JOUR 22
Je repense à hier, à l’affliction qui m’a submergé.
Il y a des moments où l’on atteint un sacré niveau de spiritualité ; on arrive presque à toucher Dieu. Il y a le Dieu qu’on nous a appris à l’école, et il y a le Dieu dans toutes les choses. J’estime avoir vu ce dernier ; dans les murs autour de moi…
Mais pourquoi tolère t’il une telle chose ? Je croyais que l’humain avait expié ses fautes depuis le pêché originel dans le jardin d’Eden ? Apparemment non, cette punition qu’il nous inflige est certainement la pire. Mais méritions-nous cela ? Les Hommes sont-ils tous si mauvais ? Non, ça je le sais. Alors je ne comprends pas, et je ne veux pas le comprendre, cela me dépasse.
Dans toute sa gloire et sa force, Dieu a fait son choix ; le genre humain est devenu obsolète par ses actions.
Alors ce qu’il a créé, il le défait.
Amen.
JOUR 25
Aujourd’hui j’ai fait une rencontre avec un module mobile Olno-Ti.
J’étais à nouveau à la recherche de subsistance depuis trois jours, lorsqu’au détour d’une rue adjacente je me trouvais nez à nez avec un robot extra-terrestre aussi imposant qu’un éléphant. D’abord je crus me trouver face à une épave, mais lorsque j’entendis le bourdonnement continu en provenance de la machine et que je vis des lumières clignoter sur l’un de ses flancs, une terreur indicible m’envahit. Je fut paralysé net, mon regard vrillé sur la chose, mes centres moteurs étant bloqués par la peur.
A tout moment je m’attendais à être pulvérisé, réduit à néant par une salve énergétique. Je me disais que ce serait une belle fin, propre et sans bavure, abrégeant mes souffrances et mes tourments dans un monde condamné d’avance.
Mais rien ne se produisit. La machine continuait à bourdonner, impassible devant ma présence.
Les senseurs de cet assemblage de circuits et de plastique m’ignoraient, m’assimilant certainement à une partie du décor ou à un être sans importance pour y porter un intérêt quelconque. J’étais donc classé comme inoffensif dans les banques mémorielles de l’engin, qui attendait certainement l’émersion souterraine des défenses Velp-Hâh pour les prendre de revers et les détruire. Mais me considérer comme inoffensif et être jugé sans valeur par une machine, c’était à hurler de rire ; mais un rire bien ironique.
De même, je me sentais dominé par un complexe d’infériorité latent, et je voulus y suppléer en donnant un coup de pied à cette mécanique. Cependant je suspendis mon geste au milieu de sa course, estimant que le robot risquait de reconsidérer son jugement vis à vis de mon inoffensivité.
Avec précaution je fis donc demi-tour et dès que je fus hors du champ des détecteurs je me mis à courir, mettant le plus grand écart entre la machine et moi. Dorénavant je vais éviter ce quartier, malgré la probabilité que le robot soit détruit ou qu’il ait changé de position.
Cela fut le seul fait marquant de ces derniers jours.
JOUR 26
A cher manuscrit, de jour en jour tu t'étoffes de plus en plus. En me relisant, des souvenirs nouveaux m'assaillent ; caractéristiques de cette époque.
Voilà peut-être un an, sur le chemin du retour vers mon repaire, je dus faire un détour pour éviter un quartier que je connaissais bien après une fâcheuse expérience. C'était le territoire d'une bande d'adolescent qui eux, contrairement aux adultes, vivaient en groupe, et attaquaient sans hésitation toute personne qui osait empiéter sur leur domaine.
Plusieurs mois auparavant, pendant une nuit plus sombre que d'habitude, je perdis mon chemin et passais dans ce quartier. Ce fut grâce à beaucoup de chance et à la complicité de l'obscurité environnante que je dus mon salut. Mais nombreuses furent les journées où je dus soigner mes blessures.
Pour rien au monde je ne voulais et ne veux à nouveau rencontrer ces jeunes, issus de la génération du chaos, et ma plus grande crainte est qu'ils découvrent mon repaire.
En somme l'humanité est tombée bien bas. Il ne fallut que quelques années pour défaire des siècles de progrès, pour revenir aux âges farouches et barbares de la préhistoire.
Donc, haletant, je gravissais un monticule de décombres qui me permettrait de rejoindre une rue transversale, me faisant ainsi contourner le territoire redouté.
A mi-chemin du sommet, j'entendis un rire sournois et un désagréable sentiment d'appréhension se mit à croître en moi. Levant les yeux, je m'attendais à voir la bande d'adolescent prêt à me dégringoler dessus, mais qu'elle ne fut ma surprise lorsque je vis une femme.
Elle devait être belle pas le passé, mais avec les années elle avait pris le même aspect que la ville ; amaigrie par la faim, les membres fragiles à se briser comme des allumettes, crasseuse avec une expression hagarde, et dans les yeux se reflétait la folie qui la minait. Ses cheveux, blonds jadis, étaient ébouriffés et maculés de déchets. Le seul vêtement qu'elle portait n'était qu'une chemise en loque imprégnée d'immondices.
Dés qu'elle m'aperçut, elle se dirigea vers moi, lentement. De sa gorge provenait alternativement un râle rauque et un rire grincheux.
Elle s'assit en face de moi et leva sa main gauche encrassée pour la poser sur ma jambe. Son corps était secoué de violents spasmes.
A ce contact répugnant, et avec l'odeur infecte qu'elle dégageait, ma conscience refit surface et mes jambes voulurent à nouveau fonctionner. Dégoûté, je fis quelques pas en arrière en trébuchant, gardant tant bien que mal mon équilibre sur la pente raide afin d'éviter une chute, ne la quittant pas des yeux.
Devant ma retraite, la femme se releva, son visage marqué par un mélange d'étonnement et de fureur. De toute sa personne émanait un appel, une invitation. Je fus pris de nausées et écœuré, gravis les derniers mètres de la pente pour me laisser glisser sur l'autre versant et échapper à cette horreur. Ma fuite dans la rue fut suivie par son rire dément et lorsque je me retournais, je vis sa silhouette décharnée se découper sur la grisaille du ciel.
Je me demandais comment elle avait fait pour rester en vie toutes ces longues années, et surtout lors des hivers. Peut-être que sa folie datait depuis peu. Puis, je regrettais ma fuite. Car je savais qu'elle allait bientôt mourir, minée par la maladie, engloutie par la folie. Un simple geste aurait abrégé ses tourments.
Caressant la crosse de mon fulgurant, je voulus y retourner. Mais mon corps n'obtempéra pas ; refaire front à cet être ? Entendre à nouveau ses râles immondes ? Je ne le supporterai pas une seconde fois.
Mais pourquoi avoir eu peur d'une femme ? Qui de plus était maigrichonne et sans force ? Car c'est ce qui adviendra de l'humanité entière à plus ou moins longue échéance, en l'occurrence à moi-même ; sombrer dans une folie inéluctable. Ainsi cette femme est le miroir de l'avenir de l'homme et je ne voulais plus y contempler mon destin.
Alors redressant le sac sur mon épaule, et essayant d'oublier cette rencontre, j'ai poursuivi, lâchement, je le reconnais, mon chemin.
JOUR 32
Depuis quelques jours, j'observe l'horizon, vers le nord. Je ne suis pas sûr de mon fait, néanmoins quelque chose de très important est en train de se produire. J'en suis conscient dans toutes les fibres de mon être.
Un calme inhabituel règne sur la ville. Il n'y a plus d'offensive Olno-Ti !!
Est-ce un signe ? La guerre serait-elle finie ? J'en doute…
Je subodore quelque chose de terrifiant.
Dans les jours suivant je n'écrirais pas, je vais attendre d'être sûr avant de poursuivre. De toute manière, avec l'angoisse croissante dans mon esprit, je pense devenir incapable de coucher le moindre mot dans mon manuscrit. Alors cher livre, ne m'en veux pas si je te délaisse quelques jours.
JOUR 38
Mon temps est compté, la fin approche, imminente.
Ce que je redoutais est devenu réalité. Je l'ai su lorsqu'un fait étrange se produisit. Quelques heures auparavant, avant la tombée de la nuit, le ciel commença à se dégager, laissant filtrer de plus en plus clairement l'éclat glacial des étoiles, ces mêmes étoiles qui restèrent absentes plusieurs années durant. Elles répandent à nouveau leur lueur falote sur la Terre. Elles assistent, impassibles, au drame qui s'y joue. C'est à croire que le plafond de nuages s'est entrouvert expressément pour que l'univers voit dans son intégralité la fin d'un monde.
Des étoiles que l'homme avait visitées tant de fois avec son imagination, mais qui par une ironie du sort vinrent elles même sur la Terre pour y semer la destruction. Cela me rappelle une légende parlant d'un prophète et d'une montagne – une belle histoire cependant – mais oubliée voilà longtemps.
Soit ! La fin du monde est proche et il faut que je pense à terminer ce mémoire au lieu de perdre mon temps à philosopher.
L'un des deux protagonistes de cette guerre insensée venait d'amorcer la super-bombe, ou l'arme ultime comme je l'appelle. Depuis que je connais l'existence de celle-ci, je crains son application.
Je ne sais pas qui en est responsable ; les Olno-Ti remarquant qu'ils ne peuvent s'emparer de ce monde pour l'occuper, préférant le sacrifier au détriment de tous ? Ou les Velp-Hâh n'y voyant plus d'intérêt prirent la décision de le détruire afin d'éviter le risque qu'une autre force ne s'en empare ? De toute façon, que ce soit les uns ou les autres, la conclusion est la même ; La Terre est perdue.
Le procédé de la bombe ? Très simple, élémentaire presque. Une charge de fusion moléculaire fut posée sur chaque pôle de la planète. Après leur explosion dévastatrice en elle-même, une réaction en chaîne inextinguible s'amorcera ; La structure moléculaire des éléments légers se transformera d'abord pour se changer en pure énergie. Puis viendra le tour des éléments lourds, pour finalement atteindre le cœur même du globe. Le système solaire dénombrera alors un deuxième soleil. Six jours seront nécessaires pour que la combustion nucléaire soit totale. Six jours de répit pour ceux qui vivent à l'équateur.
D'autre part, cette réaction aura aussi une répercussion sur l'équilibre déjà précaire du système solaire, et je n'ose en imaginer les conséquences.
Détruire ainsi un monde et par-là en perturber d'autres, c'est de l'assassinat pur et simple. Je me demande pourquoi Dieu, ou l'être supérieur qui créa l'univers, tolère cela ; l'anéantissement total d'une race encore jeune et faible pour faire front aux problèmes d'ordres galactiques. A moins que nous ne le méritions. Mais pour qu'elle raison ? Jamais je ne le saurai.
J'ai décidé que je n'attendrai pas l'échéance finale pour mourir dans d'atroces souffrances. Afin d'éviter cela, il me reste qu'un seul subterfuge. Rarement je me suis servi de mon fulgurant et je crois qu'il reste encore assez d'énergie dans les accus pour accomplir mon dernier geste.
Mais avant cela, il me reste à accomplir une ultime tâche.
Demain !
JOUR 43 (dernier !…)
Voilà, je suis auprès d'une unité Velp-Hâh encore intacte. J'en ai mis du temps, mais je savais ou en trouver. J'ai appris que ces mécaniques extra-terrestres sont dotées d'un système automatique de conservation. Quelques heures avant d'être atteint par l'incendie nucléaire, un mécanisme de prévention les fera décoller pour qu'elles puissent gagner la sécurité de l'espace.
Donc je vais coincer mon manuscrit entre les circuits de cette mécanique, ainsi il sera sauf, peut-être perdu dans l'immensité du cosmos, mais non détruit avec la Terre. J'ai donc un grand espoir que dans son voyage dans le temps, il sera découvert par une entité qui s'intéressera à une épave Velp-Hâh.
Que celui qui trouve mon mémoire, sache que nous étions un peuple, sans doute orgueilleux, mais fier, victime d'une injustice. Que notre détresse soit prise en considération à sa juste valeur, et peut-être estimée comme exemple pour que cela ne se reproduise plus. L'univers est si magnifique, rempli de richesses inestimables, qu'il est vraiment dommage de le galvauder par de stupides guerres inconsidérées.
La vie est si courte, mais tellement précieuse et merveilleuse, emplie de surprises rebondissantes et éternellement changeantes. Aucun être, aussi puissant soit-il, n'a le droit de la juger ou de la détruire, il ne peut que la respecter. Chaque homme est maître de sa propre destinée, et ne peut intervenir défavorablement sur la destinée de son prochain. Notre monde est détruit, de même que "l'empreinte" de l'homme. Mais par cet écrit, je suis sûr que la réminiscence de la race humaine et que la pérennité de notre peuple ne seront pas perdues dans la mémoire de l'univers.
En écrivant cela, je regarde de temps à autre vers le nord, où l'horizon est teinté de pourpre et d'or, similaire aux couleurs que donne le soleil lorsqu'il se couche. Mais il fait déjà nuit, et le soleil ne s'est jamais couché au nord.
Ce que je vois est l'avance inexorable du front atomique qui aura rejoint la ville dans une trentaine d'heures. En un sens c'est bien un crépuscule, celui de la Terre.
Voilà, j'ai certainement oublié beaucoup de détails pour donner une juste image de ce que nous étions avec notre idéologie et notre patrimoine culturel. Mais le temps presse et je dois achever le devoir que je me suis assigné.
En outre, le pas le plus difficile me reste à faire. Je n'avais jamais envisagé le suicide comme une fin en soit car il reste toujours un espoir, aussi minime soit-il. Mais à l'état actuel des événements, il n'y a plus d'espoir. Eh oui ! Je n'aurais jamais cru que cela se terminerait ainsi.
Oh mon livre, soit mon témoin et ma mémoire. Notre cohabitation fut courte mais ô combien intéressante. Tu me survivras
Que Dieu me pardonne !…
L'un des derniers survivants de la planéte Terre"
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ANNEXE
Ainsi se termine ce mémoire, reflétant toute la détresse d'un monde, d'un peuple à l'agonie, sur une note pathétique, mélancolique presque. Combien il est triste de reconnaître ce génocide, cependant il fut nécessaire pour l'accomplissement de notre présent. De nos jours encore nous sacrifions des systèmes planétaires entiers pour favoriser notre expansion. La planète nommée Terre, un monde refroidit du secteur MAV.X-V-VI, dont il est fait mention, a subi les conséquences de notre politique et fut aussi le tournant décisif de notre histoire.
Si je puis me permettre votre Grandeur, je dirais que ce fut stratégiquement nécessaire mais non absolu. La destruction d'un monde porte toujours préjudice au pouvoir de l'Empire, par la perte des richesses du sous-sol et de ses biens naturels. Je vous suggère donc de reconsidérer votre décret quant à la destruction d'un monde sans importance stratégique, entraînant un gaspillage considérable.
L'auteur de cet écrit est révolté par l'action de nos ancêtres, et je vous prie donc de pardonner quelques termes incriminants destinés à notre peuple. Les réactions de cet être sont compréhensibles pour ma part, il avait perdu son monde. Comme je l'ai déjà fait remarquer ci-dessus, regrettable mais nécessaire.
De plus, d'après un passage révélateur de l'écrit, ce devait être un peuple relativement belliqueux, pugnace même. Une race qui aurait été susceptible de devenir une menace implicite pour la paix de l'Empire, voire un antagoniste sérieux.
Ce qui pour moi fut le plus saugrenu dans ce texte, c'est que ce peuple, à la venue de nos ancêtres croyait enfin se voir intégrer à un empire galactique inexistant à l'époque, alors que ce fut la destruction de leur planète qui contribua inopinément à l'édification de notre empire actuel.
Dans ce manuscrit il fait aussi allusion à un dieu, un être supérieur reposant sur une croyance métaphysique. C'est propre à un monde sous-développé cherchant des solutions à des problèmes obscurs auprès d'une entité supérieure dont ils n'appréhendent même pas la complexité, capable de régler n'importe quelle difficulté en échange d'offrandes, ces dernières étant soit matérielles, soit spirituelles. Un code "divin" disparu à notre époque moderne, étant donné que nous n'en voyons pas le nécessité ou que vous, Votre Grandeur, possédez un esprit pragmatique avec la Connaissance du Tout.
Nos experts d'une section voisine procèdent actuellement à une étude plus approfondie du texte pour déterminer globalement la culture de l'auteur. Les résultats seront bien entendus adressés à Votre Grandeur dès leur conclusion.
Votre éternel obligé, Tall-Mand-Vo ccc.
GLOIRE A OZNAD
GLOIRE A L'EMPIRE VELP-TI
Markkus juin 2009
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Style : Nouvelle | Par markkus76 | Voir tous ses textes | Visite : 368
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Commentaires :
pseudo : nani
Je vais dire Gloire à Markkus ...Quelle sens de l'image,du sens, du détail, tu rendrais en quelque sorte tout à fait plausible cette histoire, que les petits hommes verts nous préservent ... gros CDC bien mérité pour cette sublime nouvelle...
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