Epoque 248 du Cycle 5 84 3 de l’E.G.V.
Centre de recherche nov-II
Docteur Tall-Mand-Vo ccc
responsable de la section Xénochéologie
à
Sa Grandeur Magnifique et sublime
l’Empereur OZNAD VIII
Torda secteur UVL.IX-IV-II
Ci-joint je vous soumets la traduction que vous nous avez demandée, concernant un manuscrit découvert dans une épave à la dérive. La transcription de celle-ci nous a demandé un surcroît de travail personnel, nos décodeurs extra-temporelles ne disposant d'aucun document de références équivalent au langage utilisé. Cependant, à force de déductions nous avons repéré les mots-clés et nous sommes arrivés aux conclusions suivantes :
- Ce manuscrit narre le témoignage d’un peuple décimé par nos lointains ancêtres lors des Périodes Troubles d’Expansion.
- Abstractions faites de son caractère légèrement ethnologique, il n’est d’aucun intérêt pour la marche de l’Empire.
Je me permets de vous suggérer de le faire classer sous la rubrique des Mondes Disparus Insignifiants parmi les Annales de la Gloire de l’Empire.
Mais après une lecture vous serez plus enclin que moi à rendre votre impartial jugement.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Rapport numéro 43281 /H
Origine Laboratoire Xénochéologique
Destinataire Cabinet de l’Empereur
OZNAD VIII
Indicatif oLneg Ro
Code YV
TRADUCTION
"MEMOIRE POUR LES TEMPS FUTURS
JOUR 1
La solitude me pèse. Alors, lorsque pendant ma promenade journalière j’ai trouvé par hasard un gros cahier encore intact dans les décombres d’une papeterie, j’ai décidé d’écrire ce mémoire. Ainsi il deviendra mon compagnon silencieux, mais bien présent dans les jours à venir. Cela permettra également à mon esprit de se focaliser sur une tâche bien définie, et j’éviterai peut-être l’avènement de cette folie indicible qui me mine insidieusement.
Pourtant, je ne sais pas si ces quelques lignes seront lues un jour par une entité étrangère ou par un archéologue qui s’intéressera à ce monde que nous nommons la Terre et au peuple qui y vécu. Il connaîtra ainsi, par ce témoignage, l’horrible destinée que s’abattit sur l’humanité. En outre, si cela se réalise, j’espère que le souvenir du peuple humain ne se perdra pas dans le néant de l’oubli, mais prendra sa place dans l’histoire de l’univers.
En ce qui me concerne, cela fait environ six ans que j’essaye de survivre dans les ruines de la ville. Présentement je suis dans une cave encore intacte et sèche, dont j’ai fait mon repaire voici quelques années.
Mon nom ? Je ne m’en souviens plus, ou ne veux plus m’en souvenir, mais quelle importance en cette période sombre, où les patronymes n’ont plus guère d’usage. Rares sont les gens qui se rappellent leur nom, hormis ceux qui possèdent encore miraculeusement leurs papiers d’identité. Quoique, les indications ou la photo qu’ils peuvent y distinguer, leur sont totalement étrangères, sans aucune valeur subjective. Ils les gardent probablement en souvenir du monde lointain et merveilleux qui aujourd’hui a cessé d’exister.
Moi-même, j’avais jeté il y a longtemps, je sais plus où ni quand, ce qui représentait ce seul lien me rattachant au passé. Un passé non tellement éloigné sur l’échelle de l’univers, mais plongé dans les ténèbres du temps pour l’esprit humain. Par ailleurs, je ne peux préciser l’année à laquelle nous sommes, en 2013 ou 2014 de l’Ere Chrétienne ? C’est sans intérêt, puisque le calendrier grégorien comme je le connaissais n’a plus cours depuis la venue des Velp-Hâh.
Je me fatigue. La nuit vient d’étendre son manteau de ténèbres sur la ville (un peu de proses ne peut faire de mal). Pour aujourd’hui cela suffit, peut-être demain soir je continuerai mon récit.
Avec l’esprit soulagé d’avoir débuté une grande tâche je m’en vais me coucher. Bonne nuit, livre...
JOUR 2
Ce matin en me levant j’étais empli d’un optimisme ambigu, mai encourageant, envers une amélioration de la situation des hommes. Une sensation que maintenant je n’arrive pas à comprendre lorsque je me souviens du tableau qui s’offrait à mes yeux.
Je marchais dans les ruines de la ville, sans but précis. J’enjambais les amas de décombres, les piles de débris, de déchets ou d’ordures et les monceaux de cendres noires qui jonchaient inégalement le sol. De part et d'autres des larges avenues, se dressaient les façades grises et ternes des hauts immeubles partiellement effondrés, qui à leur époque de gloire se tendaient étincelants vers le ciel, fiers et majestueux. Sur ces façades, des innombrables ouvertures délabrées, béaient à jamais sur un monde hostile avec leur regard vide et triste. Dans les rues, ou ce qui en restait, une multitude de véhicules reposaient sur leurs carcasses mortes, rongées impitoyablement par la rouille et la pollution.
Le tout baignait dans une lumière blafarde, diffusée parcimonieusement par le soleil qui depuis longtemps s’évertuait à percer vainement l’épais bouclier de nuages gris. Je ne pouvais plus me souvenir depuis combien d’années le ciel avait perdu son teint azur, supplanté par des nuées gorgées de pollution. Ces dernières s’accumulèrent peu à peu pour finalement boucher l’horizon tel un plafond brumeux, étalant sur le monde un éternel linceul crépusculaire. De plus, un silence presque oppressant, d’outre-tombe, m’entourait d’une présence quasi angoissante. Un tel calme ne pouvait rien augurer de bon. Pour accentuer cette image de détresse, de mélancolie d’un monde moribond, une fine pluie diaphane tombait, estompant un peu plus le peu de lumière qui restait.
Mais l’idée d’écrire tout cela le soir venu me revigora. Cependant mon optimisme du matin avait disparu. Sous la lumière tremblotante de la chandelle j’écris cette dernière ligne.
JOUR 3
Il ne s’est rien produit de spécial aujourd’hui. J’ai paressé toute la journée.
Demain peut-être.
JOUR 4
Je suis seul.
Je n’aurais jamais pensé que la solitude pouvait autant faire mal.
Autrefois je n’étais pas concerné, j’avais une famille, des amis... Il ne vaut mieux pas que j’y pense.
De temps à autre, pendant mes sorties je croisais d’autres hommes qui, indifférents, telles des épaves, poursuivaient leur chemin vers d’obscures destinées. Je les laissais passer, car prendre contact ou tenter de se lier d’amitié avec une personne n’était plus possible. Chacun vivait sa vie et ne se mêlait pas des problèmes des autres, gardant avec une avarice obséquieuse ses pauvres biens ; “ chacun pour soi ” serait la devise déterminante en cette époque.
Au début du drame j’ai essayé de me chercher une compagnie. Je l’avais trouvé en la personne d’une jeune fille à l’idéologie révoltante mais combien charmante. Après sa mort accidentelle, j’ai décidé de rester seul. La perte d’un être qu’on aimait étant irrévocable, comme les souvenirs du monde disparu dans lequel j’avais aimé, me poussent à vivoter et à ne me consacrer qu’à mon seul bien-être.
Le souvenir de cette douleur m’afflige. Je dois m’interrompre un instant.
Je me sens mieux, grâce à l’aide d’une bonne bouteille de tord-boyaux. Cela vous réchauffe jusqu’au tréfonds de votre âme. Elle s’appelait Deliliah et me rappelait en beaucoup de points mon épouse...
Je m’égare à nouveau.
Pour vous faire une idée de ma personne, je représente en général la moyenne des humains survivants. Je pense avoir, d’après de vagues calculs quarante ans, mais en réalité j’en parais soixante-dix. Je dissimule mon corps efflanqué et amaigri par la faim sous d’amples vêtements, qui me préservent des extravagances climatiques humides et froides de la saison (l’automne je crois). Une protection bien futile contre le temps et les maladies bénignes jadis, mais fatales aujourd’hui ; pour cause de carence des médicaments les plus élémentaires. Une simple fièvre vous emportait pour le Voyage. Pour ce qui est de l’hygiène, mieux ne vaut pas en parler.
Pour échapper à ces ruines désolantes, cette pollution omniprésente, j’ai dans l’idée de me joindre à une communauté qui vit en autarcie complète dans le sud du pays, près de l’océan. Un refuge pour les survivants qui lancera peut-être les nouvelles bases d’une renaissance de la civilisation humaine. Cependant, malgré quelques perspectives enchantantes, je n’arrive pas à me décider, car pour atteindre ce sanctuaire, il me faudrait parcourir sept cents kilomètres par mes propres moyens en tenant compte aussi du problème important de la nourriture. Sans considérer que je devrais contourner les nombreuses régions dévastées par les Olno-Ti ; des dizaines de kilomètres carré de désolation où aucune vie n’était possible. Un tel périple s'avérerait risqué, et j’hésite.
Après peut-être une bonne nuit de sommeil mes pensées seront différentes.
JOUR 7 (matin)
Je dois partir.
Tout dans mes pensées me fait ressentir cette fatigue qui depuis plusieurs jours engourdissait insidieusement mes membres et m’empêchait d’écrire. Les rares repos que je m’octroie se peuplent rapidement de cauchemars, annulant les effets bienfaisants du sommeil. Avec cet état venait s’ajouter la faim latente qui tourmente mon estomac ce matin.
Il y a longtemps, j’avais découvert par hasard une cave emplie de provisions. Après des calculs, j’en déduisais que cela me permettrait de vivre plusieurs mois, à condition de me rationner. En plusieurs voyages, j’ai réussi à tout emporter dans mon repaire souterrain. Ainsi je l’avais toujours sous ma protection, et disposais d’un arsenal suffisant pour repousser d’éventuelles attaques de bandes d’adolescents. Cependant ces derniers s’amenuisaient graduellement, décimés par d’incessantes offensives Olno-Ti. Je vécus donc tranquille et survécus au rigoureux hiver qui s’abattit cette année-là sur la ville. J’avais assez pour subsister : un bon feu avec d’épaisses couvertures pour me chauffer et de solides provisions.
Mais voilà, mes réserves sont sur le point de s’épuiser et je dois quitter mon repaire afin de me fournir en nouvelles subsistances.
J’espère revenir bientôt.
A SUIVRE
"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"
Style : Nouvelle | Par markkus76 | Voir tous ses textes | Visite : 369
Coup de cœur : 9 / Technique : 10
Commentaires :
Nombre de visites : 8394