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Ton absence par W

Ton absence

Tel un voile translucide qui se déposerait pudiquement sur un visage en larmes, de lourds nuages noirs dissimulent peu à peu le soleil à son zénith. Plongé dans cette semi-clarté, je demeure debout, dans une position fixe, jetant mon regard perdu sur cette tombe recouverte de fleurs fanées. Le marbre, de ses veines anguleuses, dessine la nature morte de mon désarroi. Une grosse pluie se met à tomber et noie mes pleurs intenses. Je ne suis plus que ruines corrodées par les eaux noirâtres de la tristesse. Ma main se met à caresser la pierre tombale dont la froideur me glace les sangs, tout en moi devient hiver éternel de regrets. Je jette un coup d’œil furtif sur ce qui y est gravé, tous ces mots perdus qui sont des cicatrices indélébiles sur la peau de mes souvenirs. Ton prénom se réverbe sur mes yeux humides comme le reflet brisé d’un miroir fêlé. Les images du passé reviennent en moi, vestiges délabrés de moments de bonheur à présent disparus.

Ma mémoire me fait revivre toutes ces soirées de joie que nous passions chez moi, feux d’artifices chatoyants qui illuminaient nos âmes enténébrées. Quel plaisir nous pouvions prendre à parler de tout et de rien, à partager des repas gargantuesques où coulait à flots l’alcool qui nous grisait et nous poussait à rire à gorge déployée. Oui, ce furent des instants inoubliables durant lesquels nous nous donnions tant, toutes ces émotions pures qui s’extrayaient de nos cœurs battant le rythme soutenu du plaisir. Mais tout cela est définitivement fini, relique d’un temps passé qui ne reviendra plus.

A présent ne demeure plus que la peine, ce sentiment oppressant qui enchaîne tout mon être dans la claustration perpétuelle. Je ne suis plus qu’un fragile soupir, expression nostalgique de cette époque dont il ne reste plus rien. Et je me fonds dans la lamentation la plus pathétique, tous ces émois dégoulinants qui font de ma vie une perpétuelle succession de chagrins puissants. Je dépose un bouquet de roses noires, mais me pique à l’une de leurs épines. Mon sang commence délicatement à couler sur la plaque de marbre, flots de vie se répandant sur le sol asséché de la mort. Toi aussi, durant ton existence, tu as saigné de l’intérieur, coulée brûlante de lave qui était crachée par tes souffrances et venait s’échouer sur ton cœur meurtri. Ton vécu ressurgit en moi et me fait plonger encore plus profondément dans ma psyché. 

Le sceau du destin te fut apposé dès la naissance puisque tu naquis avec cette difformité qu’on appelle avec légèreté un bec de lièvre. Mais ce fut un lourd fardeau à porter pour toi, durant l’enfance, qui dus subir les quolibets des autres enfants se moquant de ta différence. Et tu grandis ainsi, sous le fouet claquant du rire des autres, essayant de te construire sur des fondations chancelantes. Les années passèrent. Au fil du temps passant, tu te construisis une carapace d’acier derrière laquelle gisaient tes émotions les plus intimes, des émotions que tu refusas d’exprimer tant tu avais peur de ce qu’elles auraient entraîné comme réaction auprès des autres gens. Tu finis pas devenir un adulte, âge de raison dit-on. Mais en toi bouillaient tes émois les plus intenses, ce lac géant prêt à tout instant à déborder, à faire jaillir ses vagues par-dessus le barrage que tu t’étais construit. Après un service militaire durant lequel tu fus martyrisé par tes supérieurs hiérarchiques, tu revins vivre chez tes parents. Ils venaient malheureusement tout juste décéder. Tes frères et sœurs avaient subtilisé tous leurs biens. Tu ne trouveras qu’une maison vide. Tu cherchas gîte et couvert auprès de ta famille, mais tu fus rejeter par tous, te laissant comme chien galeux. Ma mère et mon père te recueillirent, prirent soin de toi, t’aidèrent à reconstruire ta vie. Le temps s’écoula et tu finis par trouver l’amour. Tu te marias et eus trois enfants. Le bonheur en somme. Hélas ! le bien-être ne dura que quelques années. Bientôt ta femme s’éloigna de plus en plus de toi à tel point qu’elle demanda un jour le divorce. L’affaire jugée, tu vis ton ex-épouse et tes enfants s’en aller au loin, te laissant seul à la merci du destin. Ton isolation grandissante te força à trouver une nouvelle amie, une amie perverse : l’alcool. Tu noyas ta peine incommensurable dans le vin et la bière, t’enivrant pour mieux t’éloigner d’une réalité si accablante. Et je te vis t’enfoncer graduellement dans le néant, ne pouvant t’aider à te sortir de ces sables mouvants. Un jour, lassé de déambuler vainement dans le labyrinthe lugubre de ta vie, tu décidas d’avaler tous les médicaments que tu trouvas à portée de mains, ultime échappatoire à ton existence nébuleuse. Et tu péris seul dans cet appartement exigu plongé dans le noir. Ta vie fut une quête dont la mort fut le trésor. A présent ne demeure de toi que cette pierre tombale, empreinte à moitié effacée de ce que fus ton existence. 

Et me voilà ici, devant ta sépulture, en train de pleurer de chaudes larmes. Mon cœur hurle son désespoir, mais ne trouve d’écho que dans le silence assourdissant du vide. Ton absence m’est souffrance en puissance, raz-de-marée dévastateur qui emporte tout sur son passage. Je suis délabrement, dévastation, chaos. Tu me manques. Mais l’heure tourne et vient déjà le crépuscule. Je jette un dernier coup d’œil à ta tombe avant de me retourner et de m’en aller à pas lents. Je laisse derrière moi ce passé trépassé et m’enfonce graduellement dans la nuit noire. Malgré les ténèbres qui m’ont envahi, ma mémoire ne peut oublier l’image de ton être que j’ai tant aimé. Je te le promets, je ne t’oublierai jamais…

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Coup de cœur : 12 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : féfée

Simplement magnifique ! Quelle émotion de lire ce texte, très bien écrit ! Grand cdc

pseudo : nani

Une émotion sincère qui brouille d'un voile les yeux...

pseudo : monalisa

Une sensation qui m'emmène dans un monde hors du temps, un délice verbal merci....

pseudo : anilremz

envie de te prendre dans mes bras c'est d'une telle douceur et déchirant à la fois

pseudo : Mme Alaska

Texte vraiment très touchant ... et super à la foi

pseudo : w

Il y a des absences qui résonnent en moi comme le glas du silence. Mais écrire mes tourments qui tourbillonnent en moi, puis les faire lire à d'autres, me permet d'évacuer le trop plein. Le mot est soupape en quelque sorte. Merci de vos commentaires si gentils. A bientôt.