Elle me tire du néant
Elle raconte des histoires et elle le fait bien. Elle prend la peine de travailler, de bien se documenter avant d’écrire un texte. Une histoire, une anecdote devient une trame. Elle nage dans la vérité, même si celle-ci est inventée. Alors, chaque instrument qu’elle utilise pour accoucher de nos émotions est une merveille qu’elle rapporte de ses campagnes. Il me faudrait amasser tout l’or de nos mémoires et tisser les tentures de nos vies pour construire le théâtre de son expression. Elle possède tout cela. Et c’est magique. Magique la façon de nous installer dans des époques inconnues de nous, magique sa manière bien à elle de nous faire aimer la monstruosité du monde, magique le sens qu’elle redonne à tous les gestes du quotidien, à tous les actes qui construisent une femme, un homme, et leur société, leur société c'est-à-dire l’ensemble des gestes que les uns et les autres font à la fois pour se comprendre, pour vivre communément des choses si effrayantes pour un individu et à la fois pour devenir ce qu’ils sont.
Et dans chacun de ses textes, elle s’immerge en entier et se mouille en prenant bien soin de revêtir une combinaison qui la protège, d’historienne, d’anthropologue, plus souvent de narratrice de temps en temps d’observatrice. Mais elle est chacun de ses personnages et c’est ce don de duplicité qui emplit ses textes d’elle et de son génie. Alors bien sûr, elle préfère ne pas s’étendre sur ses chimères qu’elle traduit dans la douleur et qui se lisent avec une facilité un peu frustrante. Cela ressemble à un bon repas, préparé avec soin pendant des heures et englouti par des voraces.
Quand on la lit, c’est elle qu’on ingurgite et elle pénètre au plus profond de nos cerveaux, un peu comme si elle préférait faire elle-même les connexions qui nous manquent. La merveille de la chose est que cela se passe comme une caresse. C’est un doute permanent qui accompagne ces liens intelligents et ce doute, asséné comme une certitude nous entraîne dans des abîmes de réflexion parfois plaisants, parfois douloureux. C’est de cette manière que nous communiquons.
Alors bien sûr, c’est plus long qu’à l’ordinaire quand les écrits trouvent naturellement leur place dans des grilles construites par les autres, pour les autres. C’est plus difficile parce qu’ elle n’existe pas seulement avec des mots transformables, substituables, glissant d’un univers à l’autre ; elle existe avec sa chair et sa paresse, ses dents et son regard perçant, son emploi du temps et son sourire, elle existe au milieu des loups et dans les mains des bourreaux, elle passe sous les ponts vénitiens et survole les siècles.
Elle se raconte ses histoires. Se raconte-t-elle des histoires ? Je ne sais, je ne suis pas un spécialiste du rapport exact des gens aux choses, mais je sais que j’aime jouer à cache-cache avec elle, en pistant les oripeaux dont elle se dépouille pour arriver à cette lumière qui m’éblouit et qu’elle finit par éteindre, à chaque fois. Je la soupçonne de prendre soin de moi et je me sens lecteur devant ses mots, je la soupçonne de me faire exister et je me sens humain devant ses textes, un humain intelligent. Cela m’arrive assez rarement pour avoir envie de le lui dire.
C’est fait. Merci Anne Mordred
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Coup de cœur : 8 / Technique : 8
Commentaires :
pseudo : PHIL
un fort bel éloge, qui respire la sincérité, amitiés
pseudo : café rue et suis
Tu nous donnes envie de la lire et de la découvrir ! je note dans un coin son nom.
pseudo : Ombres et lumières, une vie
Te revoilà ! Quel plaisir de te relire ! Quel thuriféraire ! Mais, je craindrais que tu conclues à quelque moquerie : quel critique tu fais, en vérité, ami O ! Cdc !!!!
pseudo : Cécile Césaire-Lanoix
Une âme sensible et généreuse... Très bel hommage. Tu nous manques ici sur Mytexte. À bientôt. ;-)
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