C’est encore un de ces soirs où je n’arrive pas à fermer l’œil, les tracas, les problèmes et toutes les choses qui restent à faire… Il faudrait arriver à chasser ses pensées de ma tête. Soudain, je me dis pourquoi ne pas essayer de retourner dans ma maison…
Je me concentre sur elle, son image se forme petit à petit. Voilà que je me retrouve dans ma cuisine en train d’éplucher des pommes de terre ! « Hanna, vous savez à quelle heure il doit arriver ?, c’est vous qui l’avez eu au téléphone ce matin. » C’est ma gouvernante, qui en reprenant sa place en face de moi, me répond qu’elle ne sait pas exactement à quel moment Monsieur Mac Lean rentrera, il ne lui avait pas précisé. Ce n’est pas une mince affaire, nous attendons tout de même la visite de Sir Mac Lean, eh oui, le vieil homme qui m’avait cédé cette belle demeure et cette seule idée me rend fébrile. C’est à lui que je dois ma nouvelle situation, je suis l’intendante de toute la fortune familiale ; il est beaucoup question d’œuvres d’art et aussi de projets humanitaires.
Je laisse Hanna à la préparation de la table au séjour tandis que je me dirige vers le bureau pour finir les tâches de la journée, encore quelques comptes à boucler. C’est un jeu d’enfant pour moi, j’ai l’habitude de ce genre d’emploi et j’ai l’impression déjà de connaître toutes les activités de la famille. « Madame, le dîner est prêt ». Je ferme le bureau et lui suggère d’attendre encore un peu avant de le servir. A mon grand désarroi, Sir Mac Lean ne vient pas. En l’attendant, j’ai essayé d’extirper à la servante quelques renseignements sur notre invité, et, le peu qu’elle m’a appris me sidère, ce n’est pas Sir Mac Lean mais Monsieur ! Nous ne parlons pas de la même personne… C’est son neveu, sa sœur l’a déshérité et déchu de son titre.
Puis, il est temps pour elle de prendre congé de moi, c’est la fin de sa journée de travail et elle rentre chez elle comme tous les soirs aux environs de 18 heures. Elle habite le bourg voisin avec son mari déjà âgé. Il faut dire qu’elle n’est pas de toute première jeunesse non plus mais si vivante et pleine d’énergie.
Après avoir avancé mon travail du lendemain, je m’installe devant la télévision avec ma tasse de café noir. Je regarde distraitement l’écran tout en rêvant à cette aventure troublante. Soudain, un bruit me fait sursauter, me sort de ma torpeur, un coup d’œil sur la pendule, il est minuit passé. Devant la porte se tient un homme d’une allure étrange, vêtu d’un manteau et d’un bonnet alors qu’il fait doux, c’est la fin du printemps. Grand, très pâle, ses beaux yeux bleus cernés me regardent confus. « Hanna ! Oh vous ! Vous êtes la nouvelle propriétaire ? ». Je n’ai pu lui répondre que par un « oui ». Je me reprends en lui souhaitant la bienvenue et en proposant de lui servir son repas que j’avais gardé au chaud. Il refuse et se retire sans aucune explication autre que sa grande fatigue. Il monte à l’étage et sors de sa poche la clef de la chambre que je croyais interdite d’accès. Déconcertée et déboussolée je rejoins mon antre.
Cela fait plusieurs jours qu’il vit ici, mais je ne le croise que très rarement. J’ai le sentiment qu’il me fuit. J’ai beau harceler ma gouvernante, elle reste muette comme si cela la dérangeait. Elle est au service de la famille depuis toujours et je sens qu’elle me cache des choses. Au bout de quelques temps, un climat de confiance s’instaure entre nous deux, petit à petit, elle me révèle certains petits secrets. Il avait disparu depuis quelques années, il a été marié mais n’a pas eu d’enfant. Mac Lean avait une réputation de tombeur invétéré ; il avait une sexualité débordante et aimait les femmes autant que les hommes. Aujourd’hui, il est âgé de trente quatre ans, solitaire et taciturne.
Un jour qu’Hanna fait le ménage à l’étage, je jette furtivement un œil dans sa chambre et j’y découvre tout un appareillage médical. Elle est aménagée comme dans une clinique. En descendant les escaliers, m’ayant aperçu en train de l’épier, elle m’explique qu’il est revenu pour se faire soigner à l’hôpital. Un matin, le téléphone sonne. La tempête s’est levée et ma gouvernante me prie de lui donner quelques jours de congés pour pouvoir s’occuper de son mari malade. Bien sûr, je les lui accorde pour le temps nécessaire. Les journées passent. Je suis désormais seule dans la grande maison, isolée par le mauvais temps. Je m’adonne donc à mes activités favorites : la peinture et la musique.
Le temps s’écoule doucement. Un soir cependant, alors que l’orage éclate, je suis saisie de frayeur en voyant apparaître devant moi Monsieur Mac Lean que je n’avais pas entendu entrer. Je m’empresse de baisser le son du lecteur et suis plutôt gênée d’avoir été prise en flagrant délit. En posant sur moi son regard vide d’expression, il affirme : « J’aime la musique que vous écoutez. » Sur la table basse trônent mes pinceaux et mes peintures. « Je peux ? » me dit-il en désignant mes dessins du doigt. J’acquiesce de la tête. « Des falaises…hum » puis les reposent. Il retire son manteau et son bonnet, sur le sommet de son crâne, un fin duvet blond. Je devine que ce sont les stigmates de la maladie qui le ronge et le résultat des traitements médicaux lourds qu’il subit. Je ne laisse rien paraître de ma surprise et lui propose un café. A mon grand étonnement, il accepte en s’installant dans un canapé. Je lui rapporte une tasse et prend place face à lui. « Pourriez-vous remettre le morceau que vous écoutiez quand je suis arrivé ? Et aussi fort que tout à l’heure ? » Sans dire un mot je remets la chanson. Tous deux, emportés par l’émoi de ce partage inattendu, nous savourons, en silence, cet instant magique. Lorsque les dernières notes s’achèvent, il se lève, prend ses affaires et monte dans sa chambre. Je reste là, assise, un peu dépitée, en pensant qu’il me tient rancune de lui avoir quelque part dérobé son bien, sa maison.
Le lendemain, je suis dans la cuisine, je prépare mon petit déjeuner quand il descend. L’absence d’Hanna semble l’irriter au plus haut point. « Son mari ne va pas mieux, j’ai besoin qu’elle soit là auprès de moi, comment vais-je faire moi ? » Il s’emporte. « Je ne suis qu’un cobaye pour les médecins, j’en ai assez de tous ses examens, je me sens si fatigué ». Puis le silence, j’attends qu’il se calme. « Même un cobaye a besoin d’un bon petit déjeuner », je le sers. Après une longue hésitation, il se décide à manger et bien plus paisiblement me demande s’il m’appelait depuis sa chambre, est-ce que je l’entendrais. « Bien sûr, la mienne est à côté de la vôtre et j’ai le sommeil léger ; le moindre bruit me réveille ! » Il semble rassuré. Alors que je débarrasse, il propose de me montrer un endroit qu’il aimait beaucoup et où il allait souvent se réfugier dans le passé.
En traversant le jardin agréablement remis en état sous les doigts d’or de Georges le jardinier attitré de la famille, mes yeux admirent une multitude de fleurs dont mes préférées les rosiers anglais, les lilas importés d’Indes que j’ai commandé spécialement pour agrémenter ce lieu de délices, de senteurs douces et de couleurs chatoyantes. Lentement, nous avançons sur un petit sentier qui mène à un hangar. Je me rappelle de ma première visite, je me vois suivre les dalles au sol, j’ai une vision furtive du pavillon dans lequel j’avais rencontré son oncle. Je n’avais pas pu voir cet autre chemin à cause des herbes trop denses certainement, il m’avait échappé. Nous entrons dans la bâtisse transformée en atelier et encombrée de bric-à-brac, j’y découvre une autre facette du personnage. C’était un amoureux de la peinture ! En soulevant les draps qui couvrent les chevalets, il reste impassible pourtant je sais qu’il se souvient. J’entends des rires de joie, des discussions entre enfants, des mots d’encouragement et de félicitation… de sa part, à lui. Mais une ombre m’envahit, il ne reste plus qu’un sentiment de tristesse, de désolation et d’abandon. « Ils ne sont plus revenus quand ils ont su pour ma maladie ». « Je vais lui redonner vie, c’est dommage de le laisser ainsi, vous verrez en un rien de temps, cet atelier sera remis sur pied ». En me regardant droit dans les yeux, il déclare qu’il aime mon côté positif et fonceur. « J’apprécie les femmes comme vous, vous ne baissez pas les bras pour si peu ». A présent, nous retournons à la maison, cette promenade et toutes ces émotions l’ont affaibli. Je suis contente, je sens que je gagne sa confiance.
Le soir, alors que je me dirige vers ma chambre et lui vers la sienne, il souhaite que je l’accompagne. Il a toujours aimé lire mais même cet exercice l’épuise. « Voulez-vous me faire la lecture du livre posé sur le chevet ? » Je m’en saisis, l’ouvre à l’endroit où est glissé le marque page et commence à le lire en m’installant sur la chaise à côté de son lit. Lui, s’allonge confortablement et m’écoute en fermant les yeux.
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Commentaires :
pseudo : w
Et moi qui croyais que Mac Lean ne reviendrait plus... Eh bien non ! Le voilà de retour avec en son coeur une profondeur que je ne m'attendais pas de sa part. Un très joli texte que j'ai pris un grand plaisir à lire cet après-midi. Je te félicite et suis impatient de lire la prochaine étape de cette histoire passionnante. A bientôt. :-)
pseudo : VIVAL33
La suite de ce passionnant voyage, qui nous glisse dans d'autres espaces. Merci
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