Une fin heureuse.

   Aujourd' hui est un grand jour, le plus grand jour de ma vie, et je suis heureux. Je me suis toujours demandé quelle réaction j' aurais ce jour là, s' il y aurait des nuages dans le ciel, s' il pleuvrait, si ce serait l' été, ou l' hiver.

   Aujourd' hui je sais, il fait beau et de petits nuages blancs courent dans le ciel bleu, c' est un jour de printemps, un feuillage vert tendre recouvre les arbres et les fleurs embaument à travers la fenêtre entrouverte, les oiseaux chantent et je suis heureux comme jamais. On vient de m' annoncer que c' était la fin, que j' allais mourir dans quelques heures, avant la nuit en tout cas.

   Alors cette matinée je la vit pleinement, comme une nouvelle naissance, quel bonheur de vivre, même relié à des fils sur un lit d' hôpital. Tout à l' heure j' ai laché un gaz, peut-être un peu plus car je ne parviens plus à me retenir. L' infirmière est entrée à ce moment là et a pris un air dégoûté en se couvrant le nez et la bouche: "Vous avez encore pété mr Henry!"
J' ai ri, j' ai ri, j' ai ri ... je n' en pouvais plus, quelle rigolade.

   Plus tard j' ai arraché mes cathéters pour regarder par la fenêtre, je suis tombé de mon lit et j' ai rampé jusqu' au mur pour m' aggriper au radiateur. Génial! j' ai apercu le parc de l' hôpital avec ses bancs pour les visiteurs. J' ai toujours voulu m' y asseoir parce qu' il y a de grands arbres qui poussent au dessus et qui attirent les oiseaux, mais cela fait plusieurs années que je ne suis pas sorti, c' était assez ironique de savoir que je n' irais jamais sur ces bancs. Ca m' a fait sourire, tout au plus je passerais juste à côté pour me rendre à la morgue, à une vingtaine de mètres plus loin, de l' autre côté du parc. D' ailleurs j' ai vraiment ri en pensant que c' est pour cette raison que les chambres réservées aux malades condamnés, en phase finale, se trouvent au rez de chaussée, pour être le moins loin possible de la morgue ... j' ai toujours adoré l' humour noir, je suis servi.

   Deux médecins sont accourus pour me remettre sur le lit et me rebrancher à leurs machines. Ils ont soufflé, l' air agacés de mon comportement, alors j' ai dis: "Moi je meurs ce soir, et pas vous ... na na na, na nère ..!"

   C' est super, je n' ai plus aucun souci, je vis une vie idéale, une vie d' éphémère, comme un papillon, naître, vivre et mourir dans la même journée, pas le temps d' y penser, juste en profiter. Je regarde les fesses des infirmières qui passent dans le couloir, certaines m' essuient l' anus et me font pisser, certains tomberaient malades juste pour ça, quel chanceux je suis.

   Des gens de ma famille m' ont rendu visite, en pleurant, en me pleignant. Quelques uns m'ont même harcelé pour avoir des informations sur leurs héritages. J' ai dis à l' un: "Prends tous ce que tu veux, c' est à toi." et puis à l' autre: "Prends tout ce que tu veux, c' est à toi." et à chacun des autres: "Prends ce que tu veux, c' est à toi."
Je me marre, j' imagine le bordel que ça va mettre dans la famille à l' heure de ma mort: "Il m' a dit que ... Non! C' est à moi ... Non! A moi ..."
Et moi, de là-haut ou de là-bas, je me bidonnerai. Je demanderais à St Pierre qu' il ferme les portes de son royaume et qu' il mette un panneau "En grêve" ou "Fermé pour congés" ce serait marrant, on deviendrait des potes et on ferait des sales coups aux nouveaux arrivants. Et si c' est en enfer que je vais, alors je demanderais à Lucifer s' il en a une grosse, juste avant qu' il me fouette.

   Ca y est, les machines reliées à mon corps s' animent, elles s' allument et bipent de tous les côtés, dehors le ciel s' assombrit, c' est le moment. Je suis tout exité, enfin j' arrive à la fin, youpi!
"Mademoiselle l' infirmière? encore un petit nettoyage d' anus avant que je parte? ... C' est comme vous voudrez ... Prout!"

   Adieu, adieu, adieu ... adieu ... adieu ..... adieu .......... adieu .................... adieu .........................

                                                                       M.A