Lorsque sur la couche de l’horizon le soleil mourant pénètre le corps naissant de la lune, saigne une lumière aux éclats de cornaline. Le feu rouge-orangé distille alors son incandescence à travers la plaine de mon existence, comme une vague aux eaux salées qui, d’une caresse langoureuse, ferait glisser sa main le long de ma colonne vertébrale. L’halo brûlant se répand sur mon conscient verdoyant avant de venir s’éteindre sur la surface moirée du lac aux eaux profondes de mon inconscient. C’est à ce moment, dans ces flots nuptiaux, que se mêlent et s’entremêlent le jour et la nuit afin de donner naissance à la vie. A l’origine de tout se trouve le double. Flottant sur l’herbe humide de mes pleurs, je m’avance lentement vers ce lac mystérieux sur lequel dansent en farandole les ombres et les lumières. Me voici à présent au bord de cette étendue aqueuse sur laquelle se reflètent en des formes kaléidoscopiques la brillance lointaine de Mars et de Venus. Alors que d’une colline éloignée j’entends faiblement le bêlement apeuré d’un mouton répondant aux hurlements féroces d’un loup, mon regard intrigué se pose sur cette eau scintillante dont la peau translucide se meut délicatement. Tout en moi ce fige soudain, comme le flash aveuglant du premier appareil photographique qui aurait fixé pour l’éternité un bref instant de la vie de ces êtres dont il ne demeure aujourd’hui plus que de la poussière. Les pupilles dilatées, je vois avec effarement se peindre sur la toile liquide un visage qu’il me semble reconnaître. Les cheveux hérissés, le front ridé, les yeux écarquillés, le sourire grimaçant, tout de lui m’est intime et pourtant étranger. Alors que sa figure se fait nette sur le miroir du lac, tout se trouble aux tréfonds de mon être. Oui, je sais qui il est : il est moi ! Mais un moi qui n’est pas mien, un moi qui ne me ressemble que par les dissemblances qu’il a avec mon être, un moi qui est mon double inversé, la face obscure et cachée de ma personnalité. Nous nous fixons intensément pendant un temps infini durant lequel, par l’encre de nos yeux, nous dialoguons dans le silence de cet univers intérieur. A chaque question, sa réponse ; c’est un échange de répliques sous la forme paradoxale d’un monologue. Mais à mes chuchotements ne me reviennent que des cris, à mes rires des larmes, à mes espoirs des déceptions, à mes rêves que des cauchemars. Nous sommes un ; je et moi. Mon esprit est une plaine en guerre des deux côtés de laquelle sont creusées profondément des tranchées ruisselantes de boue où grouille la vermine et où meurent les soldats de la stabilité. Il ne peut y avoir de paix, mais la victoire de l’un signifiera la destruction des deux camps qui s’affrontent. C’est une lutte sans issue. Sleeping with the ennemy…
Depuis les origines de l’humanité, tout n’est que question d’ambivalences qui se compensent, de mesures contraires qui trouvent leur équilibre. Mais qu’advient-il lorsque la balance psychique d’un individu se confronte à l’inégalité, lorsque sont déposés sur les plateaux du conscient et de l’inconscient des poids à la masse respective inégale ? Rupture de l’harmonie, Désordre, opposition, combat, chaos. Maât se schizophrènise. Dans la tourmente tournoyante de la folie, j’erre comme un damné en quête d’un univers de sérénité. Or, arrivé à lisière de mon parcours, c’est avec effroi que je constate que je suis revenu à mon point de départ. Mon esprit est un dédale qui n’a d’issue que dans l’autodestruction. En moi croît le syndrome de la dualité archétypique, telle la rencontre sempiternelle de la lave du volcan et l’eau de la mer dont le mariage incestueux ne pourra donner naissance qu’à de la pierre… une pierre tombale. A ma créativité répond la destruction : je bâtis durant de longues années un lieu de vie qui sera le temple éternel de mes espoirs, puis en une poignée de secondes je le réduis en cendres sous le fléau génocidaire du feu de mes désillusions ; à ma spiritualité ne répond que l’instinctivité : telle une petite araignée calme et déterminée, je tisse jour après jour ma toile légère et aérienne qui me permettra de flotter dans les cieux des dieux sous un soleil de félicité, et en une nuit de psychose, je déverse la cataracte véhémente de mes peurs primaires et de mes haines barbares qui déchire les fils finement tissés puis me font m’écraser plus bas que terre. En moi, l’ivoire de la pureté et de l’innocence se fond, telle une sueur infecte dans le tissu immaculé, à l’ébène de l’immondice et de la pestilence. Le blanc et le noir ne s’annulent pas mais donnent la vie au gris, l’enfant mort-né de l’arc-en-ciel. Duel rime avec mortel.
Sous la chape incendiaire d’un soleil de plomb, je marche sans fin dans le désert de ma dualité. A chaque seconde, je risque de m’enliser dans le sable meuble de l’anti-moi. Par la chaleur infernale de ce ciel sans dieux, le sable se vitrifie tout à coup, et j’aperçois à nouveau mon reflet tronqué dans le miroir des mes affres intérieures. Je m’arrache à cette vision ennemie, je cours, je m’enfuis, je vais par delà les dunes en direction de cet horizon bleuté qui prend les formes salvatrices d’une oasis. Mais les palmiers se révèlent être des cactus aux épines empoisonnées, mais les arbrisseaux au vert apaisant et protecteur ne sont que des buissons d’épines, mais l’eau rafraichissante ne s’avère être que l’ombre de mes illusions. Un mirage psychique. Une ombre. L’Ombre. Car à force de résister à la réalité, de me protéger par le mensonge, de nier et refouler l’existence de mon autre moi, je finis par le rejeter de mon for intérieur ; c’est alors que sous mes yeux effarés, il apparaît hors de mon esprit, se matérialise devant moi. Il est l’intolérance. Il est le rejet. Il est la terreur de l’autre. Il est la haine. Je suis le Prométhée existentiel : d’une motte d’argile maligne, je viens de créer mon avatar, mon adversaire intime dont le sens et l’essence de sa vie reviendra exclusivement à agir à l’opposé de mes convictions. La victime se fait bourreau…
Je t’aime… En moi résonne le cœur mais déraisonne l’esprit. Mmm ! Mes émois à moi son mus par une matière musicale, mélopée magique qui m’immisce au monde de l’amour, un amour passionnel pour toi. Le refoulement de mon autre moi a cependant généré cet avatar. Et lorsque mes iris s’hérissent de plaisir à contempler ton image sur cette toile de maître, le tableau se transforme en mon pire rival : mon miroir psychique. Projection symétrique de mes tourments… sur toi. De mon âmie tu te mutes en mon hainemie. Oui, te voilà mon ennemi personnel sur lequel je projette mon Ombre qui devient la tienne. Tu es la bête noire que je vilipende et à laquelle je reproche tous les défauts, tous les vices, tous les maux… qui sont pourtant les miens. Je te demande pardon de t’aimer, mais moi te hais tant. Je me méprise, je me dégoute, je m’exècre, je me vomis ; tu es le réceptacle involontaire de mes affres. Je suis le projecteur cinématographique, moi es la pellicule de mes souffrances et tu es la toile vierge. Malheureusement, mon amour est meurtrier. Malheureusement, Cupidon décoche ses flèches en plein cœur ; mais les cœurs se brisent, et l’amour devient la mort. Malheureusement, ma faiblesse et ma lâcheté me poussent encore et toujours à refuser d’accepter que dans mon esprit vive ce moi. Et donc moi reste toi. C’est ainsi…
Non, il n’y aura pas de fin heureuse à ce codex de la perdition mentale. Ce texte s’achève sur un goût amer, une fausse note dans la partition de cet amour immense qui, pourtant, vit en moi. C’est un lamento qui sombre en requiem.
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Commentaires :
pseudo : féfée
La vie est une grande aventure, et les pires combats sont ceux qu'on se livre à soi-même... Un texte haletant, profond qui parle de la dualité qu'on a en chacun de nous. CDC mérité
pseudo : féfée
oui, par contre j'ai oublié de te dire que c'est écrit vraiment petit...
pseudo : w
Je te remercie sincèrement féfée pour ton message. C'est très gentil, merci beaucoup. Oui, il faut se battre, si tant est que l'on a le courage de le faire. Et j'ai agrandi les caractères !!! lol A bientôt. bisous.
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