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Les saisons de Rosalie par w

Les saisons de Rosalie

Le printemps distille ses fragrances de renouveau sur la surface verdoyante de ton jardin où bourgeonnent les fleurs aux essences les plus rares. A travers les carreaux de ta fenêtre, le visage extasié dissimulé par le voile moiré du rideau, tu admires la résurrection de la nature. En toi aussi la nature interprète le rôle charmant de l’éclosion sur la scène de tes émois les plus intimes. Mais ces sentiments nouveaux suscitent en toi moins de questionnement que de peur, tant l’univers naissant qui se dilate dans ton corps t’emporte vers un inconnu dont tu ne distingues que la silhouette énigmatique. Et ce fin filet de sang qui coule lentement entre tes jambes engendre en ton for intérieur une tempête indescriptible, tes sens agités tournoyant dans la folie des vents de l’adolescence. Tu crois voir en ces eaux de rubis la mort, bien qu’elles expriment au contraire la vie la plus frémissante. C’est alors que plongée dans l’incertitude, tu tournes la tête vers l’intérieur de ta chambre tout en faisant onduler ta longue chevelure d’un blond légèrement sombre. Tes yeux à l’éclat de lapis-lazuli se posent sur le guéridon où trône un vase au cristal fin mais fragile à l’intérieur duquel repose un bouquet de pervenches violettes. Leur image enivrante te plonge dans le lac des réminiscences, nostalgie humide d’un autrefois pourtant si proche de toi. Et non loin de là, crépite le bois vert dans l’âtre de la cheminée où des flammes jeunes dansent sur la musique incandescente du temps qui passe. Au-dessus du foyer, le papier peint aux couleurs vives disparait soudain sous la chape d’un cadre en pin. La toile de maître qui s’y love vibre d’un émoi que toi seul peut comprendre. Tu scrutes cette petite fille, aux cheveux à la blondeur dorée, dont la robe de mousseline blanche ondoie sous la caresse d’un vent d’innocence. Le sourire léger et charmant qu’elle arbore t’emplit d’un bien-être saisissant, telle une pluie fine et chaude qui recouvrirait ton corps d’un manteau de plénitude. Le passé est au présent ce qu’est cette petite fille à toi-même. L’écho lointain de la naïveté.

L’été irradie joyeusement les feuilles au vert profond des arbres et arbustes, comme scintilleraient les éclats subtils d’un diamant reposant dans son écrin de maturité. Par delà le filtre transparent des vitres, tu assistes au spectacle réjouissant de l’épanouissement de la vie. La vie n’étend pas seulement son aura sur la vaste étendue du jardin, elle se développe en toi telle la dissémination de la lumière du soleil à travers les ténèbres de la galaxie. Tu poses délicatement la paume de tes mains sur ton ventre arrondi, avant de ressentir en toi les frémissements onctueux de ce toi en toi. Et vacillent les fondations de ton être. A travers les enceintes de ton existence, se diffusent la mélodie du bonheur bercée par la rythmique des battements de deux cœurs qui se répondent. L’esprit entouré par un halo d’étoiles chamarrées épinglées dans le firmament de tes émois, tu te retournes soudain et laisse tes cheveux d’un châtain clair danser une farandole extatique. En face de toi, un bouquet de pervenches violettes se déploie dans l’infini, à l’instar d’un océan sans limites qui se fondrait dans l’immensité de l’horizon. Loin, si loin, te semble-t-il, prend racine ta mémoire. Dans le foyer, des flammes hautes et nerveuses s’agitent tout en te prodiguant une chaleur douce qui s’insinue dans chaque fibre de ton corps. Au-dessus du papier-peint dont les couleurs vives se sont légèrement étiolées, le tableau qui orne le mur de tes soupirs fait jaillir un flot de nuances suaves. La couverture rouge de ce livre d’enfant dont les héros sont des anges épouse le rose garance des lèvres de la fillette, le bleu d’un ciel sans nuages, d’un ciel d’insouciance, fête ses fiançailles avec la dorure de la toison de la jeune fille. Ses yeux fixent les tiens. C’est un dialogue de mots muets, des mots qui grandissent inexorablement. La vie est une roue dont l’axe tourne indéfiniment sur elle-même. Et ta vie roule sur elle-même, de plus en plus vite, descendant la pente du temps. Loin, si loin, ton enfance, miroir rétrécissant de ce que tu fus jadis.  

L’automne s’incline sous le poids des nuages lourds, avant de baisser les bras devant le déclin de la flore sous-jacente. C’est paradoxalement étreintes par le froids que les couleurs chaudes font leur apparition : le jaune, l’orange, l’ocre et le rouge, palette flamboyante du vieillissement, se répandent sur la toile de cette nature mourante. Mais au silence de la déchéance répondent les cris égayés de jeunes gens qui baladent leur ingénuité sous la ballade de la joie de vivre. Derrière la croisée se croisent le regard de tes enfants avec le tien. C’est un réceptacle. C’est leur futur qui répond à ton passé. Mais le reflet du miroir se fait de plus en plus flou à mesure que baisse ta vue. Ton existence se recouvre jour après jour d’un fin voile de brouillard translucide, tel un linceul irréversible qui se tisserait lentement par-dessus ton corps. Tout dépérit, tout finit par disparaître. Et ne coule plus à présent ce fin filet de sang que tu avais fini par comparer à la vie, qui n’est plus que mort à présent. En toi résonne un vide sans nom. Ou bien un nom sans visage. Un nom au copyright éteint. Tout droit de reproduction interdit. C’est éclairée par cette inquiétante lumière noire que tu passes la main dans tes cheveux, à la nuance châtain foncé, et que tu jettes un regard dans l’antre de ta chambre. Sur le parquet dont la vitrification s’est estompée, le guéridon semble te narguer, te montrant ostensiblement à quel point les années qui passent n’ont pas d’effet sur lui. Fièrement, il porte sur ses épaules solides le vase à l’intérieur duquel un bouquet de pervenches violettes expose narcissiquement sa fraicheur à qui veut bien le voir. Voir et entendre. Tu entends alors un craquement sinistre. Le bois sec dans la cheminée libère ses dernières énergies en faisant se mouvoir pathétiquement ces quelques flammèches qui se ridiculisent à vouloir croire qu’elles sont immortelles. Un peu plus haut, le papier peint s’est jauni, ces couleurs sont délavées. Seules les teintes vives de la peinture de la fillette apportent encore un peu de joie à cette pièce à l’atmosphère chargée d’une odeur de renfermé. Ses traits lisses, francs et généreux contrastent avec les griffures que le temps a gravées sur ton visage. Tes rides rodent autour de la rade où mouille le vaisseau fantôme de ta vie. Et les yeux de la fillette brillent d’un feu éternel, alors que des tiens n’émane que le crépuscule de ta jeunesse. Tristesse du départ. L’existence est le Nil, sa dernière cataracte en est la fin. Larmes qui coulent dans le néant comme chute la pluie au fond du trou béant de la tombe.

L’hiver assourdit l’espace de sa clameur pétrifiante. Le gris sinistre du ciel fait écho au noir défunt de l’humus et au blanc chrysanthème de la neige. Le végétal s’est fait pierre, de la vie ne demeure plus que le silence figé du vide. Eole, flottant au sommet d’une montagne blafarde au relief décharné et au pic acéré, souffle son air glacial à travers la plaine de la nostalgie. La vie est une rivière dont l’amont est la naissance et l’aval le trépas. L’eau passe. Tout se lasse, tout se casse et tout trépasse. Derrière ta fenêtre fermée pour ne pas laisser s’échapper le peu de chaleur qui reste, tu fixes le désert de ton jardin dans lequel règne l’absence. L’absence de ces êtres, chère chair de ta chair, qui s’en sont allés continuer leur existence loin de toi, ne te laissant que l’abandon comme seul compagnon. Les yeux baissés vers le sol, le dos vouté par le poids du temps, les jambes tremblantes soutenues par une canne fragile, tu sens bien que te quitte peu à peu le souffle rare et étrange qui fait que tu continues à exister. Tu sens et tu sais. Tu sais bien que l’inéluctable va bientôt frapper à ta porte, tel le glas sinistre dont le tintement funeste résonne dans le crépuscule. Le trépas est au temps ce qu’est la lune à la marée : les eaux ténébreuses s’avancent inexorablement et recouvrent lentement mais sûrement le sable de ton existence. Pour l’ultime fois, tu tournes la tête, sur laquelle tes cheveux ont pris les nuances de la paille de fer, et observe cette pièce qui t’a vu naitre, croître, décliner et sous peu mourir. Alors que le parquet au bois râpé soutient les pieds du guéridon, sur ce dernier se débat vainement le vase dont le cristal s’est terni. En son cœur, tel un souvenir de ton autrefois, un bouquet de pervenches violettes jette encore une fois un panache de feu qui éclaire la chambre, comme un soleil couchant illuminerait l’horizon. Le rougeoiement terne des braises agonisantes dans l’âtre ironise sur le sens de ta vie. Promptement de la poussière de charbon, rien que des cendres synonymes d’oubli éternel. Au-delà de la cheminée, par delà le champ stérile de ce papier-peint dont les formes et les couleurs des motifs ont à présent disparues, ne subsiste que ce tableau, le tableau, ton tableau. Une petite fille. Une petite fille à la coiffure aux reflets d’or, au visage fruité, au sourire lumineux et constant. L’opale de l’innocence, l’espace infini de la jeunesse, la saveur extatique de la vie. De tes yeux teintés de nostalgie se déversent enfin les larmes du regret. Ton passé est terminé, ton futur avorté, ton présent un adieu. Cette toile, c’est de toi le testament. Tes paupières s’abaissent maintenant et, dans la noirceur finale, tu vois alors cette fillette, depuis si longtemps figée, prendre vie. Elle respire, elle rit, elle se met à courir à travers l’immensité de la prairie. Et, alors que le jour se fait nuit, elle s’enfonce dans les taillis d’une forêt d’émeraude dont les éclats brilleront à tout jamais dans les profondeurs de l’éternité.

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Coup de cœur : 14 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : sylvaine

Je n'ai pas les mots, tellement c'est bien écrit! C'est tout simplement d'une profondeur magnifique Merci.

pseudo : Iloa

C'est magnifique ! Un mariage entre entre l'être et la nature...une vie ! Je te relierai, je reviendrai m'imprégner de chacune de tes phrases tant elles sont belles.Merci.

pseudo : lutece

Epoustouflant, ton récit est beau comme ce bouquet de pervenches qui n'en finit pas d'embaumer les 4 saisons de la vie. Un grand bravo et un très grand CDC pour cette oeuvre!

pseudo : BAMBE

Une grande qualité d'écriture, c'est un réel plaisir d'en découvrir les nuances,les images ... Bravo et CDC

pseudo : dees_d_amoure

profand et ça fait plaisir!! gigantesque cdc

pseudo : w

Merci beaucoup pour vos commentaires si gentils. Je dois bien reconnaître que c'est l'un de mes textes préférés (je n'en ai placés sur ce site qu'une poignée pour l'instant). L'inspiration m'en est venue à l'écoute de l'album "Odessey and Oracle" des Zombies ainsi que de la chanson bonus "Imagine the swan". La nature, les objets et la femme... Le temps qui passe et tous ces autres qu'on ne voit pas... Merci encore.

pseudo : Karoloth

Les quatre saisons façon W. Superbes descriptions. On s'y baigne au rythme du temps qui passe. CDC!!!

pseudo : damona morrigan

Grand coup de coeur pour ta Rosalie et les saisons de la vie qui passent, bravo et merci

pseudo : PHIL

Admiration et big respect pour cet écrit superbe!!!!CDC

pseudo : w

Voilà des commentaires qui font chaud au coeur du petit scribouillard que je suis :-) MErci à tous et à très bientôt.

pseudo : JEAN PIERRE

Plus je te lis et plus je me sens tout petit... Plus je te lis et plus les mots sont beaux... Plus je te lis et plus je te dis M.E.R.C.I.S.S.S

pseudo : w

Voilà des mots qui me font très plaisir, JEAN PIERRE. Merci à toi de m'avoir lu.

pseudo : milania caetano

c'est vraiment un magnifique poeme...vous êtes un poète par excelence...vos écris sont d'une grande merveille...c'est un honneur d'avoir la chance de vous lire, je me sens plus que minuscule quand je vous lis et c'est un gran plaisir. vous êtes un artiste, un maître poètes.. de tout les temps ^^ c'est certain votre avenir c'est la poésie...CDC bravo a vous

pseudo : w

Si vous étiez peintre et mes joues toile, je crois que votre pinceau déploierait avec emphase toute la gamme chromatique du rouge. :-) Je me sens bien petit devant de tels grands mots concernant ma nouvelle. Que dire d'autre sinon que je suis profondément touché par votre cascade de caresses verbales. Merci, Mercis, MerciS ;-)