Apollon et Daphnée
L'amour, cet ennemi que l'on ne peut vaincre corps-à-corps, seulement par la fuite !
[Miguel De CERVANTES]
Daphnée fuit la tendresse, la caresse, le souffle d’Apollon. Elle ne fuit du désir que ce qui la relie à sa propre fascination, injuste est sa beauté qui la rend désirable. telle un mécanisme, Daphné, corps entier destiné à rester cette nymphe, Daphné instrument, de l’Amour et de l’envie.
Rapporté par le génialissime Ovide ; des métamorphoses, cette fable demeure à jamais la plus paradoxale, la plus riche en artifices. Nous y acceptons tout. Jusqu'à l’impossible.
Dés la première lecture nos yeux peinent à discerner dans l’éblouissant impossible : ce même éblouissement . Voir le dieu, Maître supérieur de la divination piégé dans les affres du destin, effraye :
(…)
Elle ne le sait pas, mais seule après ces roches,
Proches de mon pas, belle et faible, ces reproches
De longs et froids poignards élancés sous les seins
Couteaux de l’avenir, je connais vos desseins !
Mon coupe gorge est là pavé de guillotines ! (…)
I
Apollon
De l’éclat prélassé repose près des rives…
Sonnes, Rose, ton glas !
Tu ris et tu dérives
Ce que phlégéton forge au fond de ces ruisseaux
Du fleuve les élans et les feux abyssaux !
S’étend ton sage corps et de l’onde prolonge
Les berges-sables-grains d’un corsage où s’allonge
Une poitrine d’or, en tremblant de la peau,
Ton corps simple suffit à son troublant appeau !
Daphné
Sain mélange des eaux, diffuse ton opale !
Apollon
Hurlait la jeune fille
Daphnée
Au bord de cette eau pâle
Soyez ! -Princes ou Dieux- Ici ! –Temple ou Palais-
Eau joyeuse et joyaux qui perlez aux palais
Etincelles et brume ! Eau d’ombres singulières !
Lestés contre ces cœurs des vagues régulières !
Ô Monde qui m’aimait qui m’épuisait encor
Puis me chassant sans cesse a fait sonner ce cor,
Soyez de ces démons la seule âme qui m’aide,
Offrez aux prétendants ce précieux remède
Où contempler un jour tout votre écoulement :
Inspire tout amour à n’aimer qu’autrement !
Un homme approche, hélas ! J’entends sa voix divine,
Que sa puissance lente est lasse ! Je devine
Apollon, son caprice un air tendre enfantin
Apollon
Femme au seins m’affolant qu’elle remue, émue,
Que son torrent d’écume a de miroirs sans teint !
Mon cœur mûrit encor, sa voix se voile et mue ;
Il entend - bruit certain – qu’au bord de l’abreuvoir
Le fleuve s’y murmure à l’envi qu’on peut voir :
Ce moins vivant qu’elle a sous forme d’azalée
Au fleuve sans talent… Ô flammes s’étaler !
Cette ombre où tu formais femme amorphe, affalée :
Sein bronzé sombre et fin ; souffle du feu salé !
Serait ce murmure et ce heure des roses…
Une morsure morte où vous heurtez, moroses,
Pour étreindre ce Moi ? Sentiments horlogers…
Et pleurs que je sentais, ceux qu’s’étaient logés ;
Rose de la douleur ! Doucereuse Damnée !
Ta flèche à dent de plomb te donnant condamnée ;
Serait-ce, instants maudits, mauvaise âme les temps
Où je DEVAIS t’aimer ?
Daphné
Le sais-tu ?
Apollon
Tu t’étends,
Ô troublante et peut-être un peu plus ingénue…
Que le ciel sait corrompre une oisiveté nue !
Amour, habilement, vise aux creux souterrains
Quand du désir présent de plaisir sous tes reins
Ruse, brise se corps de vains nœuds et de flèches
Du venin de l’amour, de ces brûlantes lèches :
Coulaient son poison noir qui ne t’appartient plus !
Cet homme qui te plait de même à qui tu plus
-Ton cœur n’est plus à toi ! Son âme est éreintée !-
T’atteint dans le détour d’une étreinte tintée
Or… Le destin-tison, de cent dangereux vœux,
Chuchotant ta beauté (« je t’aime et je te veux !»)
Rien n’éteint de ton corps atteint, pas même l’arme,
Frappé de l’eau fatale et d’une intime larme :
Ton parfum féminin si finement félin
Dans ce claquement calme, et sombre est ce vélin
Où tout de toi s’immole informe comme l’âme ;
Ton ombre est au bûcher parfum dans une flamme !
Teinté de bronze, ou d’or, discrètement rouillé,
J’y discerne d’un cri du sombre et du souillé ;
De ma nuit d’infécond, cette lune ravie ;
L’horizon noir ! Lilith des secrets de ma vie….
De mon être…Aux confins, ne reste-t-il qu’un fond ?
Tout se creuse en ce corps se tord et s’y confond !
C’est le silence craint ce cœur de la tempête !
Seras-tu, sourde aux mots que l’écho se répète,
Cette folle influence enflant dans ces las maux
Quelques mots, sous le vent soulevant ces rameaux ?
Daphné
Serais-je émue ? Une âme, au ciel qui gronde et glane,
Au flanc de cet orage une femme qui flâne,
Qui plane au près d’une feu, de son brûlant aspect,
De son étrange pas, n’étais-ce pas suspect ?
C’était Moi ! Pauvre Moi, je me sentais profane
Et plus coupable encor qu’une femme qui fane !
Je n’étais plus qu’humaine ou comme un animal
Je me sentais la bête et j’en étais le mal !
Apollon
Elle ne le sait pas mais seule après ces roches,
Proches de mon pas, belle et faible, ces reproches
De longs et froids poignards élancés sous les seins
Couteaux de l’avenir, je connais vos desseins !
Mon coupe gorge est là pavé de guillotines !
Mon cœur qui m’a lutté, mutilé tu mutines
Encor ce corps, ton corps où tu contraints ton bras !
C’est par un cri de lèvre embrassé de cobras
Que la molle âme agit dont le baiser nous frôle
Ta lèvre ! Enlève moi !
N’est-ce pas là ton rôle ?
Daphné
Je jette sur sa chair ce geste souverain,
Cher pour son éclat !
Apollon
Cher ! J’en suis le pèlerin
Toi la femme, aux traits francs, qui ne sait qu’elle m’aime
Je te révèlerais et j’ajouterais même
A tes éclats : le mien… n’en suis je la beauté ?
Daphné
Entre tes doigts ton charme est nullement ôté…
Percerais-je d’un sort, corps d’étranges mystères,
Ton voile qui m’éteint – m’entrainait en mes terres ?
Ô toit ! Lune blessante ! Et tes rochers maudits !
Toit qui venait hocher l’étau d’un ciel-taudis,
Rompre ma chair ! Rocher ! Masque cher des mensonges !
Toit qui hante mes nuits, hôtes-toi de mes songes !
Ton rire qui se clame heureux d’être malsain
Etirant de ses traits ton sein, ton cruel sein
Et tire de ses seins du lait fait de folie…
Tu fêles ta poitrine, elle traine amollie,
Elle abreuve un poison du rêve mensonger
Qui voudra me ronger, qu’il nous faudra songer !
Tétons laids tout riants à nos gorges émues ;
Nous égorgera-t-il le sein que tu remues ?
Mon corps repu, veux-tu, qu’à ton corps corrompu,
Ma tête à ses tétons, au dur lait de ton pu,
Mon âme vole encor -et dans l’humeur soit folle !-
Que cette chair soit ivre !
Et brille !
Et vrille !
Et vole ?
Apollon
Brève vie et voix grave, astres où se greffait
La nuit où j’attendais que toute onde s’efface
Que tombe le soleil…Ou le ciel s’en défasse..
Daphné
Si mon corps flatte un feu, le sanglot sans effet,
Ravive encor un flot contre son corps défait…
Apollon
Ô terreur, te serais-je ?
Daphné
Et serais-je amoureuse ?
Apollon
Mon cercle de malheur me resserre et se creuse
Daphné
Ici l’horizon noir en un ciel rétrécit
Apollon
Tout n’est plus qu’un tissu
Apollon et Daphné
Du mystère épaissi !
II
Apollon
Faudra-t-il te nommer pour te voir apparaître
Et que fane, enfin, d’indéfini mal être ?
Ô serein froissement, sous ton frêle matin
-Ta si rose caresse et ton voile satin-
Qu’il cesse ton vent fou ! Que laisse ta folie
Cueillir, sans effeuiller, une fleur amollie :
Cigüe ; usant de charme et de parfums mortels
Aux marcheurs imprudents qui se présentaient tels
Ce létal ornement étalait -champs immenses !-
Des bribes et des bruits ! Des chants et des romances !
Combien me coutera d’abord ta cruauté
Et celle du courroux –ciel !- ta mortelle beauté ?
Puis quel amour donné recevrais-je sans pertes
Si dans ce champ violé les fleurs ne sont offertes ?
Mon ombre de désir ! Mon doux pli du plaisir !
Mon feuillage effleuré, difficile à saisir,
Au tissus tu flétris la couleur de tes fanes
On t’attends ! cours encor quelques roche profanes
Vers les proches échos des rochers muselés !
Mais ne te cache plus ! Chasse-les ! Ruse-les !
De riantes échos se cachaient quand les ormes
-leurs furieux frissons- font de plaisantes formes !
Daphné
Qans l’ocre se dessine et coule sa couleur …
Polissons sont les cœurs des pâlissantes âmes !
Apollon
Pour ses traits me plairais-je à pleurer cette fleur ?
Daphné
Ô mouvante vapeur ! Mais qui veut les sésames
Où j’amassais frissons frémissons et follets
Aux cressons des forêts ? Lorsque les mollets frais
Faisaient de vrais chemins sous nos palais de flammes !
Apollon
…Qu’invoquais-tu l’enfant ? …Quel repère imploré ?
… Quel palais épelé dessous d’amorphes lames,
Se dessinait pour toi, cachant ce bras doré,
Pour flairer de ces fleurs ta suie ou ton silence,
L’assourdit bruissement que ce lys noir élance ?
Humes-tu le désordre où si las je poursuis
Un cœur pauvre que j’aime ?
Daphné
Et sais-tu qui je suis ?
Qu’attends-tu -toi, l’Enfant- quand triste tu t’effeuilles ?
Apollon
Des que l’or de tes yeux, leurs éclats dans ces feuilles
Ne cherchent des humains, ne veulent des amants,
Ils font un drame enfin pour quelques diamants!
Des joyaux agrégés pour lesquels tu ne t’offres
-Eux de cristaux sertis, qui sortis de ces coffres,
Pour une belle enfant n’assassineront pas-
Les assauts du parfums …Du chao de ton pas,
Sont un étau de fer qui se propage et lie…
Je souffre de l’amour comme d’une embellie ! 165
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Style : Poème | Par fantomiald | Voir tous ses textes | Visite : 2009
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