avec plaisir que je te tiens la main durant la traversée de mes océans lyriques. androïde, tu as très bien compris ma nouvelle ; tes mots tendres me seront toujours d'or et de lumière. Merci à tous.

pseudo : Karoloth

Un voyage onirique au travers duquel tu nous guides avec virtuosité. Merveilleux don que tu possèdes là. CDC!!!

pseudo :

Sympathique ton commentaire, Karoloth. Oui, je crois sincèrement que le songe me plonge dans des lacs mystérieux dont les eaux s'avèrent pafois calmes parfois tourmentées.

pseudo : w

Sympathique ton commentaire, Karoloth. Oui, je crois sincèrement que le songe me plonge dans des lacs mystérieux dont les eaux s'avèrent pafois calmes parfois tourmentées.