Je regarde défiler le paysage. L'autoroute est fluide. Mes yeux enregistrent les détails du spectacle environnant : des panneaux, des feuilles s'envolent en tourbillonnant parce que le semi-remorque est très chargé, le profil d'un conducteur est appliqué et on le double doucement, sa compagne a posé ses pieds en hauteur au-dessus de la boîte à gants, un des enfants écoute, médusé, l'écho de son baladeur, l'autre ricane en exécutant le personnage fictif d'un jeu vidéo. Vitesse conseillée 130 km/h, pas de bouchon, un arrêt toutes les deux heures pour éviter le coup de fatigue. Puis les yeux balaient ce que la vitesse leur offre. Parfois, on est pris dans une conversation, bilan de la semaine écoulée : prises de décisions, discussions... On chantonne aussi en scandant avec Brassens « ... les imbéciles heureux qui sont nés quelque part... ».
Puis, on ne sait pas pourquoi, un millimètre carré de notre cerveau se met en alerte. Nos yeux ont enregistré une image troublante. Accroché à une branche dénudée, flotte un morceau de plastique.
En soi, plutôt banal. A y regarder de plus près, on trouve cette image sidérante. Un déchet volatile né de la société de consommation s'agite, prisonnier d'une nature qui le subit. Maintenant, il ne faut plus y réfléchir mais s'y arrêter. C'est donc cela l'accoutumance de notre regard ? Une banalisation de deux mondes accrochés l'un à l'autre, accidentellement, et qui décorent notre paysage ? Une branche en plastique sur un arbre ! C'est décourageant, on a envie de siffler la médiocre prestation des acteurs, le scénario écrit trop vite, les répliques peu soignées. On a été abusé par les critiques. Ils ont bien ri de nous. Le spectacle n'arrive même pas à la cheville d'une farce grotesque !
On cligne des yeux. Soit pour effacer, soit pour vérifier qu'on n'est pas en plein cauchemar. Mais non ! C'est bien le déroulement permanent de notre réalité qui défile et on fait partie du film. On n'est pas que spectateur, on est aussi acteur. Le morceau de plastique est accroché là, parce que quelqu'un l'a fabriqué, quelqu'un d'autre s'en est servi, puis l'a jeté dans la nature. La chaîne humaine est responsable de cette vision. A un détail près cependant : l'arbre n'a rien demandé à personne. Il n'y est pour rien.
A ce sujet, l'arbre a-t-il été crée de toutes pièces pour la mise en scène ou était-il là avant ? Il était évidemment là bien avant nous, pourrait témoigner l'agriculteur du champ voisin. Avant il n'y avait pas d'autoroute, pas de voitures dans tous les sens et, bien sûr, personne pour s'ébahir devant les champs et les arbres. C'était normal. La vie quoi ! Pendant que la voiture avance, on a parcouru des sphères de compréhension qui affluent à notre conscience.
On ne sait plus qu'une chose : on ne s'habituera jamais au spectacle d'une branche en plastique dans ce type de décor.
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Style : Pensée | Par ab.joly | Voir tous ses textes | Visite : 982
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Commentaires :
pseudo : folle7
Texte très intéressant. Merci
pseudo : ficelle
toujours aussi percutant, et riche
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