Adieu veaux, vaches, cochons.
Nos villages, notre vie campagnarde proche de la nature, des saisons, du vent et de la pluie, proche aussi des sillons gras marqués dans la terre de nos champs, de la poussière céréalière qui s' envole dans le ciel à la moisson, des vieilles pierres qui composent les murs de nos maisons, de nos jardins accessibles par nos ruelles ombragées. Cette vie là s' éteint, celle de nos pères ou grands-pères qui emmenaient les troupeaux en estive, celle de nos mères ou grands-mères qui cultivaient le potager et cuisinaient la volaille, celle de nos commercants, boulangers, bouchers et épiciers de campagne, celle de nos enfants ou petits-enfants qui grandissaient dans les chants des oiseaux, dans les odeurs des fleurs ou de la ferme, dans les neiges profondes de l' hiver ou au pied des fourneaux, derrière les vitres embuées, et celle de notre patrimoine qui s' écroule à travers ces maisons fissurées, rasées et ses pierres qui tombent des clochers de nos églises qui regardent le bitume s' écouler comme la crasse dans nos rues, nos ruelles.
"Avant", c' est un mot qui aujourd' hui me laisse rêveur et malheureux. L' âme de nos campagnes s' étouffe dans le progrès, se cache dans quelques rares ruelles préservées puis retombe dans l' oubli suite à la diparition d' un arbre sur une place ou à la construction inimaginable d' un lotissement de 300 ou 500 maisons sans âmes ni caractères, tristes à en pleurer, qui vont étouffer les siècles d' un village trois fois plus petit que le parasite qui s' y accroche.
L' image même de nos campagnes disparait, notre patrimoine paysager se meurt dans ces vallées aux habitations cubiques et chétives, que l' on apercoit bien avant l' église qui marque ce que l' on appelle aujourd' hui sur nos panneaux routiers: Le "centre historique". J' ai honte de nous, de voir ces bourgs centenaires relègés au rang de musée pour préférer ces maisons individuelles sans formes, tout ça pour se jeter des pierres entre voisins et saloper notre terre par des terrains engazonnés, flanqués de babioles et balancoires en plastiques fluos pour notre pauvre déscendance. Adieu village de charme, adieu vallée secrête, une larme coule sur ma joue et rend un reflet déformé de vos images de squelette, de corps sans vie, juste les enveloppes en décomposition de ce que vous étiez "avant".
Seule l' imagination permet de faire revivre ces tableaux que l' on voit sur ces photos en noir et blanc, racornies, jaunies, alors j' imagine. Les volets roulants se transforment en persiennes, les pavillons neufs se replient sur eux mêmes comme du papier, maison après maison tout disparait et les les arbres coupés renaissent de la terre, avec eux les chevaux et les troupeaux de vaches ou de brebis. Le bitume fond et se transforme en pavés lissés par les roues des charettes à foin et les fers des chevaux. L' eau des rivières coule sous les ponts en pierre de taille, de grands arbres se dressent sur toutes les places, à leurs pieds s' enroulent des bancs de bois ou de fer forgé qui accueillent jeunes et vieux dans leurs jeux et leurs pensées. Les lettres délavées des enseignes abandonnées renaissent sur les murs et les vitrines poussièreuses resplendissent à nouveau dans les rayons du soleil. Je respire l' odeur du pain dans les ruelles et j' entends le murmure des discussions sur les marchés fleuris.
Mais le réveil est dur, quand on reprend conscience que tout est fini, que cette campagne là ne subsiste que dans les mémoires des personnes agées. Quelle déception ce doit être de voir son monde disparaitre, de voir cet étang ou cette prairie de notre enfance périr étouffé, enterré, coulé sous le béton d' une zone industrielle ou d' une autoroute bruyante et polluante. Au fil des générations on ne s' en souviendra plus de ce qu' on a perdu, toujours plus nombreux pour une vie toujours moins valorisante, de moins en moins de nature autour de nous, de moins en moins d' étoiles dans le ciel, de plus en plus de bruits et de gênes. Plus rien d' authentique, plus rien de beau, rien que du renfermé sur soi-même et du jmenfoutisme... une longue descente dans les enfers de la dépression.
M.A
"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"
Style : Réflexion | Par cymer | Voir tous ses textes | Visite : 321
Coup de cœur : 8 / Technique : 9
Commentaires :
pseudo : Karoloth
C'est notre lot. Rien n'est immuable et même la vie dans les campagnes n'a cessé d'évoluer et de se transformer. Tu fais une descrition juste de la réalité des campagnes d'aujourd'hui. On peut regretter ces changements comme je le fais aussi, Jean Ferrat chantait la désertification des campagnes il y a déjà bien des années(qui connait Ferrat aujourd'hui?), mais rien n'y fera. CDC!!!
pseudo : Blanche Plume
Tiens, tiens... Ce titre là me dit quelque chose... Quand le grands esprits se rencontrent !
Nombre de visites : 13823