COUPLET I
Allons ! Enfants de la Patrie !
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie,
L'étendard sanglant est levé ! (Bis)
Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats ?
Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils, vos compagnes
Aux armes, citoyens ! Etc.
En cette paisible demeure de saphir et d’émeraude qu’est la terre se trouve une chambre hexagonale dans laquelle une couche aux draps ivoirins accueille tendrement le corps ruisselant de sueur d’une femme. Sur l’azur de ses yeux se reflètent les nuances chatoyantes qui s’exhalent du foyer de la cheminée. Autour d’elle, tels des barbelés aux pointes acérées, se trouvent des hommes étranges dont la posture raide jette des ombres anguleuses sur son ventre dilaté. Un voile de ténèbres incrusté d’une croix blafarde est déposé sur la silhouette de l’un d’eux, un sable vert-brun jonché d’algues rectangulaires scintillantes recouvre la peau du second, le troisième est revêtu d’un complet noir à la taille élégante de la poche duquel s’extrait de manière exubérante un mouchoir de soie où est gravée la lettre €, le quatrième ne porte comme tout vêtement qu’une rose dans la main gauche et une croix de Lorraine dans la main droite. Ils la regardent avidement se mouvoir dans les convulsions atroces de la vie à donner, ils l’écoutent à présent hurler le futur dans le silence de cette pièce dont les murs sont décorés de tableaux de maîtres représentant un passé glorieux. Le cri de Marianne résonne de manière étrange : c’est le cri de souffrance d’une mère en train d’accoucher qui, bientôt, aura pour écho le cri libérateur de l’enfant innocent qu’elle aura mis au monde. Mais l’enfant du ciel sera né pour mieux être enseveli sous la terre d’un champ de bataille. Patrie est Pater, Pater est Père, mais Mère verra bientôt le fruit de ses entrailles agiter le drapeau de la vengeance au milieu d’une foule avinée de sang qui bêlera à l’unisson une musique lugubre… celle d’une marche militaire qui se fera lentement funèbre. De prestige il n’y a point dans l’écume rougeoyante des chairs, d’ennemis il ne se trouve que dans les cœurs en feu, de violence il n’émane que la pestilence d’une nuit sans lendemain. Et le syndrome de la boule de neige s’applique de manière sempiternelle : la soumission engendre la frustration et la punition engendre la peur, la frustration et la peur engendrent la haine, la haine engendre les armes. Ces quatre hommes à l’ambition démesurée ont toujours eu le choix des larmes, les larmes d’une femme dont les flammes entre les jambes sont les derniers vestiges des fruits de l’amour. De l’amour ne perdure alors que la mort dont le linceul se tisse dans une toile tricolore en lambeaux qui claque sous la furie d’un vent de désillusions.
COUPLET II
Que veut cette horde d'esclaves,
De traîtres, de rois conjurés ?
Pour qui ces ignobles entraves,
Ces fers dès longtemps préparés ? (Bis)
Français ! Pour nous, ah ! Quel outrage !
Quels transports il doit exciter ;
C'est nous qu'on ose méditer
De rendre à l'antique esclavage !
Aux armes, citoyens ! Etc.
Par delà les cimes affilées du temps, il ne s’étale que des plateaux désertiques au sol crevassé dont les cours d’eau encaissés charrient les décombres des révolutions manquées. L’esclave se fait maître, le nouveau maître envoie se faire mettre la liberté acquise et de l’autre, son frère, fait un nouvel esclave. Eternel recommencement de la loi du plus fort imposée au plus faible… Homo Malthusus… In aeternam. A quoi bon briser les chaînes qui nous enlacent perversement de leurs bras décharnées, si nous bridons à notre tour le droit universel de fils de fer ? A quoi bon saisir le fouet des mains du maître, si nous le retournons contre lui avec la même violence ? Il n’y a de règle humaine que celle du Talion, laquelle joue au perpétuel ricochet contre les stèles funéraires d’un humanisme mort-né.
COUPLET III
Quoi ! Des cohortes étrangères
Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi ! Des phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fiers guerriers ! (Bis)
Dieu ! Nos mains seraient enchaînées !
Nos fronts sous le joug se ploieraient !
De vils despotes deviendraient
Les maîtres de nos destinées !
Aux armes, citoyens ! Etc.
Quels émois une caresse amoureuse pourrait-elle bien engendrer sur la carapace rouillée d’une armure ? Où trouver de la clarté lorsque l’on tire des rideaux épais derrière la fenêtre de nos cœurs ? Comment la neige de la sagesse pourrait-elle tenir sur la plaque brûlante placée au-dessus du feu vif du rejet ? De réponses probables il ne se trouve que dans les volutes soyeuses des âmes tolérantes… Et nous sortîmes de la profondeur lugubre des grottes pour mieux nous enfermer derrière les barrières de nos phobies. Nous installâmes notre hutte sur un sol fertile, mais pensâmes immédiatement à l’entourer de clôtures ; nous bâtîmes notre village au cœur de jardins luxuriants, mais l’encerclâmes tout de suite d’un muret de protection ; nous fondîmes la plus belle des cités au beau milieu de champs verdoyants, mais la ceignîmes à l’instant d’une enceinte infranchissable ; nous créâmes finalement notre nation dans un paysage de désolations où chaque frontière effrontée affronta notre voisin de son regard haineux. Derrière les persiennes sordides de nos peurs, nous observions inquiets le défilé des soldats voisins, alors que résonnaient depuis longtemps en nos oreilles la rythmique endiablée des bottes de nos propres militaires. Et si nos voisins ressentaient la même inquiétude ? Miroir brisé… Et de la question de nos frayeurs ne naquit que la réponse du sang de l’autre. Ce sang. Toujours ce sang…
COUPLET IV
Tremblez, tyrans et vous, perfides,
L'opprobre de tous les partis !
Tremblez ! Vos projets parricides
Vont enfin recevoir leur prix. (Bis)
Tout est soldat pour vous combattre.
S'ils tombent, nos jeunes héros,
La terre en produira de nouveaux
Contre vous tout prêt à se battre.
Aux armes, citoyens ! Etc.
C’est sous les flots véhéments d’un ciel d’azur, duquel transpirent des larmes asséchées, que se répandent les vapeurs âcres du sang du Christ. C’est sous l’éclat ravageur d’un soleil trompeur, dont les bras se font piques tranchantes, que le corps du fils de Dieu se couvre du linceul enténébré de la souffrance. C’est sous la nuée apocalyptique de colombes au déguisement tricolore chatoyant, qui emplissent d’effroi l’espace vierge par le battement symétrique de leurs ailes, que les vers grouillants dévorent lentement la chair putréfiée de l’Homme aux vœux purs. Et de son martyr naquit le Martyr. Ecce Homo. Une croix blafarde sur l’autel ruiné de nos âmes égarées. A quoi bon lever nos yeux admiratifs vers le ciel, alors qu’il est si simple d’adopter la posture du pénitent lorsque la lame du glaive nous transperce ? A quoi bon dresser nos mains aimantes vers le firmament, alors qu’il s’avère si aisé de se mettre à genoux avant que l’inquisiteur ne nous fasse subir le supplice de la torture ? A quoi bon marcher sur le sentier céleste de l’humanisme, alors qu’il est si facile de ramper au moment où le bourreau s’apprête à nous exécuter ? Il ne peut y avoir de foi quand l’individu se fond dans la masse, quand de l’un et l’autre n’émane que l’ombre déchiquetée d’un tout meurtrier. Et je vois s’avancer en une longue file ininterrompue tous ces êtres silencieux, au visage figé, aux yeux exorbités, aux lèvres grimaçantes, aux bras pendants, au dos vouté, aux jambes trainantes, qui vont vers la mort d’un pas cadencé. De la chair à canon produite sans fin, avec faim les gueules béantes des révolutions dévorent les braves. Valeureux malheureux dont l’utopie s’est faite trépas. Des trous sans fond, des stèles innombrables, la mort encore et toujours.
COUPLET V
Français, en guerriers magnanimes
Portons ou retenons nos coups !
Épargnons ces tristes victimes,
A regret, s'armant contre nous ! (Bis)
Mais ce despote sanguinaire !
Mais ces complices de Bouillé !
Tous ces tigres qui, sans pitié,
Déchirent le sein de leur mère !
Aux armes, citoyens ! Etc.
Et tous ces points d’exclamation qui martèlent inlassablement le velours de nos amours, d’où viennent-ils ? Et cette enclume en acier qui bat le fier idéal humain sur l’enclume du désespoir, qui l’a crée ? Ils proviennent d’esprits pervers qui de la masse font massue ; elle a été crée par le cœur fossilisé de ceux dont le pouvoir a corrompu leur humanité. Mais ce Bouillé dont la boue bouillonne en vos âmes révoltées, ne vous accaparez-vous pas ses oripeaux royaux et galonnés pour mieux vous en vêtir ? n’usez-vous pas des mêmes lames que lui pour pourfendre vos ennemis les plus chers ? ne devenez-vous pas celui que vous combattez… en le combattant ? Lutter. Le Bien contre le Mal. Limpide. A quoi bon déployer la gamme chromatique des gris sur la toile de notre avenir, alors qu’il s’avère si évident de crayonner rapidement une ligne noire sur un vieux papier blanc… taché de sang ? Le manichéisme. Le manichéisme magnifié de dorures utopiques. Le manichéisme magnifié de dorures utopiques gravé sur le marbre de la compréhension des différences. Des hommes qui se regardent en chiens de faïence avant de s’entredévorer. Ô drame, citoyen
COUPLET VI
Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs !
Liberté ! Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs ! (Bis)
Sous nos drapeaux que la Victoire
Accoure à tes mâles accents !
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire !
Aux armes, citoyens ! Etc.
Ne se dresse plus que l’oriflamme en flammes de la barbarie sur notre sol lacéré en mille cicatrices d’exécrations où gisent nos illusions mortes. Par notre rage les tranchées de la terre se sont faites trachées déchirées desquelles s’enfuient en flots continus la sève vitale de notre amour. Et pourtant nous, les hommes, qui usons et abusons d’elle en répandant notre sang dans ses entrailles, nous ne sommes point propriétaires de la Terre, juste de véreux locataires. Alors, à l’heure où tintera le glas de notre bail, les dieux auront-t-ils la folie de nous le renouveler ? Sous les yeux scintillants de la voute céleste, la planète bleue prend les formes d’une cité dont chaque nation serait un palais d’ocre et de jade au sein duquel les êtres humains se répandraient en éclats de cœurs vibrants. Tant d’espace pour si peu de monde. A quoi bon conserver notre chambre noire, dans laquelle nous développons les photographies de la haine dans les bacs de la peur, alors que nous pourrions en vêtir les murs de nacre et d’ivoire afin d’en faire une chambre d’amis ? Et cet ami, dont les erreurs nous accablent, avons-nous à pratiquer sur lui et sa famille la vendetta ? Vent de taille qui taille à la pointe du couteau les sceaux indélébiles d’un châtiment de tourments ? Depuis que l’être humain est être humain, de la violence de l’un ne naît que la vengeance de l’autre, et ainsi de suite jusqu’à la nuit des temps. Ne vaut-il pas mieux, dans ce cas, mettre en berne la bannière multicolore de nos ressentiments, avant d’hisser un drapeau blanc sur lequel sera brodé un rameau d’olivier vert en des fils de soie aux fibres fines et fragiles ? Vivre et laisser vivre… pour toujours. A jamais le mâle le mal engendrera-t-il, alors que la femme la flamme de l’amour tentera-t-elle de raviver ? Telle une phrase dont l’ordre logique des mots se déconstruirait, le chaos s’immisce dans l’harmonie au règne instable de l’homme et de la femme. Et, perpétuellement, Lui, de son glaive à lame effilée, tenant la poignée bien serrée entre ses mains moites, Il La transperce, Elle, dont le cœur se fait plaie incandescente au varech de larmes. Bleus à l’âme, blanc d’un venin saumâtre qui s’écoule en elle, rouge d’un sang qui gronde silencieusement en cataractes d’afflictions. D’expiation des fautes de l’un il n’y a point, quand d’explications de son ennemi l’autre ne veut entendre. C’est alors que l’expiration de cet ennemi devient le seul dénouement possible aux yeux de celui qui de revanche obsessionnelle s’abreuve. Et nous voilà, pathétiques guignols uniformisés s’agitant en une liesse folle, nous lovant dans la haine au-dessus du cadavre désarticulé du vaincu. Un cénotaphe d’apothéose érigé sur des fondations instables de chairs décomposées. Victoire macabre.
COUPLET DES ENFANTS
Nous entrerons dans la carrière,
Quand nos aînés n'y seront plus ;
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus. (Bis)
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre.
Aux armes, citoyens ! Etc.
Enfants, que l'Honneur, la Patrie
Fassent l'objet de tous nos vœux !
Ayons toujours l'âme nourrie
Des feux qu'ils inspirent tous deux. (Bis)
Soyons unis ! Tout est possible ;
Nos vils ennemis tomberont,
Alors les Français cesseront
De chanter ce refrain terrible :
Aux armes, citoyens ! Etc.
Dans l’âtre sinistre et suffoquant de l’humanité dévastée, nos cercueils en feu ne trouvent d’échos que sur les braises qui assiègent les berceaux de nos enfants. Ces derniers devront-ils fatalement les raviver ? N’y a-t-il d’avenir que dans le pire ? N’y a t-il de futur que dans le sulfure ? Et nos enfants avancent sans fin dans le désert austère de nos erreurs passées en portant sur le dos l’écrasant héritage de notre rage éternelle. A chaque pas qu’ils font, telles les pages incandescentes d’un testament infernal qui se tourneraient inlassablement, ils assouvissent sans cesse notre vengeance d’outre-tombe en avançant vers un horizon inatteignable au rougeoiement aveuglant. C’est un passif de sang, une ingénuité gênée par les gènes de la violence immortelle. Et du couffin innocent ne demeurera que l’urne coupable de nos méfaits, une urne abyssale dans laquelle nulle terre fertile ne donnera naissance à la vigne vierge, mais juste une cendre stérile où germera l’achillée du ravage. Opposition, querelle, guerre, ethnocide ; la devise figée par la pyrogravure de nos maux. Mots ennemis, mais fraternité néant. Placés chacun sur l’une des deux rives d’un fleuve enflammé qui s’écoule le long de la frontière, un frère et une sœur se tendent la main en vain tant l’espace des différents qu’on leur a imposés les séparent. Le courant emporte alors leurs illusions blafardes vers une ombre menaçante, celle d’un arc de triomphe dont la hauteur hautaine n’est que bassesse de sentiments. Soutenu par des bottes de pierre grisâtre, son attique tricolore s’est fait tombe à ciel ouvert dans laquelle gisent deux mots en lettres capitales : FiertḖ et Honneur. La Fierté du fer croisé avec l’autre, la Fierté de fleurer l’odeur des viscères à l’air de son voisin, la Fierté de se faire pieux devant un Christ affligé dont le Saint-Graal débordera du sang impur de notre frère ; l’Honneur des heurts violents qui aboutiront au meurtre de notre ami, l’Honneur de l’heure où sonnera le glas annonçant le massacre de nos adversaires, l’Honneur de l’horreur pestilentielle que notre haine vomira sur notre ennemi en un génocide ultime. Et dans ce chaos calciné où d’innombrables corps sont entremêlés en un Guernica fauve, s’élèvent soudain des âmes amoureuses qui, après un tournoiement onirique par delà l’abîme de leur fosse commune, finissent par s’entrelacer dans le pastel léger des cieux. Non pas des esprits dissolus dans la masse du néant, mais des âmes qui se fondent l’une en l’autre, telles une note blanche et note noire qui, en une envolée lyrique, navigueraient au diapason sur les brises de l’espoir avant de se porter sur la partition fluette de l’Humanité retrouvée. Loin, si loin, les mesures orthodoxes d’une fanfare militaire où les clairons réveillaient les exécrations enfouies en nos cœurs, où les tambours battaient le rythme cadencé des pas de l’oie, où les cors de chasse ameutaient les chiens enragés et où les trompettes de cavalerie lançaient la charge sauvage ; se diffuse désormais dans l’espace infini la douceur d’une sonate duo où le piano susurre des câlins de sentiments aimants et où le violon fait vibrer les cordes de la passion humaniste dans l’infini de l’univers… … Deux enfants, un frère et une sœur, main dans la main, de doux lendemains…
REFRAIN
Aux armes, citoyens !
Formez vos bataillons !
Marchons, marchons !
Qu'un sang impur...
Abreuve nos sillons !
Eau nos âmes, Humains…
Sur nos cœurs naviguons…
Aimons, aimons…
Qu’un flot d’amour...
Inonde nos sillons…
Poème ? – C. J. Rouget de Lisle – Strasbourg – 1792
Poaime… – Philippe W. – Colmar – 2010
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Style : Réflexion | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 260
Coup de cœur : 9 / Technique : 7
Commentaires :
pseudo : lutece
Je suis epoustouflée par ton texte que je viens de lire deux fois. Un grand bravo et un énorme CDC
pseudo : W
Merci lutece. Je me suis donné beaucoup de mal à l'écrire. Je vais essayer autant que je lepeux encore d'alterner ce genre de textesx avec des nouvelles plus sombres. Je t'embrasse bien fort.
pseudo : PHIL
colossal, et le mot est juste!!impressionnant!!cdc
pseudo : w
Ach, Kolossal ! :-D A noter que ça faisait au moins quinze ans que je n'avais plus écrit de vers (à part une exception sans intérêt). Merci à toi.
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