Très chère Laura.
Nous nous connaissons suffisamment à présent pour qu'il puisse t'être conté l'histoire de mon Daemon « Lilou » que tu apprécie tant.
Tu connais son impatience et pendant que je m’adresse à toi, il me tire la manche, saute d'une épaule à l’autre en répétant sans cesse : « laisse-moi faire, laisse... »
Donc je vous abandonne tous deux à votre intimité.
...
« Bonjour La Sienne, il t’a vanté mon empressement alors sans perdre de temps, je me lance... »
J'ai pris conscience de mon existence, assis au pied d'un arbre immense dans une forêt sombre à attendre un jour qui ne se levait pas.
Les habitants de ce lieu sans nom se relayaient pour épier ma solitude et communiquaient dans un langage vide de sens qu'ils remplissaient de tout et de n'importe quoi.
Au début, je me mis en tête de les ignorer car j'espérais qu'une voix chuchoterais mon prénom afin de me réveiller dans un lit chaud et confortable en n'ayant nul souvenir du cauchemar que je venais de faire.
Voir le beau visage d'une femme flanqué d’un doux sourire que j'appellerai « Maman », humant l'odeur du petit déjeuner qui m’attendrait dans la cuisine en me laissant présager une journée riche, pleine de surprises et d'émotions.
Pressentir également, une grande main calleuse au dessus de la mienne pour me guider à faire des « ceci ou cela » et puis bénéficier de toute son expérience, avoir les certitudes qu'offrirait un « Papa ».
Mais tout cela ne vint pas et je dus m'adapter à mon environnement.
La première sensation qui effrayât mon Âme venait de ce silence comme quand tombe la neige à gros flocons. Cette angoissante quiétude filtrait les bruits extérieurs à ce cachot sylvestre et amplifiait tous ceux qui venaient du dedans.
J’entendais les cœurs battre aussi intensément que des pas de géants, le plus petit des souffles m’assourdissait comme si je me trouvais au centre d’une tornade et lorsqu’une silhouette frôlait la moindre feuille, le bruit qui en résultait, déchirait mes tympans.
Seules les voix conservaient un niveau sonore supportable. Ne me paraissant ni amicales, ni agressives, elles semblaient débattre de ma personne sans toutefois s’adresser directement à moi.
Cela ne dura malheureusement pas. Les ombres qui m’entouraient se faisant de plus en plus nombreuses, elles se tournèrent progressivement dans ma direction…
Dès lors, les questionnements fusèrent, précédant trop souvent d’hypothétiques réponses par ceux là même qui m’interrogeaient, ne me laissant le temps qu’à des « b’in » ou de « heu » engendrant un dépit qui m’inspira le choix de faire vœux de silence. La plénitude qui découla de cette décision fut, encore une fois, de courte durée.
Des plaintes lointaines, des gémissements sans fin, des hurlements d’horreur vinrent perturber la douce monotonie de ma léthargie. Ils ne m’assaillaient pas en pénétrant mon conduit auditif mais semblaient venir de mon for intérieur. A chacune de ces souffrances s’accolait un visage, un corps, une tenue vestimentaire, une position géographique et par dessus tout une raison. Perte familiale, amicale, catastrophe climatique ou géologique, homicide ou mort involontaire, je percevais les détails qui constituaient la globalité de cette désolation.
C’est du noyau de ce chaos que j’entendis « Sa » voix. Elle était différente, nouvelle et me semblait pourtant tellement familière.
« Entends la peine du monde,
laisse les faire la ronde,
tout autour de la terre,
ils nourriront les vers… »
Cette douce comptine généra un balancement autistique que je rythmais par le bruit que produisait l’arrière de mon crâne qui venait cogner violement le tronc auquel j’étais adossé.
« Bonjour mon Lilou… »
La certitude et la détermination qui soutenaient ces mots me firent me lever, je m’évertuais à scruter un ciel obscur à travers une canopée dense dans l’espoir d’y apercevoir les traits d’un Dieu qui m’honorait de sa considération.
« … ne me cherche pas, ferme les yeux et tu m’apercevras de là ou je te vois. »
Je m’exécutais.
Au bout de quelques secondes un point lumineux fit son apparition, il se mit à grossir, je comprenais que malgré mon immobilisme physique j’avançais vers l’issue d’un tunnel.
(Tu t’attends à ce que je te fasse part de mon éblouissement au sortir du boyau Laura et tu as bien raison.)
La luminosité fut intense, mes yeux, bien que fermés, eurent du mal à supporter le changement.
« Garde les bien clos mon Moi ou tu te retrouveras en ton point de départ. »
J’obtempérais sans rechigner, m’étonnant du crédit que j’accordais à cette entité inconnue, moi qui avait tant de mal à me faire confiance.
La mise au point fut difficile et douloureuse, voir les yeux fermé n’est pas de l’ordre de l’inné mais l’admonition dont il m’avait fait grâce supplanta mes reflexes oculaires.
Ainsi donc Dieu ressemble à cela ?
« Détrompe toi, je ne suis pas le grand Architecte. Tu me constitue Lilou, je suis fais de toi et ton calvaire provient de mon existence. Nous n’avons pas le choix, notre symbiose est vouée au déchirement ou à l’acceptation. »
De quoi parlait-il ? Qui était-il s’il n’était pas une divinité ?
« Je me prénomme Mustapha, tu fais partie de moi malgré ton autonomie apparente, voilà pourquoi il t’est inutile de me parler. Je connais le lieu où tu résides car il est le pire de mes cauchemars. Je suis sincèrement désolé de t’y avoir enfermé mais cela me permets de ne pas avoir à subir les angoisses que sa vision me procurait jusque là. Soit sans crainte mon Moi, je t’apprendrais à t’en extirper quand la douleur et l’anxiété deviendront trop forte. Tu resteras cependant invisible aux êtres qui m’entourent et je t’ignorerais en leur présence. »
C’est ainsi que jours après jours, mois après mois, années après années, ma présence s’imposa à lui, usant de bons mots à l’acidité exquise, n’ayant nulle limite face à l’horreur de son monde. Je devins sa conscience « Daemoniaque », reprenant mes expressions à son compte, il en devint intéressant aux yeux des autres.
Ne te méprend toutefois pas sur mon compte « Sa Dulcinée », je l’ai aussi assisté et soutenu quand pleuvaient, quotidiennement, les coups de son père qui, ensuite, l’enfermais dans une cave dépourvu de lumière.
Quand son ami de province se tua en moto, par sa faute et son absence, à l’âge de 15 ans.
Quand sa sœur lui avoua sa séropositivité.
Quand sa première compagne le quitta pour un autre, en apparence, plus doux, plus attentionné et que la tête de sa fille explosa sous l’impact des poings de ce dernier.
Quand sa deuxième compagne l’a fui après 20 ans, d’un amour qu’il croyait définitif, lui imposant un océan de 8000 kilomètres avec sa petite dernière qu’il avait tant souhaité.
Toi qui commence à bien le connaître, tu sais le recul qu’il affiche face à tous ce qu’il a subis, il le jette, sans pudeur, en pâture au premier venu.
Même si je t’ai entendu le lui reprocher du lointain de ma terrifiante demeure, entends que c’est, pour lui, le seul moyen de s’en détacher et d’y survivre, là ou la grande majorité serait définitivement abasourdi par la traversée d’une seule de ses souffrances et sombrerai dans une déchéance lié à une quelconque addiction.
Laura, un fait nouveau s’est produit depuis que vous êtes côte à côte, (je devrais plutôt dire face à face…) quelque chose qui n’était jamais arrivé en plusieurs décennies. Un mince rayon de lumière a traversé la cime des arbres et vient, depuis, illuminer l’endroit même où je me suis réveillé la première fois.
Cela sème le trouble chez les indigènes « quadrisomique » qui hantent ce lieu de désolation. Ils gesticulent comme des singes face à la découverte d’un bananier dont on leur refuserait l’accès. Entre envie et colère, ils hurlent, se tordent de douleur, gémissent de souffrance et semblent s’évaporer les uns après les autres et moi qui, jusque là, naviguait entre deux monde aujourd’hui je souris car je me sens enfin chez moi…
Merci Laura…
Lilou le Daemon de Mustapha
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