5 ans plus tôt, près de 300.000 personnes s’étaient amassées dans le parc pour assister au dernier concert gratuit de “Leroy”; ce fut une réelle réussite. Leurs prestations scéniques, à l’instar de celles du début de leur carrière, furent époustouflantes et le souvenir des 4 musiciens resta gravé dans la mémoire des fans ébahis.
A la fin du concert, Roger, le batteur du groupe, avait pourtant réalisé que tout était fini. Tout était fini parce qu’ils avaient tout fait, tout tenté, tout exploré. Leur répertoire, qui comprenait plus de 40 tubes internationaux, s’étalait dans l’entièreté de la gamme musicale. La valse, le tango, les balades, l’opéra, le gospel, le rock, le hard rock, la “dance”, le funky, le disco, la new Wave, les slows, les hymnes, tout, vraiment tout, avait été exploré avec succès et ce jour‑là, Roger avait conclu qu’ils étaient finis, qu’ils ne pourraient plus jamais faire mieux que ce qu’ils venaient d’accomplir ces 20 dernières années.
Roy Thomas, leur producteur, les harcelait cependant sans cesse, réclamant de nouveaux disques, de nouvelles chansons, d’autres albums, il avait même poussé son obsession jusqu’à leur déclarer qu’ils pouvaient sortir n’importe quoi, que de toutes manières, ça se vendrait.
Et il avait raison, “Leroy” pouvait composer n’importe quelle musique, les disques s’écouleraient par millions tant leur renommée était fabuleuse. Mais les membres de “Leroy” étaient hautement professionnels, il n’était pas question qu’ils se laissent aller à composer n’importe quoi, ils avaient toujours énormément travaillé leurs compositions, recherchant toujours la perfection dans l’originalité et atteignant souvent les seuils de la félicité absolue; ils n’allaient donc évidemment pas tomber si bas !
Durant les années qui suivirent, Roger, Brian, John et Fred vécurent chacun de leur côté, en famille, savourant un repos sabbatique. Le disque de leur dernier concert s’était vendu à plus de 40 millions d’exemplaires et les royalties qu’ils touchaient des ventes de leurs 20 albums étaient largement suffisantes pour les faire vivre comme des princes des générations durant.
Finalement, c’est Roger qui avait téléphoné à ses anciens compagnons, pour leur demander de se revoir. Ils s’étaient pourtant promis de ne plus jamais mettre les pieds en studio, de ne plus recommencer, mais finalement, ils avaient accepté. Roger était arrivé le premier, il avait allumé les spots et le fabuleux studio d’enregistrement, désert depuis plus de quatre ans, s’était éclairé des milles feux merveilleux des puissantes lumières robotisées. Roger avait glissé la clé USB dans le deck et il avait monté le son. Pour la millionième fois, il avait écouté passionnément “The Gipsy Anthology”, l’un de leur plus fabuleux morceaux. John, toujours ponctuel, était ensuite arrivé, la mine défaite, les yeux perdus dans les cernes qui avaient fini par envahir son visage meurtri par les ans, puis, ce fut Brian qui passa la porte du studio. Brian avait également fortement vieilli, ses longs cheveux bouclés s’étaient ternis et on pouvait à présent nettement distinguer les cheveux gris qui se reflétaient sur ses tempes. A trois, ils attendirent Fred, le grand Fred, celui‑là qui avait composé plus de la moitié de tous leurs succès, Fred la vedette, le chanteur à la voix si limpide. Comme toujours, Fred était en retard, fidèle à lui‑même, Fred n’était pas à l’heure.
Tous les trois, ils guettaient l’allée de graviers qui menait au studio et ils observaient l’horizon en attendant celui qui manquait. C’est Roger qui parla le premier: ‑ Alors, vous avez trouvé quelque chose ? les deux autres ne s’étaient même pas retournés, ils s’étaient juste contentés de baisser les yeux et de regarder la moquette épaisse.
Vers 11h00’, Fred franchit le sas d’entrée. A nouveau, les musiciens ressentirent le poids des années leur courber les épaules. Fred, qui autrefois arborait une chevelure longue et fougueuse, s’était fait couper les cheveux et une sérieuse calvitie naissante dénonçait sournoisement ses 48 ans.
Ils se donnèrent l’accolade, ils s’embrassèrent, se serrèrent de chaleureuses poignées de mains, Fred, toujours aussi fou, avait même pincé la joue de Brian en lui disant qu’il n’avait pas changé et au bout de quelques minutes, ils étaient restés là à se regarder mutuellement, sans plus rien dire, attendant que l’un d’entre eux se décide.
C’est John qui parla le premier. John, le bassiste, le plus effacé du groupe, le plus jeune également, celui‑là qui avait le moins marqué leur musique mais qui avait cependant été un des meilleurs bassistes au monde. ‑ Je n’ai rien trouvé ! J’ai jamais rien trouvé grand chose d’extraordinaire, mais il m’arrivait parfois de composer de bons trucs, mais là, depuis quatre ans, rien à faire, je n’ai rien pu composer !
Les trois autres avaient de nouveau baissé les yeux, et Roger avait dit: ‑ Moi c’est pareil, j’ai aucune idée, rien de bon en tout cas, rien d’original, je me sens vieux !
Brian avait essuyé une larme qui coulait sur sa joue et il avait dit: ‑ moi de même ! et Fred, qui avait stoppé la musique extraite leur quatrième album, avait lâché presque tout bas: ‑ pareil ! On est finis les gars !
Et puis, Roy Thomas, qui avait probablement dû laisser des instructions sévères aux gardiens du studio (parce que ces derniers l’avaient prévenu), avait fait irruption à l’improviste dans la pièce où les 4 musiciens s’étaient réunis. Roy Thomas avait revêtu son long manteau en peau de lapins et chacun de ses doigts comptait au moins deux bagues de grande valeur. Roy Thomas était un homme puissant, un type qui amassait un tas de fric et qui en voulait toujours plus. Lui n’avait pas vieilli, il avait probablement dû prendre quelques kilos supplémentaires, mais dans la masse graisseuse de son apparence, ce n’était pas dix ou quinze kilos qui allaient se remarquer davantage. ‑ Alors, les amis, c’est reparti ? The Show must go on ! avait‑il lâché d’un ton joyeux, pressentant les millions qui allaient encore lui tomber et répétant une fois encore cette maudite phrase qui les agaçait tant: ‑ The show must go on ! Pour eux le show était fini, ils étaient au bout du rouleau, à court d’inspiration, à court d’idée et de puissance.
‑ Non Roy, c’est fini, tu le sais, on a décidé de tout arrêter ! avait craché Fred presque malgré lui, il s’était retourné face aux claviers pour ne plus voir le gros homme tout boursouflé par la cellulite.
- On n’est jamais finis, quand on s’appelle “Leroy” et qu’on a vendu plus de 200 millions d’albums dans le monde entier, on n’est jamais finis ! s’était énervé le manager en lançant ses bras au ciel comme il en avait l’habitude. ‑ Du nerf bon Dieu, du nerf ! Souvenez‑vous, à la sortie de “An Operatic Night”, vous m’aviez dit la même chose, et puis après vous avez encore écrit des dizaines de tubes ! avait‑il poursuivi en s’approchant tour à tour des musiciens, comme pour les stimuler.
‑ On était jeunes Roy, aujourd’hui, on va tous bientôt avoir 50 ans et notre époque est passée, n’insiste pas ! prononça timidement John qui avait réellement bien conscience de la situation.
‑ 50 ans ! 50 ans, c’est l’âge de la puissance et puis parle pour Fred, qui d’ailleurs n’en a que 48, mais toi John, toi, tu n’as pas encore 45 ans, tu ne vas pas me dire que l’homme qui a écrit et composé l’illustre “I will be free” n’a pas une petite idée, hein ? Dis-moi ? Roy s’était finalement assis et il s’était tu, regardant les 4 musiciens mais ne voyant plus que l’ombre des hommes fabuleux qu’ils avaient été.
Roger avait machinalement poussé sur la touche play de la radio, pour meubler l’atmosphère qui commençait à peser, et ils écoutèrent le hit‑parade où ils furent tant de fois les n°1 incontestés.
‑ C’est vraiment de la merde, on fait de la musique avec n’importe quoi ! cracha Brian qui s’était retourné avec dégoût. Teddy Brown était classé en tête des charts et sa chanson “Be‑Boo”, une cacophonie de sons indigestes et répétitifs, était déjà un hit mondial. ‑ Teddy est un ami Brian, je t’interdis de parler de lui ainsi ! avait répondu Roy Thomas rouge de colère.
‑ T’as produit ça ? T’as produit cette merde ? Dis‑nous que ce n'est pas vrai ! avait hurlé Fred, outré et hors de lui.
‑ C’est tout, sauf de la merde les gars, c’est bon, enfin ça marche quoi, c’est ce qui passe dans les boîtes et vous feriez mieux d’en faire autant si vous ne voulez pas rester les ringards que vous êtes tous devenus ! Roy s’était relevé et il était sorti en claquant la porte. Les 4 autres l’avaient encore regardé démarrer en trombe au volant de sa Porsche.
‑ Eteins ça Roger, tu veux ? dit Brian.
‑ J’ai une idée !
Dans un mouvement d’ensemble, ils s’étaient retournés en même temps. Fred venait de leur parler, toujours assis sur son vieux tabouret qu’il affectionnait particulièrement.
‑ Raconte !
‑ C’est juste une idée, une simple idée, ainsi, faut voir si vous êtes d’accord, ce que vous en pensez !
‑ Vas‑y Fred, on écoute ! reprirent‑ils en chœur.
‑ Roy veut du commercial, il aura du commercial ! Roy veut un dernier morceau, du neuf, du jamais fait, il aura un dernier morceau, le tout dernier, l’ultime morceau ! The show must go on ! avait‑il tonitrué de sa voix puissante qui portait loin. Un gardien qui passait par l’allée principale l’entendit même hurlé, et au-travers les persiennes ouvertes, il les observa tous les trois suspendus aux lèvres de Fred qui leur expliquait en détail sa dernière idée, son ultime trouvaille. Fred faisait de grands gestes, il mimait certaines de ses paroles et les autres semblaient s’enthousiasmer. Quand Fred s’était rassis, ils s’étaient levés et ils avaient applaudi timidement, la mine grave et déterminée. Le gardien continua sa ronde et quand il regagna sa loge à l’entrée, il remarqua qu’au fond du couloir, la petite lampe rouge était allumée et que les lettres ON AIR scintillaient à nouveau, comme au bon vieux temps !
John prit sa basse, Roger s’installa à la batterie, Brian ressortit sa prestigieuse Red Special et Fred s’assit au piano. Il testa le micro, fit signe aux trois autres et avant de commencer à trouver les premiers accords, il lança, comme s’il s’adressait à la terre entière: ‑ Tiens‑toi bien Teddymerde Brownshit, “Leroy” débarque !
La dernière chanson de “Leroy” fut finalisée 3 semaines plus tard.
Roy Thomas, qui avait déjà tenté de rencontrer les musiciens une semaine auparavant, avait finalement reçu le message de Roger. La dernière chanson, qu’ils avaient baptisée “THE FINAL” était prête et il était invité à venir l’écouter ce mercredi‑là. L’homme s’était frotté les mains et déjà, il avait contacté la maison de disques. Une bonne promo sur toutes les ondes, à la télé et sur les panneaux d’affichage, et d’ici quelques semaines tout au plus, “THE FINAL” serait un nouveau hit, un paquet de millions dans sa poche !
Il stoppa sa voiture sur le parking du studio et en sortit. Un gardien l’accueillit. ‑ Monsieur Roy, ils sont toujours là‑dedans, ça fait plus de trois jours qu’ils n’en sont pas sortis, ça promet d’être quelque chose ! avait‑il lancé en ouvrant la porte au gros homme. Roy Thomas s’était juste retourné et il lui avait fait un clin d’oeil en lui tapotant l’épaule. Un somptueux sourire sur ses joues rouges, le producteur composa le code secret de la porte d’entrée du studio d’enregistrement.
“Leroy” était un groupe complet. Ils n’avaient jamais travaillé avec des techniciens, préférant toujours assumer toutes les manœuvres eux-mêmes et cette fois encore, ils avaient œuvré dans le secret absolu, à quatre, unis comme les doigts de la main.
‑ Fred ? Roger ? Où êtes‑vous ? le studio était désert, un léger souffle s’échappait des enceintes acoustiques sous tension.
‑ Brian ?
- Hé les gars, où êtes‑v... l’homme s’étrangla, il manqua même de s’étouffer. Son pied droit venait de butter sur quelque chose de mou et de dur à la fois. Juste sous la table de mixage, Fred était allongé, le crâne complètement défoncé par la Red Special totalement brisée de Brian. Un peu plus sur la droite, derrière l’énorme gong suspendu aux poutrelles métalliques, Roger gisait dans une marre de sang, le disque cuivré d’une cymbale lui fendant la gorge sur toute sa largeur. Juste à côté, Brian était recroquevillé sur lui‑même, les yeux révulsés, la langue pendante et le cou entremêlé dans les contorsions des fils des micros. John, derrière le panneau de commandes d'une des tables de mixage, était également mort, sa main droite avait eu les doigts sectionnés et dans son dos, les restes d’un micro tout déglingué pointaient dans un amas de sang desséché et grotesque.
Roy sortit en vomissant, le spectacle était horrible, ils avaient tous été tués, ça avait véritablement été un carnage, une hécatombe cruelle.
A leur tour, les gardiens constatèrent les faits, il n’y avait plus de doute, les 4 musiciens de “Leroy” avaient été assassinés !
Un vigile appela la police, tandis que Roy, qui avait bien vite repris le dessus de ses émotions et qui avait à la place du cœur un paquet d’actions et une liasse de billets, avait simplement appuyé sur la touche éjecte du deck d’enregistrement, et il avait discrètement glissé dans sa poche la disquette qui portait encore l’écriture de Fred et qui disait: “THE FINAL”.
Les voitures aux feux bleus ne tardèrent plus à arriver. La presse, la télévision, tout le monde fut averti du spectaculaire drame qui venait de se dérouler ici.
Rien que durant la journée du lendemain, les ventes des albums de “Leroy” reprirent de l’essor et dépassèrent les 500.000 exemplaires en quelques heures à peine.
Une enquête fut ouverte pour tâcher de découvrir les circonstances exactes de ce quadruple meurtre.
Le samedi suivant, Roy Thomas organisa une méga‑soirée souvenir en hommage aux 4 fabuleux musiciens.
Les places s’étaient vendues très cher, mais cela n’avait pas empêché près de 10.000 personnes à se précipiter pour obtenir une réservation au Hall, cet énorme bâtiment qui appartenait à Roy Thomas et où toutes les semaines les jeunes venaient danser. La soirée “Leroy” était prometteuse, les affiches disaient qu’on pourrait y entendre en exclusivité le testament des 4: “THE FINAL” leur toute dernière chanson. Dès le matin, une file de fans s’était plantée face au bâtiment et quand à 19h00 on ouvrit les portes, ce fut la cohue générale. Toutes les chaînes de télévision étaient présentes, les radios également, et à l’extérieur, où une armée de vendeurs de gadgets et de disques était de faction, la plupart aux ordres de Roy, on avait dressé de grands écrans.
A 22h00, alors que l’impatience du public était à son comble, la soirée débuta sur les premiers accords de “The Gipsy Anthology” que tout le monde reprit en chœur. A l’audimat, l’émission retransmise en directe, battit tous les records d’audience.
Vers 23h00, alors que le spectacle continuait avec les images du clip: “I will be free” projetées sur l’énorme écran gravé au logo du groupe, le portable de Roy, qui comptabilisait déjà mentalement ses gains, se mit à vibrer.
‑ Allo ?
‑ Roy Thomas ?
‑ Lui‑même !
‑ Logan, de la police locale ! Dites, tenez‑vous bien, d’après les premiers résultats de l’enquête, il ressort qu’ils se soient entre-tués !
‑ Pardon ?
‑ Entre-tués ! Ils se sont entre-tués !
La connexion réseau était mauvaise, perturbée par les gigawatts qui plongeaient la foule dans une ambiance phénoménale.
‑ Parlez plus fort, je ne vous entends pas !
Un assistant programmateur vint chercher la fameuse disquette, celle-là même que Roy n’avait pas encore pris la peine d’écouter, trop préoccupé à se faire de l’argent. Il la confia précieusement à l’homme et le suivi du regard. Il referma la porte derrière lui.
‑ Entre-tués ? vous en êtes sûr ?
‑ Certain, je vous dis qu’il s’est passé quelque chose là‑dedans, sans aucun doute possible !
‑ Excusez‑moi shérif ! Roy s’approcha de la double baie vitrée qui en fait était un miroir sans tain donnant sur l’ensemble du Hall, et il se pencha pour voir la réaction du public, il venait d’apercevoir sur les écrans de contrôle que les premières mesures de “THE FINAL” passaient. Tout le monde se tu, comme suspendu aux notes des 4 musiciens magiciens de “Leroy” et l’opérateur augmenta davantage le son.
‑ Oui, voilà, je suis un peu énervé, mais c’est le clou du spectacle, vous comprenez ? reprit Roy Thomas au téléphone.
‑ Oui, je comprends, je vois, je les entends pas, j'ai coupé le son, mais je peux voir votre salle à la télé.
‑ Alors, qu’est‑ce qui c’est passé ?
‑ Aucune idée Monsieur Thomas, mais on trouvera, vous pouvez nous faire confiance !
Les premiers riffs un peu diffus de la guitare de Brian résonnaient à tue‑tête dans la salle presque muette.
Comme une bombe qui explose inopinément, la voix limpide et hyperpuissante de Fred, emballée sur un ton mélodieux, se mit à chanter les deux mots suivants: The fi‑inal !, la batterie, mitigée par les saccades de la basse se mit en branle et tout l’édifice du Hall fut subitement plongé dans un univers infernal de vrombissements et de tonnerres audacieux. Déjà quelques fans charmés avaient levé les bras en l’air en tentant de suivre le rythme inconnu.
Fred répéta lascivement: ‑ The fi‑inal !, à nouveau la guitare de Brian se confondit avec l’écho de la voix, en fond, les chœurs assurés par Brian et Roger semblaient résonner à l’infini.
‑ C’est bon ?
‑ Pardon ?
‑ C’est bon ? dit Logan toujours à l’appareil avec Roy Thomas qui observait les réactions du public.
‑ Oui, bien entendu, ils ont toujours fait de bons trucs ! C’étaient des maîtres vous savez !
Sans que personne ne s’y attendent, la musique s’accéléra davantage. L’ingénieur du son, un casque sur les oreilles afin de vérifier et contrôler toutes les distorsions, se mis debout sur la console où il commença à piétiner furieusement les milliers de boutons de commande.
Une fille parmi le public se jeta férocement sur l’homme à côté d’elle qu’elle ne connaissait pas, un surveillant se rua dans la foule, déchaîné, pris de folie, un groupe de jeunes gens en blouson de cuir se mit à lancer tout ce qui leur tombait sous la main, l’ingénieur du son se tapait la tête contre les murs en béton, une caméra fit zoom avant sur lui.
‑ Qu’est‑ce qui se passe ? Logan voyait toujours les images et il n’entendait presque rien, ses yeux suivaient l’écran qui s’était mis à trembler, comme si le cameraman avait soudain été prit de frissons aigus.
Une femme d'un certain âge se mit à se tirer frénétiquement les cheveux, plus loin, près de la scène vide, un jeune homme étrangla son amie, Fred reprit le seul et unique couplet: ‑ The fi‑inal ! l’hystérie générale commença. Tout le monde commença à se battre, à se frapper, à s’étrangler, à s’entre‑tuer. Une folie générale inexplicable, massive et destructrice les submergea. Des gens se mirent à sauter sur d’autres, des femmes furent violées sur place, un fou mit le feu à son blouson qu’il jeta au pied des rideaux, un type, qui paraissait tranquille, se mit à hurler et il s’arracha les yeux, un autre se tenait la tête en tentant de se boucher les oreilles et shootait tant qu’il pouvait dans le visage de la fille étendue à ses pieds, plus loin, le pugilat frénétique atteignait une violence extrême et déjà, des dizaines de morts étaient à déplorer.
‑ Allo ? Ho, vous êtes toujours là ? Hé, ça dégénère chez vous ! hurla Logan dans le téléphone. Son front s’était mis à transpirer.
A l’extérieur et dans les foyers, là où l’émission passait à la télévision et en direct, même scénario, des hommes tranquilles et honnêtes se mirent tout à coup à massacrer leur famille, d’autres incendièrent leur maison, des femmes hystériques poignardèrent leur mari, des jeunes enfants assassinèrent leurs parents, des voisins se mirent à se canarder mutuellement, un type devenu fou ouvrit le gaz et alluma son briquet.
Roy, dont les flancs gras s’étaient agités de spasmes trépidants, lâcha son portable pour se précipiter au travers de la baie vitrée. Il s’écrasa sur trois malheureux qui s’entre-déchiraient. Une femme mordit l’oreille d’un type déjà mort étendu au sol, un technicien fut lapidé de boîtes de soda, les sièges furent démontés et parsemés dans toute la salle.
‑ Allo ? Logan avait inconsciemment sorti le 444 Magnum de l’étui qui pendait sur sa hanche droite. Il avait légèrement monté le son de son écran de télévision et il écoutait à présent la musique diffuse qui lui parvenait via le haut-parleur.
Les derniers riffs de Brian résonnaient encore quand soudain l’enregistrement s’arrêta, l’ingénier du son, la bouche en sang, le crâne défoncé, venait de sectionner le câble d’alimentation avec ses dents.
Tout le monde s’arrêta, tout le monde se calma. Des centaines de cadavres gisaient sur le sol, des milliers de gens souffraient, çà et là, plus loin, d’autres étaient affalés, écroulés, meurtris.
Au poste de police, Logan venait d’abattre ses deux collègues de faction, il sortit soudain de l’espèce d’hypnotisme qui l’avait accaparé.
THE FINAL était terminée, “Leroy” était parvenu à composer la dernière chanson de leur répertoire, l’ultime chanson, celle‑là que personne n’oublierait jamais, celle‑là qui rendait comme fou et qui poussait les gens à s’entretuer, et ce n’était pas un hasard, bien du contraire, il y avait fort à parier que les 4 amis avaient réellement travaillé dans le but d’obtenir cet effet auditif subliminal sans parole, qui dictait aux auditeurs d’extérioriser toute leur haine et de verser dans la violence jusqu’à THE FINAL...
FIN.
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Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 358
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pseudo : M
horreur à l'état brut !
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