J'ai trouvé ma question du jour. Mon regard se promène sur murs de mon cerveau, vibrant de souvenirs. "Hey you !" C'est moi. Moi et les autres, moi et mes autres. On est tous l'autre de quelqu'un, je suis curieux de savoir le nombre de personnes qui me nomment ainsi. Facile, celles qui m'ont aimé, mes amis et... Naïveté que tout cela ! Naïveté, bêtise, sottise et fraises Tagada. Encore plus facile : je suis une fraise Tagada. On aime un moment, c'est très sucré, on colle sa langue au palais, on plisse les yeux. Encore une, et une autre ! On enfourne, le paquet bruisse, se froisse, proteste. Pas grave, les fraises Tagada ne pipent mot. Les gourmands (très très vilain défaut) courent à la crise de foie. Mal, très très mal. A force de les enfourner par cinq, six, dix, évidemment. Ce serait tellement plus simple avec de vraies fraises, plutôt qu'avec l'image surglucosée qu'on s'en fait. Mettez dix fraises, dix vraies belles fraises bien rougies par l'été, à savourer au mois d'août avec de la crème chantilly, dix fraises donc, dans votre bouche. Admirez. Grotesque spectacle, la mâchoire n'ouvre pas assez grand, les joues ne s'étirent pas comme il faudrait, tout déborde et il ne reste qu'un mal de gorge et cet amas dégoulinant qui vous promettait tant de plaisir. N'accordons pas plus de mérite au modéré. Une seule fraise par jour, point trop n'en faut et à Dieu va. Passons sur la fraîcheur de nos fraises lorsqu'il arrive à la cinquième. Poubelle. Infâme gâchis, innommable affront à ce bienfait de la nature. La solution paraît simple, n'est-ce pas ? Vous l'avez trouvée, elle court en rond dans votre boîte crânienne, elle couine, trépigne d'impatience, petite bête poilue. Il n'y a qu'à manger les dix fraises dans la journée, espacer ces petits moments de plaisir d'un ou deux rayons de soleil, savourer le ciel où molassonnent ces moelleux nuages. Puis passer à autre chose. De toute façon, les fraises ont toutes le même goût... Je ne sais pas pour vous, mais moi j'ai envie de toujours aimer les fraises, toute ma vie. Mes amis aimeront les fraises, mes enfants aimeront les fraises, et ma femme encore plus, et elle me fera aimer les fraises davantage encore. Tous, ils goûteront aux fraises. Ce bol de dix fraises, je leur tendrai. Tous, ils piocheront, et à leur tour tendront un bol. L'un aura apporté la farine et le sucre, sa femme aura pensé aux œufs et au lait. Un fraisier entre amis. Une troisième se sera occupée de l'alcool, la fête est plus folle avec une vodka-fraise ! La plus dégourdie prépare un coulis de fraise pour aller avec sa succulente crème glacée, et l'énième s'affairera à la confiture. La plus douce me la fait manger entre ses dents, ou... Allez savoir, c'est un fruit du désir. Chacun à sa manière, chacun aime les fraises. Chacune à leur manière, elles ont su me faire aimer les fraises. Quand certaines m'en ont dégoûté, d'autres m'en ont redonné l'envie. Les autres. J'ignore toujours de qui je fus l'autre, de qui je suis l'autre. Moi, fraise Tagada, qui ne suis que l'image d'une fraise, je n'en reste pas moins une fraise. Mes autres, et ceux, et celles dont je suis l'autre, l'ont compris.