Moi, j'étais un simple chasseur de vampires. Je rodais dans la nuit à la recherche de nouvelles proies, afin de laver de ce monde les créatures souillées. La nuit était froide, pas plus que d'habitude, et sur mon épaule, mon fusil aux balles d'argent n'était ni plus ni moins lourd qu'hier, ou avant hier. Des âmes perdues, il en avait percé des centaines, des coeurs morts, tout autant, éclatés sans pitié devant mes yeux froids.
Les vampires, ces erreurs, ces prédateurs de sang, je les haïssais, je prenais plaisir à les tuer, j'aimais voir ces visages crispés demandeur du liquide rouge se déconfir et tomber en miettes sur la terre froide. Attaquer ou être attaqué, c'était ma devise. Ils ne m'avaient rien fait de particulier, mais ils étaient menaçants, et tuaient régulièrement des êtres humains dans d'autres villes.
J'habitais à la campagne, là ou ils venaient se réfugier, quand les lumières de la ville se faisaient trop fortes. Les inconscients n'avaient pas idée du danger dont ils se rapprochaient, et ils n'en auront jamais l'idée.
Ceux qui venaient ici, ils n'en repartaient pas. Ils mourraient, ils se désséchaient, ils brûlaient au contact de mon métal gris, gardant comme dernier souvenir mon sourire narquois, vainqueur.
« Comme je vous hais, comme je vous hais. »
Moi, je vis seul, et on me paie, parfois, pour accomplir quelques basses taches où je prend plaisir à me salir les mains. Je me demande lequel va y passer ce soir. Quel sera le premier, comment il m'abordera, ce qu'il vociférera avant de mourir, et comment il tentera de boire mon propre sang, et comment je l'achèverais.
Des tortures, ils y en a de nombreuses. Les vampires sont forts, mais très faibles quand on les met en face de leurs faiblesses. L'eau, le feu, l'argent, la lumière... Tant de choses banales et pourtant si dévastatrices. Pour les plus méchants et monstrueux, j'aime les brûler petit à petit, jusqu'à atteindre leur coeur moisi. L'effet est immédiat: Il part en fumée dans un hurlement strident. Pour les moins mauvais et plus dociles, j'ai quelques scrupules à les torturer de la sorte, et je me contente
d'enfoncer d'un geste adroit une lame d'argent dans leur crâne fragile. Ceux là ne me lancent en principe qu'un seul regard choqué, haineux, avant de rapidement s'unir avec la terre.
A l'idée de tuer, dans mon ventre naissaient des désirs délicieux. Un instinct animal me remontait dans la gorge, et l'odeur de mon
fusil m'excitait terriblement.
« Où vais-je? »
Toutes les lumières étaient éteintes sauf quelques rares lampadaires. La plupart étaient brisés, car dérangeant la nuit, parait-il. La route était poussiéreuse. Rares étaient les voitures qui s'y aventuraient à cette heure là. Les insectes faisaient du bruit, mais ils étaient calmes. On entendait des chats miauler, parfois. Ils étaient calmes eux aussi.
Le calme, il était léger, et à la fois lourd. Un vampire est discret, tellement discret qu'il ne perturbe pas le calme. Il peut surgir brusquement, derrière votre dos, et planter ses deux dents pointues dans votre chair molle. Et c'est trop tard. Bien trop tard déjà. Quand le vampire vous attrape, il ne vous lâche plus. C'est votre vie qui s'écoule dans sa gorge, et plus vous faiblissez, plus il devient fort. Jamais un vampire ici n'a épargné sa proie. Ils ne peuvent pas les épargner, c'est bien trop tentant, bien trop bon, bien trop rare. Rare, car les humains ne sortent plus la nuit. Leur meilleure protection, c'est le jour, ou les gens comme moi.
« Alors, ou es-tu? Viens donc me manger. »
Cette route, j'avais du la parcourir au moins un millier de fois. Ici tout était dégagé, il n'y avait pas trop d'arbres, elle était entourée par des champs à l'herbe sauvage mais courte. C'était le terrain idéal pour chasser, à la fois pour le vampire, et pour moi.
Ils me voyaient de loin, et je voyais de loin leur silhouette noire, et leur dégaine morte.De beaucoup de points, ils étaient semblables aux humains, mais avec le temps, on apprenait à les différencier. Leur manières de marcher, de lever les bras, de bouger les doigts, elles étaient plus lentes, ou trop rapide. Le vampire n'était pas posé. Il était soit affamé, soit craintif, perdu ou chassant. Un vampire n'était jamais calme. Et ils avaient bien raison, car j'étais là.
« Il y a quelqu'un? Ne sens-tu pas mon sang? »
De mon bras, coulait régulièrement une petite goutte de sang. Elle attendait sur le béton de la route, et dégageait une odeur forte. Pas forte pour moi, mais pour eux. Le sang, ils le sentaient à des kilomètres. Je n'avais même pas besoin de m'écorcher beaucoup, une simple entaille suffisait. Ça m'amusait de voir couler mon sang. C'était comme jeter de l'or, ou brûler de l'argent. Mon sang avait de la valeur. Une valeur très grande, pour eux.
Un sourire grandissait sur mon visage. Oh comme j'aimais cette attente. J'attendais patiemment la nuit que pour ce moment. C'était le meilleur, au goût indescriptible. Jamais je n'avais failli, Jamais. Chaque nuit, j'effaçais de cette terre, au moins l'un d'entre eux, parfois plus. Tout m'amusait, tout. Ça m'amusait de voir si mon coeur pourrait tuer cette créature bien qu'elle ait tout d'un humain. Ça n'avait rarement été dur. Ils se trahissaient, tous. Ils montraient à quel point ils étaient vampires. Vampires et brisés.
Voilà! Au bout du chemin ! Juste avant le panneau qui indique la fin de la campagne. Une ombre avait bougé de manière brusque. Elle avait traversé la route comme un lièvre pressé. Elle avait foncé dans le champ de gauche. Ça n'était pas discret, vraiment pas. Il devait être inexpérimenté, ou jeune. Ça ne serait pas dur. L'excitation montait en moi comme jamais.
Mon coeur battait, fort, mon corps passait à niveau supérieur, tout mes sens convergeaient vers le même but. Capturer ma proie, et la tuer.
« Ou est-il? »
Il y avait un tas d'arbres de ce coté du champ. Une petite forêt, pas trop dense, mais assez pour qu'il soit dur de s'y frayer un chemin. D'un pas rapide je m'y rendis. Je n'avais même pas peur. J'étais sûr de moi. Tout ce que je portais, sur moi, contenait de l'argent. Mon chapeau, ma veste de cuir, mes gants, tout. Si l'animal voulait m'attaquer, il me toucherait, y laisserait une partie de sa peau, avant de faire un bond en arrière pour s'enfuir, tout en criant de douleur. Quand cela arrivait, c'était déjà trop tard pour lui. Il était dans ma visée, et je tirais, et sa tête explosait en pleins de morceaux.
Je ne ratais pas mes coups. Je ne ratais jamais mes coups.
Je passai le premier arbre. Je l'avais précisément analysé du regard, mais il ne me présentait aucun indice. Seul le sol mou recouvert de feuilles laissait transparaître quelques traces de pas chaotiques. Il était aisé de les suivre. C'était même trop simple. La plupart des vampires, eux, se déplaçaient beaucoup dans les arbres, pour éviter de poser leur empreintes un peu partout. Ils se l'apprenaient entre eux, quand ils avaient l'occasion de se regrouper. Bien entendu, j'y mettais vite fin.
Je chargeai mon fusil de plusieurs munitions brillantes. La lune les illuminait un peu, et reflétait le dessin de la marque de fabrication. Je souriais. En face de moi, le chemin était tout dessiné. Je revis la créature courir rapidement à travers la forêt, pour finalement atterrir dans une plaine vide de cachettes. Si elle était sortie de la forêt, elle était à moi. Si elle y était restée, elle se trahirait tôt ou tard.
Soit elle m'observait, soit elle n'avait même pas idée de ma présence. J'étais curieux de le savoir.
J'avançais sur ses pas, les recouvrant d'une trace bien plus large qu'était la mienne. Je n'avais qu'à suivre ce chemin qu'on m'avait préparé. Inutile même de me presser. Il n'y avait personne d'autre ici à part moi. J'étais sa proie, elle était la mienne. Elle allait vouloir s'approcher de cette odeur de sang que dégageait mon poignet écorché, et moi j'attraperais son cou de ma main, et je la ferais suffoquer.
C'était le bout de la forêt. J'étais arrivé dans cette grande plaine vide. Ses pas continuaient dans l'herbe. Tout droit. Ce vampire était-il inconscient? Je pouvais même voir sa silhouette au loin. Il courrait de cette manière propre aux morts-vivants et semblait vouloir se rapprocher de la route, là ou j'avais déversé une bonne dose de ma vie. Il était faible et naïf. Sur quoi pensait-il tomber? Un pigeon mort? Un renard blessé? Il allait droit dans le piège que je lui avais préparé. Mais il ne l'atteindrait même pas.
Je pouvais le voir très nettement dans mon viseur. L'intersection des deux droites se rapprochait de son crâne. Que faisait-il? Il s'était accroupi et léchait le sol. Bon sang. Il n'avait donc aucune dignité, pour aimer un sang sec au goût bétonneux. Voilà que sa tête n'était plus à ma portée. À sa place, son épaule recouverte d'un habit déchiré me narguait.
Je n'appuyai pas. Toute cette simplicité me décevait un peu. Le tuer immédiatement ne serait pas intéressant. J'irais faire connaissance après l'avoir neutralisé. Je verrais s'il mérite une mort rapide ou lente après l'avoir vu de plus près.
« C'est fini, vermisseau. »
Je tirai, droit dans son épaule. Qu'il ne pense pas à s'enfuir, après un coup pareil. Au moment du choc, l'animal fit un bond de plusieurs mètres. Une fumée nauséabonde s'échappa de son épaule, grillant au contact du métal sacré. Il se tordit de douleur, et se recroquevilla afin de contenir la peine.
Il pouvait toujours essayer milles positions, cette douleur ne partirait que quand il serait complètement consumé. Le cri aigu du mort vivant me parvint aux oreilles, et j'en déduis qu'il s'agissait d'une femelle. Qu'elle n'espère pas pour autant souffrir moins, un vampire restait un vampire, peu importe son sexe. Mon être était intransigeant.
Je me rapprochai de la bête, prenant mon temps. Elle avait beaucoup bougé, juste après l'impact, mais maintenant, elle bougeait moins. J'entendais déjà dans son gémissement les notes de l'abandon, du résignement. Pas si vite, pas si vite! Ce n'était que le début. Il allait falloir tenir, et être fort. Ma bouche salivait, comme avant un bon repas.
Trois mètres nous séparaient,
deux mètres,
un...
Un regard plein d'effroi m'accueillit. Elle tremblait. La femme dont l'épaule fondante avait fusionné avec le béton me regardait de ses deux yeux effarés, prisonnière, la respiration chaude et haletante. Sa bouche grande ouverte dévoilait deux crocs, petits. Elle était jeune, nouvelle. Elle devait avoir une vingtaine d'années. Elle ne disait rien, elle me fixait intensément. Elle se doutait que j'allais l'achever, et ses yeux semblaient me supplier de lui enlever cette douleur atroce.
Je fis un pas vers elle. Elle tenta de s'éloigner mais en vain. Elle émis quelques gémissements alors que je posai ma main sur son front glacial, juste au dessus de ses yeux. Au contact de mes gants argentés, la fille hurla et un violent spasme traversa son corps. C'était bien une vampire. J'avais presque eu des doutes, à un moment. De son autre main libre, elle essaya de se libérer de mon emprise, mais elle ne fit qu'empirer ses brulures et sa décomposition. Elle était si faible. A vrai dire, elle était à peine plus forte qu'une humaine de son age.
« Tu es pitoyable . »
Qu'allais-je lui faire ? Me disais-je à moi-même, pendant que je contemplais sa longue chevelure blonde et ses yeux rouges. Elle était en si bon état, et avait l'air tant humaine.
Les vampires s'étaient améliorés, pensais-je, ça devait être la sélection naturelle, ou quelque chose du genre. À l'exception des crocs et de ce sang noir qui coulait de son épaule, tout était à s'y méprendre. Quelle douce illusion.
Illusion. Ce n'était pas le moment pour se laisser bercer.
Ses yeux me regardaient toujours. Essayait-t-elle de m'hypnotiser? Ce regard perdu et souffrant ne m'était pas familier. Mes précédentes proies m'avaient toujours considéré avec haine, et leur yeux cherchaient mes veines et mon sang avec envie. Je ne savais que faire d'un tel regard.
« Trahis-toi, vite. »
« Montre toi. »
J'avais même baissé ma garde, mais elle ne bougeait pas. Sa main libre aurait pu tenter de m'attaquer, mais rien y fit. Elle ne bougeait pas, elle ne disait rien, seul sa forte respiration, témoin d'une souffrance intense brisait le calme autour de nous.
Peut-être avait t-elle compris qu'elle n'était pas de taille, que c'était inutile.
Sans résistance, ni haine, ce jeu n'avait aucun intérêt. Il était temps d'y mettre fin, de laver le béton de cette souillure. Qu'allais-je obtenir d'elle pour rentabiliser cette nuit? J'étais un peu désorienté. Allait-elle réagir quand de mon fusil, je viserais entre ses yeux?
« Tu n'en as plus pour longtemps, ma jolie. Celle-ci va te ramener là où tu es née. »
La jeune femme, au chargement de l'arme, tenta subitement de se rassoir, comme si la dure réalité venait enfin de la réveiller.
Bien entendu, elle retomba immédiatement sur le goudron, incapable de se défaire de celui-ci. Elle hurla à nouveau de douleur, ce qui me divertit quelque peu.
À nouveau, elle m'adressa son regard plein de détresse, et son corps tremblait de plus belle.
« Cesse de bouger », ordonnai-je.
« Parle si tu as quelque chose à dire. »
Mais elle semblait paralysée. De peur, de douleur, comme un chien maltraité. J'étais énervé. Énervé qu'elle ne dise rien, qu'elle me regarde avec ces yeux culpabilisants.
« Je vais t'arracher les yeux, si tu ne dis rien ! », dis-je avec cruauté en m'accroupissant à nouveau vers elle.
Ses lèvres bougèrent un peu, mais aucun son n'en sortit. Je posais alors mes doigts autour de son orbite gauche, et m'apprêtais à les y enfoncer, quand, soudain, elle mordit le gant. Geste stupide et désespéré, puisqu'elle se fit plus mal que moi. Je sentais à peine la pression de sa mâchoire. Elle me lâcha immédiatement, et je la frappai violemment au visage.
« Sale vampire. Te voilà enfin, hein ! »
C'était trop tard, maintenant. Elle avait tenté de me mordre. Elle s'était rendue fautive. Elle méritait sa mort. J'avais obtenu mon autorisation. Elle s'en était certainement rendue compte, puisqu'elle ferma les yeux. Dans un dernier espoir, pourtant, elle murmura quelques mots.
« Je ne suis pas... Mauvaise... »
« J'aimerais... Vivre... »
« Sauvez-moi... Je vous en prie... »
« Je vous servirais...Je le...jure! »
À ces mots, ma main se referma sur le fusil mais mon doigt n'appuya pas sur la gâchette. J'étais sur le point de tirer. Je haïssais les vampires, terriblement. Je pouvais me montrer très cruel avec eux. Cependant il y avait une chose que je n'avais pas encore obtenue d'eux, la servitude. L'idée sonna agréablement à mes oreilles, et le regard pur et faible de la femme me conforta également. Elle avait l'air sincère, indéniablement. Elle avait l'air d'un vampire qui ne trahit pas. Elle me suivrait jusqu'au bout et mourrait avec moi.
J'abaissais mon fusil et sourit. Pour la première fois, j'avais faillis perdre. Il s'en était fallut de peu.
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