Le puit:

   Une lande désolée, découpée par une immense falaise rongée par l' océan. Quelque part en Angleterre, le pays du Saint Graal? Peut-être en Ecosse, en Bretagne ou en Irlande, terres de légendes, terres celtiques. Ou en Islande, immense vaisseau viking? A l' autre bout de la terre, face à d' autres océans? Je n' en sais rien, tout cela m' est apparu en rêve.
Un ciel chargé de nuages sombres, trés bas, qui forment de petites goutelettes d' eau aux extrémités des minuscules fleurs de bruyère. De l' écume grouillante, rugissante, qui dévore la falaise comme une armée de termites. Quelques roches éparpillées dans les herbes folles, et un puit de pierre érodé par les tempêtes et le sel.
On n' en voyait pas le fond, juste un trou noir qui semblait aspirer la pluie et les mousses qui poussaient sur son pourtour.

   C' est tout, le rêve s' arrête là, en imprimant l' image de cette cavité dans ma conscience. Qu' y a t' il à l' intèrieur? Juste de l' eau? Seulement de l' eau? Un mystère certainement, une légende éventuellement, de l' inconnu assurément, et l' inconnu a toujours attisé l' imagination des hommes. D' un simple trou, de plus entouré de vieilles pierres, peuvent sortir de nombreuses histoires, contes et légendes.

   J' imagine des fées en sortir, en ondulant leurs ailes et leurs corps de femme nue, éparpillant une poudre d' or le long de leurs passages, exauçant les voeux d' un pauvre berger qui n' en croit pas ses yeux.
J' imagine des elfes et des trolls, avec leurs gros nez déformés et leurs cheveux gras, montant jusqu' à la surface sur des échelles de bois, passant de barreaux en barreaux avec leurs petites jambes arquées, pour happer les pieds des promeneurs et les entrainer à l' intèrieur en poussant de petits rires narquois.
J' imagine des démons, des bêtes à cornes, qui bondissent de leur antre à la nuit tombée, pour envahir le monde de leurs esprits maléfiques, semer le mal sur la planète, et revenir au lever du jour pour s' abriter des rayons du soleil.
J' imagine des êtres aveugles, à la peau blanchâtre, se hisser en dehors en râlant, à la recherche de chair fraiche à se mettre sous la dent.
J' imagine, pourquoi pas, un vent de chance qui s' en échappe. Que celui qui le respire se voit emporter là où le succès et la fortune se trouvent.
Ce même trou peut aussi abriter un objet, comme un trésor dont l' or miroiterait dans l' oubli. Une horloge animée par le magnétisme terrestre qui indiquerait le compte à rebours de la fin des temps. Un parchemin sécurisé par un code secret qui révèlerait le mystère de l' humanité ... ou de la création de l' univers. La pierre phylosophale, qui aurait le pouvoir de tout changer en or.
Il se pourrait aussi que durant le solstice d' été, ou d' hiver, un faisseau lumineux traverse les parois rocheuses et indique une cache secrète, enfermant d' autres mystères sortis de nos imaginations débordantes.

   Il n' empêche que l' homme qui a construit ce puit, il y a trés longtemps, n'en a toujours tiré que de l' eau, et rien que de l' eau. Il n' aurait jamais imaginé que des siècles plus tard, des légendes se formeraient autour de son point d' eau, que quelqu' un en rêverait pendant son sommeil et méditerait sur les possibles explications scabreuses de sa présence.

   Finalement, je pense que cet homme a du se poser ce genre de question au moment où il a quitté son puit et regardé vers le large. A un moment ou à un autre, un rayon de soleil a obligatoirement percé les nuages, un faisceau de lumière s' est formé et a fait miroiter les eaux tumultueuses de l' océan. Je pense que c' est devant ce spectacle qu' il a commencé à avoir de l' imagination, il y avait encore de la place pour l' imagination, à une époque ou l' océan marquait les frontières du monde terrestre et s' écoulait en une chute d' eau qui tombait dans l' univers, quand la terre n' était encore qu' une assiette.

   Enfin, tout cela n' est peut-être que le contenu de mes fabulations, mes fantasmes, mon imagerie cérébrale ... mes songes, puisque tout ça ne sort que d' un puit imaginaire, d' un rêve que j' ai fait, comme ça, pendant mon sommeil.

M.A