…Et le soir, souvent, je le rejoins dans sa chambre pour lui faire la lecture des récits fantastiques qu’il affectionne tout particulièrement, sauf quand sa maladie le fait trop souffrir ou l’épuise. Là, je m’éclipse discrètement. Nos rapports ont bien changé, une complicité s ‘est peu à peu installée entre nous. Il s’est habitué à ma présence et nous partageons tant de choses. Je me sens désormais bien acceptée dans mes nouvelles fonctions. Je lie petit à petit connaissance avec les artisans et commerçants des alentours. Tout le monde connaît l’immense domaine bordé de haies vives. Je n’ai aucun mal, avec l’aide du fidèle Georges, pour recruter des entrepreneurs afin de réhabiliter le vieux hangar. J’en fais d’ailleurs une priorité. Je sens bien que c’est un projet qui tient à cœur à Monsieur Mac Lean.
Très rapidement, l’atelier devient à nouveau opérationnel et, Brian sort peu à peu de son marasme. Il y passe de plus en plus de temps, semble reprendre goût à la vie, ébauchant même des projets d’avenir. Tous les gamins, ados à présent, qui venaient avant sa maladie ainsi que beaucoup d’autres enfants, attirés par cet endroit hors du commun s’y retrouvent. Ils viennent y peindre, y bricoler ou tout simplement pour s’amuser. Une lente transformation semble s’opérer chez Brian, il se déride, semble presqu’heureux. Il m’associe à ses projets et décide d’organiser une fête. Il y convie tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à redonner vie au vieil atelier. Les jeunes artistes en herbe sont bien sûr les invités d’honneur de cette grande fête. Tôt ce matin, Bob a disposé d’immenses tables sur les pelouses d’un vert tendre, devant l’atelier. Hanna et moi nous activons, disposant victuailles et boissons sur les belles nappes blanches immaculées. Je veux que tout soit parfait. Cet événement doit être une réussite, le couronnement du retour à la vie pour Brian, cette vie qui lui a tant manquée.
Il semble heureux, entouré d’une ribambelle d’enfants aux conversations desquelles il prend part de bon cœur. Je perçois des éclats de rire. Il règne une ambiance festive et tout le monde semble apprécier ces instants de partage autour du buffet champêtre. Le bonheur que je lis sur le visage de Brian me remplit de joie. Je le vois pénétrer dans l’atelier avec, toujours à ses basques, une nuée d’enfants excités. Chacun espère remporter le trophée qui doit couronner la plus belle œuvre. Celles-ci sont entreposées sur une étagère de fortune posée de guingois, à la hâte. Soudain, sous cette poussée d’enfants survoltés, Brian perd l’équilibre. Il essaie tant bien que mal de se rattraper. La seule chose étant à sa portée, est cette étagère qu’il entraîne dans sa chute. Un éclat de verre l’atteint au poignet, provoquant une plaie profonde. Il blêmit et hurle à tout le monde de s’éloigner de lui, de ce sang qui gicle par saccades de sa blessure. Tout se fige. Comme dans un film passant au ralenti, je me précipite vers lui, compressant son poignet afin de stopper l’hémorragie. Je suis rapidement éclaboussée par tout ce sang et je crie des ordres à Hanna. Elle court vers l’intérieur de la maison et appelle les secours. Je reste là, maintenant toujours fermement ma main sur la blessure de Brian. J’entends au loin la sirène caractéristique d’une ambulance. Les premiers soins sont donnés par les infirmiers et nous voilà, Brian et moi à bord du véhicule qui nous transporte vers la clinique voisine. Durant tout le trajet, il ne dit pas un mot. Il est blême et je garde le silence, bien trop angoissée par la scène que je viens de vivre. Il est immédiatement pris en charge et je vois disparaître son brancard au fond du couloir. Je n’arrive pas à quitter des yeux la grande pendule murale. Les minutes me paraissent des heures et je scrute constamment ce corridor au bout duquel se trouvent les salles de soins. Je suis angoissée, d’abord par l’attitude de Brian qui a pour ainsi dire chassé tous ses amis au moment de l’accident. Surprise aussi par la réaction des gens rameutant leurs enfants près d’eux, comme s’ils voulaient les protéger d’un quelconque danger. Je sens bien qu’on me cache quelque chose et je crains que cet incident ne vienne anéantir tous mes efforts. Je voulais tant le voir heureux. Et si les enfants ne venaient plus ? Et s’il replongeait dans son marasme et son isolement ? Tout cela me paraît tellement injuste, quel que soit le secret qu’il me cache, il ne mérite pas cela. Et pourquoi l’infirmière m’a-t-elle fait une prise de sang ? Je ne suis pas blessée, moi. Au bout d’interminables heures, je vois enfin s’ouvrir les portes et Brian, assis dans un fauteuil roulant, poussé par un aide soignant, qui me rejoint. Je lis de la crainte sur son visage tourmenté. Il est autorisé à rentrer, sa plaie a été suturée. Bob nous attends à la sortie de la clinique et c’est dans un silence lourd et pesant que nous rejoignons le domaine. C’était une belle journée qui avait si bien commencée.
Le lendemain, Brian s’est remis de ses émotions. Il me demande de l’accompagner à son atelier. Hannah et Georges se sont empressés d’effacer toute trace de la fête. Ce n’est que le surlendemain que l’un des gamins du voisinage s’approche de l’atelier. Je m éclipse, jugeant plus opportun de les laisser en tête à tête.
Un matin, un vieil ami l’appelle. Ce coup de fil lui fait le plus grand bien. Après une longue absence, il est content de renouer avec une vieille connaissance. S’étant remis de sa blessure et se sentant relativement en forme, il décide d’inviter Paul et son amie à dîner. Il est tout excité à l’idée de ses retrouvailles et la journée ne passe pas assez vite à son goût. Le soir, enfin, le jeune couple arrive. Nous prenons place dans le séjour. Hanna s’est mise en quatre pour nous préparer un succulent repas. Je prends place aux côtés de Brian, comme si je faisais partie intégrante de la famille. Je ne suis plus l’usurpatrice du début de notre rencontre. A la fin du dîner, nous nous installons au salon. Paul s’approche de la chaîne et introduit un disque dans le lecteur. Mon cœur bat la chamade lorsque je reconnais notre chanson. Paul se lève prends la main de sa compagne et ils esquissent quelques pas de danse. Je me sens mal à l’aise, un peu gênée et, pour me donner une contenance, j’entreprends de débarrasser la petite table du salon. Quand j’arrive à la cuisine, je sens une présence derrière moi. C’est Brian qui m’a emboité le pas et m’aide à débarrasser le salon, laissant les amoureux en tête à tête.
Brian monte se coucher, cette soirée l’a épuisé. Je reste néanmoins en compagnie du jeune couple et j’en apprends bien plus en peu de temps, Paul est plus loquace qu’Hanna. Il me raconte comment Brian a été contraint d’épouser Isabelle, héritière d’une riche famille. Sa mère espérait secrètement que s’il avait une vie de couple normale,il en oublierait ses penchants pour sa bisexualité. Il n’en fut rien. Leur union n’était pas un mariage d’amour, Brian ne réussit pas à combler sa jeune épouse. Celle-ci, bien que passant aux yeux de tous pour une épouse modèle, le trompa rapidement, sa beauté attirant bien des soupirants peu scrupuleux. Je lui parle alors de l’accident qui s’est produit lors de l’inauguration de l’atelier et de l’étrange comportement de Brian et de toutes les personnes présentes à la fête . C’est là que j’apprends par Paul que Brian est atteint du sida. Après le départ du jeune couple, je me retire dans ma chambre. Je passe une nuit agitée, tous ces évènements me troublent profondément.
Brian s’intéresse de plus en plus aux affaires familiales. Il prend même goût à m’accompagner lors de mes déplacements chez les fournisseurs. Il s’enquiert aussi fréquemment de mon avis et je vois avec un certain plaisir qu’il en tient compte. C’est ensemble que nous choisissons les nouveaux éléments de décoration pour la vieille demeure. Un matin d’hiver que nous rentrons des courses, il demande à Bob le chauffeur de s’arrêter à l’entrée de la grande allée, prétextant qu’un peu de marche nous fera le plus grand bien. Bob s’en va et nous remontons l’allée. Brian se tourne vers moi en souriant et me dit « accordez-moi une danse » Je lui rétorque, étonnée « Mais il n’y a pas de musique » Il se met à fredonner l’air de notre chanson, m’enlace et nous esquissons quelques pas de valse. Il n’y a plus que lui et moi. Et, comme par enchantement des flocons tombent du ciel. Nous sommes tellement submergés par l’émotion que nous continuons notre danse transportés par la magie du décor qui nous entoure. La neige a recouvert l’allée de son manteau blanc et nous rejoignons la maison sous le regard amusé d’Hanna.
Brian monte se reposer dans sa chambre en attendant l’heure du repas. Hanna est comme à son habitude attablée à la cuisine. Nous nous connaissons depuis un certain temps et elle pense qu’il est temps qu’elle en apprenne un peu plus sur moi. Je n’ai aucun mal à m’ouvrir à elle, je lui parle de mon mariage malheureux et de mes deux enfants nés de cette union. Elle trouve que je suis bien jeune pour rester seule. Je lui rétorque que j’aime mieux rester seule que de souffrir encore, même si la présence d’un homme à mes côtés me manque parfois cruellement. Elle me demande ce que je pense de Brian « Ce n’est pas du tout mon type d’homme, j’aime les hommes aux cheveux longs, imberbes un rien efféminés ». Elle rit aux éclats en regardant derrière moi. Je me retourne et rougit en voyant l’œil amusé de Brian qui a assisté à toute la scène. Je sens bien que je suis en train de tomber amoureuse, d’ailleurs ne le suis-je pas depuis le premier jour de notre rencontre ? Mais j’ai peur, peur de briser ce lien si fort qui nous unit et de toute façon je ne pense pas être assez bien pour lui. Nous ne sommes pas du même milieu et, s’il apprécie mes qualités d’intendante, je suis loin d’avoir sa culture. Nous ne sommes tout simplement pas du même monde et je refuse de croire en cet amour impossible. Au dîner, je me sens quelque peu gênée, Brian a pourtant fait un effort, il s’est rasé de près abandonnant le style légèrement négligé qu’il se donne depuis un certain temps.
Le soir venu, je n'arrive pas à m'endormir. Je me rends compte que j’ai beau me raisonner, il faut me rendre à l’évidence, je l’aime. Il n’y a que deux solutions, soit je lui avoue mon amour au risque de briser ce lien si fort qui s’est tissé avec le temps, soit je garde le silence et je fuis.
Ma présence n’est plus indispensable, elle est même inutile. Brian qui va mieux se débrouille très bien. Il a repris les rênes de ses affaires.
Le lendemain matin, je retrouve Hanna, elle voit bien que j’ai passé une mauvaise nuit et elle sent bien pourquoi. Je décide de lui ouvrir mon cœur. Elle m’écoute patiemment. Pour elle, c’est simple, je dois avouer mes sentiments à Brian. Je refuse net, j’ai trop peur. Je préfère me passer de l’amant et le garder en tant qu’ami.
Je pense qu’il faut que je prenne un peu de recul. Hanna n’est pas d’accord avec moi et sens bien que le prétexte de m’absenter quelques temps est en fait une fuite devant mes sentiments. Elle a bien compris que je suis éperdument amoureuse et, bien qu’il lui en coûte, elle garde le silence. Elle l’informe de mon intention de partir mais sans lui dévoiler les vraies raisons de mon départ inopiné.
Le lendemain, lorsque je descends le grand escalier, Brian m’attends avec un grand sourire « Je vois que vos bagages sont prêts, mais avant de nous quitter j’aimerais que vous m’accordiez une faveur. Il y a longtemps que je me suis promis de vous emmener là-bas, à la source d’inspiration de vos dessins. Et puis, en ce moment je me sens bien, alors pourquoi ne pas en profiter ? » Je bredouille mais je suis acculée, je n’ose pas refuser. C’est ainsi que nous prenons la route vers les falaises mythiques…
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Commentaires :
pseudo : damona morrigan
Enfin, je n'y croyais plus ! A quand la suite, suis impatiente de la connaître, merci et bravo à toi.
pseudo : lutece
Merci pour ton com. C'est un rêve récurrent et souvent quand je m'endors, je "vis" la suite de cette aventure. Un peu comme si mon rêve m'emportait loin en arrière, tant je me sens proche de tous les protagonistes. Etrange, non?
pseudo : PHIL
Une nouvelle corde à ton talent!!!!!!!!!cdc
pseudo : Le gardien du phare
Une approche tout en finesse de ce problème qu'est le SIDA
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