« J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence… »
Antoine de SAINT EXUPERY
Aéroport de Bastia - Poretta, Corse, le 31 juillet 2004.
Je regarde machinalement ma montre pour retrouver le cours du temps, réflexe involontaire et signe de mon impatience. L'airbus A 320 aux couleurs de la compagnie CORSICAIR, est lentement poussé et se détache doucement de son emplacement. Arrivé d'Orly la veille en fin de journée lors de sa dernière rotation, il avait déversé une longue colonne de touristes conquérants, impatients et pâles. Ce matin, à nouveau il a fait le plein de passagers au teint un peu plus hâle et beaucoup moins zélés…En regardant s’éloigner inexorablement et imperceptiblement l’aérogare, je prends conscience, soudainement, que mes vacances s’achèvent et qu’il est toujours aussi difficile de quitter cette île… J'ai rangé mes affaires et fermé le coffre à bagages situé au-dessus de ma tête. J'ai relevé la tablette et plié mon journal. Je regarde les hôtesses préparer le décollage. Ma ceinture est bouclée. Je suis maintenant pressé de décoller, de rentrer.
" Mesdames, Messieurs, bonjour, ici le Commandant Christiani. L'équipage et moi-même, nous vous souhaitons la bienvenue à bord de cet airbus A 320 affrété par la compagnie Corsicair. Pour des raisons techniques, nous avons éteint momentanément le réacteur droit suite à un léger problème de surchauffe. Cette procédure est normale et n'a rien d'inhabituelle dans ce cas précis. Cela n'affectera en rien le bon déroulement du vol. Le décollage devrait intervenir dans une dizaine de minutes. Nous serons à destination dans environ une heure quinze. Nous volerons à une vitesse avoisinant les 890 Km à l'heure. Notre altitude de croisière se situera aux alentours des 9000 mètres où il fera en moyenne - 42 ° C. Vous êtes priés de laisser les fenêtres fermées durant ce vol ! …A Paris le temps est dégagé, il y fait actuellement 25 ° C. Nous vous souhaitons un bon voyage et nous vous invitons à suivre attentivement nos charmantes hôtesses pour les consignes de sécurité. Merci de votre attention "
Il n'y a pas que le moteur droit qui surchauffe, tous les visages des passagers luisent et suintent. La Corse est un pays « chaud » dans tous les sens du terme !... Je regarde, distrait, le ballet des consignes de sécurités que le personnel naviguant exécute avec professionnalisme mais machinalement, mécaniquement, rythmé par l’habitude et la routine. Je tends l'oreille de temps à autre pour écouter le sifflement réconfortant du seul réacteur qui est en marche pour y déceler le moindre signe de fatigue, mais en vain. Il est vaillant et tourne parfaitement sous cette fournaise. Au dehors, j’observe, amusé, les volutes d'air chaud qui s’échappent du sol chauffé à blanc, qui gondolent et rendent floues toutes les silhouettes du personnel au sol, distendent et fléchissent les lignes du paysage … J’ai l’impression que la climatisation peine à diffuser de l'air frais, mais il est vrai que les portes de l’avion sont encore grandes ouvertes et laissent s’engouffrer un air chaud et sec parfumé au… kérosène !... La tête collée au hublot, plongé dans mes pensées, je devine par moment, aux mouvements frêles et ondulés des branches de palmier, une légère et timide brise marine qui se faufile et disparaît bien vite. Nous y sommes, l'avion roule enfin et de lui-même sur le taxiway, toujours sur un moteur mais pour le roulage et pour le moment, cela suffit amplement ! Tout à l’heure, au moment du décollage nous aurons besoin des deux bien évidemment !.. Au loin, la montagne glisse lentement sur le plexiglas rayé. Mes yeux cheminent nonchalamment sur la plaine où je laisse vagabonder, en espérant qu’elle s’y perde, cette profonde mélancolie qui m’enveloppe et me submerge à chaque départ. L’arrivée soudaine en bordure de piste d’un camion de pompier de l’aéroport, attire mon regard et m’extirpe sèchement de ma nostalgie. Je pense que le pilote a bien évidemment informé la tour de contrôle du petit problème de surchauffe moteur. C'est la règle, dans l’aviation on n'est jamais trop prudent, il ne faut jamais rien négliger, on ne « badine » pas avec la sécurité !.. Bien calé et sanglé sur mon siège, je regarde la piste se dérouler tel un long ruban ininterrompu et je revois le film de mes vacances.
Je repense toujours à ce moment du départ, à Antoine de Saint Exupéry qui s'est envolé d'ici même et pour la dernière fois lors d'une mission de reconnaissance il y a cinquante ans le 31 juillet 1944. Qu’a-t-il ressentit lui aussi lors de son envol ?!..
J’ai lu dans la presse récemment qu’un journaliste avait retrouvé la trace du pilote allemand qui t’aurait abattu « Tonio » (surnom amical donné à Saint EXUPERY) !.. Soixante ans de silence et voilà qu’un homme sorti de nulle part avoue avoir tué celui dont, dit-il, il aimait tant les récits. Tout à débuté il y a quelques années lorsqu’ils ont retrouvé ta gourmette en mer. Un pêcheur près de Marseille l’avait remonté par hasard dans ses filets, ce qui avait même fait naître une polémique, certains avaient affirmés à l’époque que tu n’en portais pas ce jour funeste de ta disparition. Quelques temps après, ils ont entamés des recherches et des fouilles sous marines, puis ils ont trouvés, hissés à la surface et identifiés des morceaux de ton avion. Ils ont exposé le tout dans un musée près de Paris ; le musée de l’air et de l’espace au Bourget. C’est très joli tu sais et c’est fait avec goût. Tu es parmi toutes les étoiles maintenant. La vérité n’est jamais bien loin de la légende avec toi !..
Personnellement, peu importe les causes de ta disparition mais je suis convaincu aujourd'hui que tu n'aurais jamais dû partir " Tonio ", tu n'aurais pas dû partir ! Rappelle toi, quelques temps auparavant ils t'avaient interdit de vol après que tu aies cassé un avion à l'atterrissage?! Mais malheureusement, tes suppliques pour revoler furent entendues. Et malgré ton âge (ils te trouvaient trop vieux pour voler sur un appareil aussi pointu et performant que le P38) et ton pilotage parfois approximatif (les mécaniciens t’avaient surnommé « pique la lune » parce que tu étais un pilote rêveur qui oublia même une fois de rentrer le train après le décollage), tu repris rapidement les vols de reconnaissance jusqu'à ce triste 31 juillet 1944, la mission de trop ? A chacune de mes venues en Corse, et plus particulièrement au moment du retour, je ressens toujours ces mêmes regrets. Et puis d’ailleurs, qui pouvait indéfiniment s'opposer aux requêtes du célèbre Capitaine fraîchement promu Commandant de Saint Exupéry ? Pourtant, en tant qu’écrivain, tu étais à l’époque déjà connu et reconnu mondialement, comme pilote tu avais gagné avec Mermoz et la grande aventure de la postale, l'estime et l’admiration de tous tes pairs. Bref, tu n'avais rien à prouver au monde ce jour là, sauf bien sûr à toi-même… T'interdire de partir n'aurait rien changé au dénouement de la guerre, par contre je suis sur que l'aviation et surtout la littérature auraient gagné énormément à ce que tu ne décolles pas ce jour là. Tu n'aurais pas dû partir " Tonio " ! Tu n'aurais pas dû partir…
En contemplant les entrailles de cet airbus, je m’émerveille toujours non seulement devant la beauté d’une telle machine, mais aussi à l'idée qu’elle puisse s’envoler et voler. En effet, soulever et maintenir cette masse énorme dans les airs me paraît aujourd‘hui encore tenir du miracle ! Je mesure à cet instant le chemin parcouru depuis l’envolée, enfin, le saut de puce, des célèbres frères WRIGHT au début du siècle. Que de prouesses technologiques accomplies depuis ! Que d’aventures humaines ! Les hommes ont toujours voulu imiter les oiseaux, mais pendant des millénaires, ce ne fut qu'un rêve inaccessible. Conquérir le ciel relevait il y a encore peu de l'utopie indécente qui offensait la nature, car l’Homme n’est pas fait pour voler. Rien dans notre anatomie ne nous prédisposait à y parvenir, excepté notre intelligence ou notre folie, notre ténacité et notre foi indéfectible dans le progrès et dans la technique. Nous sommes venus à bout de toutes les difficultés, nous avons franchis tous les obstacles ! Nous avons réussi enfin, il y a quelques décennies à peine, à conquérir le ciel et à réaliser cette vieille ambition, au prix, il est vrai, de nombreuses vies humaines malheureusement. Pour ma part, beaucoup plus récemment et plus humblement, j’ai pu, moi aussi, accomplir mon rêve : voler ! Depuis tout petit en effet, du jour où j’ai pu lever la tête sans partir à la renverse et contempler ainsi le ciel et tout ce qui s’y trouvait, j’ai su que je piloterai, que je volerai. Il y a comme cela des sentiments au plus profond de vous-même dont vous ne savez rien, sauf peut-être leur force.
J’ai été breveté un 14 juillet ! Ce fut pour moi, ce jour là, une date doublement historique…Mémorable…Un vrai défilé… de sensations…Et depuis ce jour, en dépit du temps qui passe, je conserve jalousement et précieusement, au fond de ma mémoire comme au plus profond de moi-même, les souvenirs indélébiles de cette journée…Ici le temps n’a pas de prise et n’efface rien !...
" Mesdames, messieurs, décollage. "
Le moteur droit est lancé, enfin !.. L’avion vire et pénètre déjà sur la piste. Le paysage tourne lentement, puis se fige… L’airbus est maintenant aligné plein nord, le nez au vent, prêt à bondir, à prendre son envol... Après deux brèves secondes ou tout nous semblait comme suspendu, hors du temps, le bruit des réacteurs se fit soudain plus aigu, plus présent, leur souffle plus strident…Plein gaz… L'appareil trépigne et vibre légèrement. Je sens le " lâcher des freins"…L'accélération nous projette vers l'avant, et nous colle sur notre siège. La poussée est forte mais linéaire. Assis confortablement en place avant de l’appareil non loin du poste de pilotage, je ne perds pas une miette de toutes les sensations qui me parviennent et se bousculent. J’ai de la peine à quitter cette Corse que j’aime tant, je songe déjà à mon prochain retour …
Voilà, le nez du jet se lève, il se cabre majestueusement et débute son ascension arc bouté sur ses ailes. Le doux tangage et les mouvements de l’appareil nous indiquent que nous ne sommes plus en contact avec la terre ferme. J'entends déjà les vérins hydrauliques rappeler les roues dans la voilure. Les trappes se referment et claquent. Peu après les volets sont eux aussi rentrés. Nous poursuivons le décollage et grimpons à présent franchement. L’avion se penche doucement, vire à droite et entame un doux virage afin d’éviter le survol de Bastia. Je regarde la Corse qui s'éloigne et m’attire déjà. Pendant la montée, pour me consoler de cette nouvelle déchirure, je prends tout le loisir d’admirer la méditerranée, et de constater l’impossible : se lasser devant un tel paysage !… Derrière ma vitre et devant ce panorama, je me sens toutefois prisonnier et seul, comme un poisson rouge qui filtre le monde au travers de son bocal. A ma gauche, en me faufilant du regard au travers des silhouettes des autres passagers, je contemple les montagnes qui rapetissent et se lissent. Mes yeux empruntent nonchalamment les chemins abruptes et escarpés qui lézardent et excavent le maquis, comme des mains qui glissent et lisent les sillons des rides et ridules d’un vieux visage corse marqué par la vie, sculpté par toutes les années, modelé par toutes la richesse et la diversité de ses émotions, de ses peines et de ses joies. En bas, les écumes blanches qui disparaissent maintenant lentement au fil de notre montée, se fondent et se noient dans les flots. Tout est si joli vu d'en haut, tout est si beau !.. La nature est encore plus belle quand elle nous est rendue tout à coup inaccessible. N’est-ce pas en prenant de la hauteur qu'il est plus aisé de prendre toute la mesure des choses ?
Mon regard se perd à présent dans l’horizon turquoise et plonge dans l'immensité insaisissable du paysage que nous survolons. Au loin, après quelques dizaines de minutes de vol, les Alpes se dressent et se dévoilent dans toute leur imposante et unique majesté. Le spectacle est grandiose. Assis aux premières loges, je me régale de tout ce que mes yeux rencontrent ! Le ronronnement régulier des réacteurs me berce. J'ai un peu sommeil. Je me sens bien. Quand je pense qu’il y a des gens qui ont peur en avion !.. Sous cette douce torpeur propice aux songes, bercé par les sursauts feutrés de l’appareil, je revois ces années ou je pilotais régulièrement un avion de tourisme, où chaque week-end et toutes mes vacances scolaires étaient consacrées à un seul loisir : voler. Que me reste t-il de tout cela aujourd’hui ? T out comme mes vacances en Corse, tout me paraît si lointain à présent…Je commence à bailler et je dois lutter tout à coup contre un sommeil impérieux. Mais il serait pourtant dommage de s’endormir devant un tel décor !
Je me suis inscrit dans mon premier aéroclub à 25 ans, un peu sur le tard, mais néanmoins avec un carnet de vol bien rempli !... En effet, à l’âge de neuf ans à peine, je totalisais plus de deux millions d'heures de vol sur mirage IV, une maquette en plastique achetée dans le commerce au rayon des jouets à l'échelle 1/8ème, que je pilotais avec virtuosité à bout de bras et à longueur de temps. Sur mirage F1 CR, à la même échelle mais un peu plus tard, c'est-à-dire aux alentours de onze ans, j’affichais fièrement un nombre d’heures sensiblement identique !....Du haut de mes douze ans, je n’ai plus compté les heures sur mon Corsair bleu de la NAVY, le même que papy Boyington dans la série « les têtes brûlées ». Je le faisais décoller sur le porte avion qui mouillait dans le salon (le buffet) à la recherche des appareils japonais qui avaient osé Pearl Harbor (ce qui est déjà pas mal) mais qui avaient surtout violé mon espace aérien…Tout ce qui volait (ou non, et peu importe) était considéré comme nippon et hostile bien évidemment. Je prenais tout en chasse les papillons, les insectes, les fourmis, les bourdons, ma grand-mère, les copines de ma mère, leur chien, le mien, mon frère…Etc.. Etc. Je poursuivais même et prenais en chasse les pauvres petites et inoffensives coccinelles (les petites bêtes volantes rouges avec des points noirs, pas les Volkswagen !...) Par contre, lorsqu'il s'agissait d'abeilles ou de guêpes, ces dernières étant puissamment armées, je n’engageais pas le combat, par convention unilatérale mais surtout par "pétoche " et je filais « dare-dare "… Les batailles aériennes, de la même intensité que les plus grands combats aériens de la seconde guerre mondiale (si, si !) étaient quasi journalières. Mais les hostilités cessèrent dès que la police de l'air (ma mère) eût remarqué des traces suspectes (les empreintes des pneus de mon Corsair lors des atterrissages) sur son buffet (mon porte avions !) Je fus traduis en cour martiale et la dite cour (ma mère) ne retint aucune circonstance atténuante et me retira ma licence sur le champ et confisqua mon appareil…Je suis donc passé à cette époque, par une « dépression » et à d'autres jeux. Mais pas pour longtemps…
J'ai vite changé d’époque et je me suis tourné vers les avions à réaction. Au moins, avec ce genre de machine, je pouvais quitter plus vite et m’échapper du rayon d’action de ma mère…J’ai donc construit patiemment un mirage III comme celui de la série « des chevaliers du ciel » avec Tanguy et Laverdure. A peine la colle était –elle sèche, que déjà je le pilotais à bout de bras en couvrant partiellement le bruit des réacteurs par la célèbre chanson de Johnny Hallyday : " Les chevaliers du ciel, dans un bruit de tonnerre, etc.…"Après une extinction de voix (la chanson du générique !), J'ai obtenu quand même mon brevet de pilote de chasse sur mirage III avec option chanson. Quand je pilotais, j’étais toujours Tanguy ; dans le feuilleton télévisé, les filles préféraient toujours Tanguy, alors j’ai pris comme indicatif TANGUY!!!!… Mais avec les filles, de mon âge, mon tableau de chasse, malgré de gros efforts, était toujours bloqué à zéro ?!...Contrairement à mon avion, mon score avec la gente féminine avait vraiment du mal à décoller !.. Mais c'était la belle époque de mon adolescence, l’ère des avions à réaction, appelés dans le jargon aéronautique « les chalumeaux », des filles sans aucune réaction, et du mur du son que j’ai franchi à chaque vol dans le jardin de mes parents (je demande pardon à tous les voisins pour les nuisances sonores causées par les bangs supersoniques, mais surtout pour le refrain du générique). A quinze ans, à l’âge où mes copains passaient leurs degrés de " voltige " dans leur chambre (avec leur petite amie), hum… Hum…« je faisais décoller » de mon côté, beaucoup moins haut et en silence, une fusée américaine du programme APOLLO, pour des révolutions interminables. En quelques années, j’ai donc fait voler et piloté tous types d’appareils aussi divers que tous les couverts de table pendant les repas, tous mes stylos pendant les cours, de nombreuses maquettes en plastique et jusqu’au B 52 de chez Heller qu’il fallait tenir et piloter à deux mains tant il était volumineux ! Sont exclus bien évidemment des statistiques, vu leur nombre, tous les prototypes d'avions en papier ! Vous voyez, je ne manquais donc pas d'expérience aéronautique lorsque je me suis présenté à l'aérodrome de La Salmagne, le petit aéroclub prés de Maubeuge dans le Nord !
Au début de mon apprentissage, j'avais à ma disposition un budget d’environ 10000 francs de l’époque (1500 euros aujourd’hui que mon père m‘avançait généreusement et que je remboursais plus péniblement.) J’avais aussi tous mes week-ends, et comme tous les élèves pilote, quatre supports pédagogiques :
Ÿ Mes cours théoriques (le manuel de vol à apprendre par cœur)
Ÿ l'école de pilotage (mon aéroclub)
Ÿ l'avion école (mon « coucou », un Piper PA 28)
Ÿ puis l’instructeur (le maillon le plus important de cette chaîne)
Après une visite médicale spécifique à cette activité et obligatoire pour la délivrance de la licence de pilote stagiaire, il me fallait acquérir (ce que je n'avais pas à l’époque) et conserver (ce fut en fait plus facile) une bonne hygiène de vie ainsi qu'un bon équilibre psychique et physique qui ne laisseraient aucun doute quant à mon aptitude à entreprendre les vols à venir. Ma première rencontre sérieuse avec l'aviation fut donc le médecin, puis vint ensuite la confrontation avec le " célèbre " et incontournable Instructeur.
Le rôle de l'instructeur aéronautique est ici primordial, essentiel. La relation qui s'établit avec lui est unique et exclusive. J'ai appris à piloter et à voler avec Christophe, pilote talentueux et instructeur atypique mais surtout un personnage truculent. Il me fit découvrir lors de ma progression tous les différents aspects du pilotage et de la maîtrise d'un avion de tourisme, il m'initia aux techniques, aux sensations et aux joies que vous procure le vol motorisé. Tout me venait naturellement, cela me plaisait. Je n'ai pas rencontré de réelles difficultés pendant ma formation excepté une petite sensation de malaise lors de mon premier envol. Ce jour là, comme à chaque vol d'initiation, l'instructeur tient les commandes et son élève l'accompagne aux palonniers et au manche. Il me dictait et m'expliquait chaque manœuvre. Mais je n'étais pas rassuré pour autant assis à côté d'une personne que je ne connaissais pas, perché à 600 mètres du sol. J'avais du mal à me concentrer. Je me suis même demandé à un moment ce que « foutais » là ? J'avais déjà pris l'avion auparavant, mais jamais dans la cabine de pilotage, encore moins à côté du pilote et devant cette forêt de manettes, cette jungle de cadrans, de boutons et de voyants. Tout me paraissait nouveau, étrange mais pourtant sensationnel. Je me souviens le cœur qui cognait fort la poitrine et faisait battre mes tempes. Les mains un peu moites qui ne trouvaient pas leur place. La bouche sèche ainsi que cette désagréable sensation d'avoir trop chaud puis trop froid et inversement. Cependant, il ne fallait rien laisser transparaître à mon voisin mais surtout à moi-même car je devais me résoudre à l'idée qu'après quelques heures de pilotage en doubles commandes, je volerais un jour, au terme de ma formation, seul à bord de cet avion. Cette pensée, certes séduisante, ne me réconfortait pas pour autant à cet instant précis. Rassurez-vous, ce petit mal de l'air, quelque peu désagréable, est une sensation tout à fait normale et naturelle qui disparaît bien vite au fil des vols suivants. Bon nombre de pilotes et parfois même les plus illustres furent un peu incommodés à leurs débuts. Évidemment, très peu d'entre eux l’avouent facilement…
Il est vrai que ce jour là, il n'était pas rassurant pour un non initié comme moi de quitter le sol et de le voir s'échapper inexorablement, suspendu dans les airs à ces deux protubérances métalliques qui transpercent le fuselage de part en part : les ailes!…
Après cette première expérience, mes vols s'enchaînaient régulièrement, je restituais ce que l'on m'enseignait. Je découvrais l'humilité, l'altitude, mais surtout la rigueur du pilotage. Car si piloter demande des connaissances théoriques solides, il faut aussi de l’entraînement (acquérir de l’expérience en volant régulièrement) et surtout de la rigueur, car chaque action ou inaction dans le cockpit contient le germe de l’erreur...Et l’erreur humaine, statistiquement dans l’aviation, est la première cause dans les accidents.
" Tout le charme de l'aviation tient aux multiples et fascinants problèmes émanant du vol " a écrit Algéron E. BERRIMAN, écrivain anglais spécialiste de l'aviation.
Je volais donc le plus possible comme élève pilote, en place droite ou comme passager avec les copains (Le fameux sac de sable). Je prenais peu à peu, de plus en plus de confiance et surtout de plaisir à piloter. Chaque envolée était encore plus belle que la précédente, chaque week-end de mauvais temps un cauchemar…
Les samedis débutaient d’ailleurs toujours de la même manière, avec bien évidemment, un mal fou à m'endormir la veille, impatience viscérale que je reconnais comme défaut. Mais les réveils étaient si faciles et si particuliers ces matins là. Et puis le fameux jour est arrivé. Tous les pilotes vous le diront : des moments privilégiés et forts que vous offre l'aviation, il en est un qui vous laisse une saveur particulière et inaltérable, c’est le premier vol solo, le célèbre et inévitable « lâché ». On l'attend tous avec une certaine forme d‘impatience. On le redoute aussi un peu.
Samedi 18 mai, jour J, enfin lâché !
Mon barda aéronautique dans mon cartable d’écolier, mon cartable sous le bras, mes lunettes de soleil sur le nez, c'est bien sur avec entrain que j'ai quitté la maison ce matin là. En voiture ! Contact. Starter. Démarreur. Le moteur ronronne puis tourne. L'aiguille du compte tours grimpe et se rive. J'accélère doucement puis plus franchement. Je roule et entame la quinzaine de kilomètres interminables qui me séparent du terrain d'aviation, soit environ une année lumière ! La journée s'annonce parfaite pour voler. Très vite, je dois lutter pour me concentrer sur la route. Je suis inquiet. Mon esprit est ailleurs, je me surprends en effet à rêver tout éveillé ! Tout à coup, sans prévenir, mon volant s'affole et se transforme en manche à balais ! Mes pédales elles aussi s'agitent et deviennent palonniers. Alors que, jusqu’ici si tranquille, mon tachymètre joue à présent l’altimètre ? Le compte tours à son tour s'affiche maintenant en nœuds ! Je trépigne, c'est clair et je m'en amuse d'ailleurs. Mais qu’il est long de compter le temps !
Le moteur de la voiture est à peine arrêté que déjà, je jaillis hors de celle-ci la délaissant sans regret. Direction " le bar de l'envol, l'escale incontournable d'avant et d'après vol. Un grand bonjour à l'assistance, un petit café noir que j'avale et paye au plus vite en me brûlant le palais dans ma précipitation. Je demande au patron, la langue endolorie et la bouche en feu :
« - Il est déjà là Christophe ?
- Oui, dans le hangar, je crois qu’il t'attend !
- Très bien, j'y vais… A tout à l'heure merci «
- A tout à l’heure. Amuse-toi bien ?!..
- J’y compte bien !»
C’est toujours au même détour de la même allée que surgissent les hangars. Les fameux hangars. Un peu la cage aux oiseaux dans la célèbre chanson de Pierre Perret, mais en plus grand, en beaucoup plus grand. A la différence, et elle est de taille, c’est qu’ici, les portes de la cage restent grandes ouvertes la plupart du temps et les plumes des piafs sont rivetées ! Et comme dans la rengaine de monsieur Perret, « les regarder s’envoler », c’est toujours aussi « beau ! »
C'est donc sous ces tôles légères et ondulées où le vent s'engouffre et s’amuse à les faire tinter que je le trouve la plupart du temps lorsqu’il n’est pas en vol. C'est son domaine, sa cathédrale, son lieu de culte. Je l'aperçois, mais lui ne m'a pas encore vu. Les mains croisées dans le dos, légèrement courbé, il marche à petits pas et songe sûrement à de grandes envolées. Il se retourne comme par instinct, m’ayant deviné sans doute, lève la tête, me scrute, me dévisage, me jauge, s'avance et sourit de se voir enfin délivré de cette trop longue attente.
« - salut toi ! T'es prêt ? »
C'est toujours par cette formule qu'il m'accueillait en me serrant la main. La plupart des gens vous saluent d'un bonjour, comment ça va ? S'empressent de commenter le temps qu'il fait, celui qu'il va faire ou alors de celui qu'ils voudraient qu'il fasse. Parfois, dans le pire des cas, ils vous racontent leurs petites douleurs, et se délestent au passage de leurs petits soucis... Avec lui, rien de tout cela. A peine vous avait-il rendu votre main qu’il a déjà fait volte face en direction de l’avion. La météo, il sait à quoi s'en tenir pour la journée car il a pris lui-même les prévisions tôt ce matin ! Il est tout aussi, sinon plus, impatient que moi de voler. Il ne fera que cela toute la journée avec d'autres élèves ou accompagnant d'autres pilotes : voler…Encore voler…Il va finir par passer plus de temps en l'air que sur le plancher des vaches ! Meeeuuuuhhh si !..
Un petit " exposé " avant de sortir l'avion, car cette fois on va se poser à Valenciennes histoire de se dégourdir les ailes et changer un peu d‘environnement. Petite balade cap plein Ouest au 270 afin se familiariser un peu plus à la navigation. Christophe connaît la " route "et les repères visuels par cœur et pourrait faire le vol les yeux fermés (l‘avion aussi d‘ailleurs) ! Mais il gardera les yeux ouverts… Les deux !
A peine posé à Valenciennes, nous laissons déjà l’avion au parking, direction les hangars (pour changer) et bien sur (ben voyons) le bar de l’aéroclub pour refaire le plein je suppose ?!... Dans ce genre d'endroit, où cela discute haut et fort d'aviation bien évidemment, il faut toujours écouter les autres pilotes car on apprend comme cela aussi beaucoup. Alors, devant un autre café, je les oyaient tout particulièrement et attentivement comme suspendus à leurs lèvres et buvant tous leurs propos. Les discussions étaient vives, passionnées et enflammées comme tous ses pilotes amarrés au bar d’ailleurs. Tout en prenant garde de ne pas me brûler une nouvelle fois toute la cavité buccale, j’appris ce jour là le fameux adage : dans l’aviation, on dit qu'un bon pilote fait toujours une heure de zinc (d’avion) et une heure de zinc (le zinc du comptoir du bar) ! Après un rapide calcul, et avant même que mon sucre ne fondit totalement dans ma tasse (C’est vous dire la rapidité du calcul) je remarquais fièrement que je totalisais déjà ce jour là à peine 30 minutes de vol pour plus d’une heure trente de bar ! Pas mal non ? J’engrangeais donc beaucoup d’expérience…Donc, après notre heure trente de « zinc » nous avons récupéré notre « zinc », puis nous sommes rentrés à notre base (Maubeuge), prêt pour une nouvelle heure de « zinc »durant laquelle nous avons expliqué à tous ceux qui étaient sur ce fameux « zinc », qui volait ce jour la à Valenciennes, avec quel « zinc » et avec qui nous avions bu un verre sur le « zinc ». Vous me suivez toujours ? Tout cela pour vous dire plus simplement, que les gars de Maubeuge avaient juste demandé des nouvelles de leurs copains de Valenciennes. Voilà, c’est fait. Merci de votre attention, vous pouvez reprendre la lecture de cette nouvelle tranquillement et désolé pour ce détour… nement… d’attention…
Pendant le vol du retour, je n’avais pas pressenti que Christophe avait décidé de me" lâcher seul "une fois à destination. Ce n'était pas inscrit au programme ! Il m'avouera néanmoins après coup, que cette promenade avait servi de prétexte pour m'évaluer, voir si j'étais prêt à faire le « grand saut ». En y réfléchissant de plus prêt, j'admets qu’il était ce jour là d'une attention toute particulière, presque paternelle :
" Tu as bien dormi ? Tu es en forme ? Ca va ? C'est bien, continue comme ça, maintiens bien ton horizon avec le capot du moteur, voilà, réduit un peu les gaz, doucement " etc.…etc.… J'aurais dû me douter de quelque chose ! Mais non, j’étais trop occupé à bien faire sans doute !
Après trois tours de piste, autant de décollages et d'atterrissages les fameux « touchs and goes » (en français cela signifie qu‘à peine atterri on redécolle immédiatement), mon instructeur m'ordonna de garder les pieds sur les freins lors du dernier posé et de maintenir l'avion dans l'axe de la piste. C'est là que j'ai compris : il s'est détaché, a entrouvert la verrière puis a sauté de l'avion.
- " Tu m’en fais trois comme ceux que tu viens de faire, tu es capable de le faire tout seul maintenant. Ensuite tu ramènes l'avion sur le parking. Si tu as besoin de moi, je reste en veille à la radio dans un planeur. Ca va aller ? "
Je l’écoutais à peine, je l‘entendais un peu. J’ai dû répondre que ça irait et que j'étais " OK pour partir" puisqu’il m’a laissé partir ! Après peut-être deux secondes d'hésitation, j'ai refermé la verrière, attendu qu'il s'éloigne. (Il ne se retournera pas). J'ai vérifié : un cran de volet, pompe électrique sur ON, annonce radio « Maubeuge Fox -Golf Yankee Écho, décollage immédiat piste 23 ». Puis j’ai lâché des freins et mis les pleins gaz. La sensation de s'envoler, c'est déjà quelque chose, mais celle de voler seul est vraiment grisante. J'ai quitté le sol et gagné mes ailes. Après de nouveaux trois tours de piste, je suis rentré aux hangars : heureux !!!!!!!!! Pendant les heures qui suivirent, je ne me souviens pas avoir touché terre, encore perché sur mon petit nuage…J'avais enfin volé seul !.. Ce fut un grand moment. A chaque fois que je me remémore cette belle journée, j’en ressens encore intactes, toutes les émotions.
- « Bonjour ? »
Cette petite voix m'extirpa de mes pensées. Les yeux encore imbibés de sommeil, je remarquais une silhouette floue qui me faisait face.
- « Bonjour. » Répéta la petite voix
J’ai tout de suite senti que nous n’étions plus dans l’avion.
« Bonjour » répondis-je machinalement. « Où sommes-nous? Qui es-tu ? Mais que faisons-nous au beau milieu du désert ? » (Avais-je survécu à un crash ? Mais non, c’est impossible, il n’y a aucun désert entre Paris et Bastia !...)
J'avais du mal à le distinguer nettement encore, mais je voyais qu’un enfant me regardait, surpris par mes questions sans doute qui devaient lui paraître aussi incongrues qu’à moi évidentes.
« - Si tu ne me laisser le temps de répondre à ta première question avant d’en reposer une deuxième juste après, ce serait pour moi plus facile pour t’expliquer !
- C'est vrai. Je te l'accorde. Bon, je t'écoute. Que s'est-il passé ? Où sommes-nous ?
- Je t'ai trouvé ici tout à l'heure. Tu parlais en dormant. Je me suis assis près de toi et je t’ai écouté longuement sans pour autant comprendre tout ce que tu disais du moins, au début. Auparavant j'étais tranquillement assis dans mon coin, je vaquais à mes occupations lorsque j'ai vu passer devant moi des bouts d'avion, des morceaux bleus de ciel, des coins de nuages blancs ,j’ai entendu aussi des bruits de moteur et des rires, et puis ça sentait fortement l'essence, l’huile et la bonne humeur. C’étaient des souvenirs qui défilaient devant moi et ils se rendaient allègrement tous au même endroit, ici, là où je t’ais trouvé endormi. Je les aie suivis, comme attiré irrésistiblement moi aussi. Je me suis aperçu en les écoutant que c‘était les tiens, et que j‘en faisais partie. Inconsciemment j’ai donc répondu à ton appel. Ils semblaient tous heureux. Ce sont des bons souvenirs pour toi n'est-ce pas ?
- Oui, c'est vrai ! Ils le sont. Mais, quel est ce pays où les souvenirs accourent quand on les évoques ? Et toi, je m'excuse d'insister mais qui es-tu donc ?
- Décidément ! C'est une manie chez toi !
- Quoi donc ?
- Les questions pardi !.. Pourtant si tu me regardes de plus près, tu t'apercevras que tu me connais, que je suis un vieil ami d’enfance. Nous avons passé beaucoup de temps ensembles !
- Toi ? Un vieil ami d’enfance ? Pourtant ton visage est encore flou et il ne me rappelle rien !
- Cela viendra crois-moi, c'est juste une question de temps. Sois patient, concentre-toi. Fais un effort…
- Écoute. Il n'y a pas si longtemps, j'étais dans un avion à destination de Paris, et je crois que je me suis endormi. Et maintenant, te voilà, me voilà, nous voilà ici tous les deux, assis dans le sable, je ne sais où, dans ce désert parmi tous mes souvenirs ?! Je m'excuse de t'importuner avec toutes mes questions, mais j'aimerais bien savoir où je suis, qui tu es, et que faisons-nous ici ?!..
- Je te comprends, mais ne sois pas si inquiet, je vais essayer de t‘expliquer. Pour l'avion, je ne sais pas, je n'ai pas accès au monde extérieur…Ou si peu. Mais pour le reste… En fait, voilà, c'est assez simple, nous sommes certes tous les deux dans un désert mais nous ne sommes pas pour autant dans un pays inconnu et encore moins sur une planète lointaine. En réalité, tu te trouves actuellement dans un univers si vaste et si petit, si mystérieux et si familier, si lointain et si proche à la fois que nul ne le connais vraiment : c'est un endroit unique et propre à chacun d'entre nous : nous sommes tous les deux en ce moment, dans ton imagination !...
- Mon … Quoi ?…
-Ton imagination !...
- Mon… Imagi..
- Nation !...
- Imagiiiiiiination ?!..
- Oui ! Mais avec beaucoup moins de « i » que tu n’en as mis dans la phrase précédente !.. Cela peut te paraître irréel voire impossible, mais crois moi, ce que tu vois en ce moment, c'est ce qu'il y a dans ton esprit, le reflet de ton inspiration en quelques sortes…
- Dis donc ? Tu ne serais pas en train de me prendre pour un idiot ? Tu veux me faire croire que toutes ces dunes autour de nous, ce désert aride et nu, ce n’est en somme que le reflet de mon imagination ? Mon inspiration ne se résume donc qu’à un désert, c’est le cas de le dire !?
Dis-moi aussi, pourquoi le vent se lève-t-il si soudainement ici ?
- Ce n’est pas le vent, mais plutôt ta colère. Mais cela ne change rien à ce que je viens de te dire. Tout ce que tu vois en ce moment même, c’est ce qu’il y a dans ton rêve.
- Mais à part toi, bien évidemment, il n'y a rien des dunes et du sable ! J’ai donc si peu d’imagination alors ? Regarde autour de toi. Rien, le désert c'est le cas de le dire. Pas même un horizon …à l'horizon !
-Oui c'est juste, je te l’accorde ; comment pourrait-t-il y avoir en effet d’horizon en l’absence même d’horizon ? Mais rassure-toi, sous son apparence de désolation et de néant, un désert cache et abrite bien des mystères, tant de choses y sont enfouies ! Néanmoins s’il n'y a rien pour l'instant dans tes songes c'est de ta faute. Ils sont vides parce que tu ne penses à rien. Tu ne me crois pas, tu ne m’imagines pas et tu ne fais pas beaucoup d’efforts pour me distinguer clairement d‘ailleurs. La preuve, depuis que nous discutons, tu ne m’as toujours pas reconnus ! Ce n’est pourtant pas si difficile ? De plus, tu m'entends, tu me comprends parfaitement. N’est-ce pas là, un manque d'imagination ?
- D’accord. Attends une minute. Laisse-moi réfléchir un peu. Toute cette histoire est si troublante. C’est incroyable ! Attends je vais me concentrer…Il faut que je sache…Ah voilà ! Oui, c'est mieux comme cela. Mais au fait…Maintenant que je te distingue un peu mieux, me permets-tu une remarque ?
- Qu'y a-t-il encore ?
- Toi par exemple. Tu apparais miraculeusement, venu de je ne sais où et parais si réel. Et de plus, que dire de ta ressemblance avec petit prince dans le livre de Saint Exupéry ? Elle est si troublante d’ailleurs…Laisse moi deviner, ne vas tu pas me demander de te dessiner un mouton d‘ici peu ?
- Non rassure-toi, il n'en est rien. Si j’avais à te demander un dessin, pour moi ce serait plutôt un gâteau, un énorme gâteau d’anniversaire avec mille bougies de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Vois-tu, je n’ai jamais mangé de gâteau d‘anniversaire!…D’ailleurs il n’y a jamais personne pour le fêter avec moi ! (Soupir)…Et tout cela sous prétexte que je n’ai pas d’âge ! Tout cela est si triste. Pour le reste, c'est exact, tu as raison. Je suis en quelque sorte un petit prince.
- Mais pourtant, tu n'existes seulement dans le livre, et tu n’es que le fruit de l'imagination de l’auteur n’est-ce pas ? Comment puis-je te voir et te parler alors ?
- Parce que tout est possible ici, dans notre imagination. Je revis à chaque lecture et reprend forme à chaque pensée que tu m‘adresses. J’existe dans ton esprit comme dans celui de ceux qui ont lu le livre ! En somme il y a un petit prince dans chaque lecteur et dans chacun d’entre nous. Seulement, je ne puis appartenir à personne en particulier car je suis à tout le monde à la fois. Tu vois, c’est ce qui fait la force et la magie des livres, ce pouvoir et cette faculté de rassembler tous les hommes, quels qu’ils soient, dans leurs rêves, ou autour d’un même rêve sans distinction aucune, de race, de situation sociale, de religion, et comme cela, de pouvoir tout partager. Le livre est surement le lieu de rencontre idéal car universel. Les hommes s’y découvrent, s’y dévoilent et se retrouvent. De plus, ils ont ainsi accès à un fabuleux trésor, un bien précieux et inestimable qu’ils se transmettent de génération en génération, le fabuleux remède à toutes leurs souffrances, à tous leurs malheurs et à tous leurs maux : la culture. Le livre est peut-être la plus belle et la plus noble œuvre de l’humanité car Il est le recueil intemporel de toutes les civilisations, de tous les savoirs, le témoin privilégié de notre histoire, notre mémoire commune. Chaque livre est une rencontre avec les autres mais aussi avec soi-même. C’est pour cela, lorsque tu parcours n’importe quel ouvrage, ou lorsque tu lis tout simplement par exemple « le petit prince », tu lis à travers tous les hommes !
- …Tu parles bien tu sais ?
- Je te remercie de ce compliment.
- Mais alors ? Tu ne m’es donc pas apparu par hasard ? Notre rencontre n'est pas fortuite ?
- Non bien sur, tu l’as bien compris. Nous subissons en fait toutes les influences de nos pensées, de notre environnement, de la réalité ou de nos songes. Tout se rejoint ici dans nos rêves. Tu pensais sans doute à moi tout à l'heure, inconsciemment ou non, directement ou non. Il n’est donc pas anormal que tu me trouves ici…
- Oui. Tu as sans doute raison. C’est vrai, maintenant que j‘y pense, j'ai revu la stèle commémorative du dernier envol d’Antoine de Saint Exupéry lorsque je suis arrivé à l’aéroport de Bastia, et j’ai repensé à lui lorsque notre avion rejoignait la piste avant le décollage. C’est sans doute pour cela que je suis ici avec toi alors?... Dis-moi au fait, as-tu des nouvelles ?
- Non, malheureusement, et pas depuis ce funeste jour d’ailleurs. Mais qui sait, il n’est peut-être pas si loin ? Puisque tu y songes !…
- Ah oui, c’est vrai !? Quand je pense que je n‘ai même pas un stylo pour lui demander de me signer un autographe et de me dessiner un mouton ! (rires).
- Je te rappelle qu’ici, il suffit de l‘imaginer ton stylo ! Décidément tu es distrait !
- Ah oui, pardon, j’avais oublié, excuse-moi ! Bon, ce n'est pas que je m'ennuie dans mon imagination, euh, pardon, dans notre monde imaginaire. Mais sais-tu comment puis-je en sortir ?
- Bien sûr. C'est très simple. C'est uniquement une histoire de volonté. Si tu désires partir, tu peux le faire à tout moment. Il suffit juste de le vouloir, c'est tout. D'ailleurs si tu es encore là, c'est que tu le veux vraiment. Sinon tu serais déjà loin.
- Alors, on ne se verra plus ?
- Mais bien sur que si ! Rassure-toi. Cet univers, c’est le nôtre. Tu m’y as invité et fait entrer lors de ta première lecture du petit prince. Ce fut là notre première rencontre. Et je me souviens, tu n’as pas tout compris du premier coup ?!..N’est-ce pas ?
- C’est vrai, mais j’étais petit. Plus tard, c’était beaucoup mieux.
- Vois-tu, je vis donc ici depuis, avec tout le reste, tout ce qu’il y avait déjà auparavant et qui provenait de toutes tes expériences et tout ce que tu y mets depuis !. Ton univers c’est chez moi et je m'y plais. A ta prochaine visite nous parlerons comme aujourd'hui, tu me raconteras le monde du dehors, en retour je te servirais de guide car j’ai un peu peur que tu te perdes ici. Par contre, contrairement à toi, je ne puis m’en aller. Il n'y a que dans les livres et les pensées que j'existe. Dans la réalité, pas encore. Les adultes ne sont pas encore prêts à m'accueillir, ils ont toujours eu un peu peur de leurs rêves et ont trop vite oubliés qu'ils ont été, eux aussi, jadis, des enfants. Tu me trouveras dès l'instant ou tu en manifesteras le désir. La plupart du temps, on se reverra assez vite. D’autres fois, il faudra être plus patient car tu auras peut être un peu de mal à me rencontrer. Certains jours, il y a en effet beaucoup d’idées dans ta tête...Mais, c’est assez tranquille et calme ici !..Je dois t’avouer aussi pendant que j'y suis, et que tu es encore là, que c’est un peu le bazar dans tes idées, je trouve personnellement qu’elles sont mal rangées.
De plus, d ‘autres sont carrément moches, fausses ou d’autres carrément inutiles !.. Au fait, n’as-tu pas remarqué que le décor a changé depuis tout à l’heure ? Le désert a disparu et il commence aussi à faire plus frais. Entends-tu ce sifflement ?
- Oui, je l’entends. J’ai même un peu l’impression de le reconnaître. On dirait le souffle d’un réacteur ! Je crois qu’il est temps que je m’en aille…Je suis certain de te revoir alors ?
- Oui, dès que tu en auras envie. Il te suffira de m’adresser tes pensées ou comme tu le fais en ce moment, par la lecture ou par l‘écriture. Et n’oublie pas : écoute ton imagination, elle te fera découvrir des lieux et des personnages merveilleux ».
" Mesdames, Messieurs, nous commençons notre descente sur Paris Orly. Vous êtes priés de regagner votre place, de relever votre siège et votre tablette et d'attacher votre ceinture. "
Cette annonce me fit légèrement sursauter. Je regardais fiévreusement autour de moi encore sous l’emprise des paroles du petit prince. Le désert avait bel et bien disparu, mon interlocuteur aussi. J'étais de retour dans la réalité, rassuré mais encore surpris d'avoir fait un rêve où tout me paraissait pourtant si réel et familier. Mais étais-ce vraiment qu’une illusion?..
Au dehors, le décor avait changé. Le paysage méditerranéen et les Montagnes avaient fait place à des parcelles agricoles qui formaient un étonnant patchwork de formes géométriques et de couleurs. Il faisait aussi plus frais, mais les réveils ne sont t-ils pas toujours frileux ? L’air n’avait plus la même odeur. Mes vacances, la Corse et le petit prince me paraissaient bien loin à présent…
…Loin?
À Antoine de SAINT EXUPERY
Et à Christophe, mon instructeur
Tous les deux disparus trop tôt,
Je vous dédie cette nouvelle et toute mon admiration
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Style : Nouvelle | Par GALLEPE Laurent | Voir tous ses textes | Visite : 561
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