Histoire banale comme chacun peut en vivre à tout moment de son existence. Selon le rôle qu'accepte de se donner le lecteur, il peut s'agir d'une histoire d'amour ou encore d'opportunités. Les romantiques y verront se traduire la passion, les réalistes seulement une forme de cynisme. Les mots sont les miens et je me garde de prendre position. Je me dois de rester à ma place réservée de narrateur... neutre. Tout demeure une question d'interprétation. Histoire banale, dis-je, dont l'action peut se situer n'importe où. Si j'ai choisi une grande ville, cela tient à peu de choses et n'a au fond qu'une relative importance. Je suis un citadin et il m'apparaît donc plus facile de déplacer mes personnages dans un décor connu où je me sens à l'aise même si en réalité, je l'utilise très peu. Il leur sera plus commode d'y évoluer avec crédibilité. Je me garderai de prétexter une panne d'imagination comme excuse mais je dois à la vérité d'avouer qu'il m'arrive parfois de me laisser aller à la facilité par... flemme. Histoire banale donc dans laquelle entrent en scène une femme et un homme. Jusque là, j'en conviens, rien de très extraordinaire. Commençons par conséquent à nous intéresser à la Dame. Son nom tout d'abord : il importe si peu que nous l'appellerons simplement Madame. Son âge alors ? Disons que parvenue à un début de maturité, il pourrait se situer en trente et quarante ans. Son physique ? Nous y reviendrons plus tard. Pour l'instant, il apparaît plus important de la cerner au moyen de son passé pour la mettre en situation, comme on dit au théâtre. * * * * * * * * Elle s'imagine femme libérée d'un carcan vieux de dix ans. Pas question de mariage mais d'un amour de jeunesse qui l'étouffe de plus en plus et gâche sa vie. Elle espérait mieux de son compagnon dont la jalousie maladive tisse une toile imperceptible qui lui pourrit l'existence. Ses interrogations incessantes, ses sous-entendus, ses allusions perfides, ses vaines colères détruisent peu à peu tous les liens affectifs. Sans s'en rendre compte, il perd Madame que la situation insupporte. Elle songe depuis quelques temps à se venger en lui donnant raison de douter de sa fidélité en décidant de vivre les aventures qu'il lui prête, en dépravant son corps et son âme au profit du plaisir qu'il ne lui apporte plus. Elle sait devoir ainsi signer sa perte mais n'est-il pas plus essentiel de revivre heureuse quelques instants plutôt que de croupir dans la monotonie d'un quotidien sans intérêt ? En clair, elle cherche l'aventure lui permettant de tromper son compagnon. Elle compte de cette façon mettre un terme à leur union stérile. Faut dire que le caractère de Madame n'est pas fondamentalement basé sur la soumission. Passons maintenant à l'homme qui servira d'exutoire aux desseins de Madame. Nous le baptiserons Monsieur pour simplifier. Il s'agit d'un mec sensiblement plus âgé que Madame, un brin marginal, qui traîne une réputation de noceur et de coureur de jupons. A le voir, il a pourtant l'air plutôt tranquille et discret. Il traverse la vie comme si elle ne le concernait pas vraiment en jetant sur les gens un regard absent quand ce n'est pas ironique. Il se définit lui-même comme un libertaire aux tendances frisant l'anarchie. En apparence, les autres ne l'intéressent que très médiocrement. Lui importe surtout de mener son existence à sa guise sans que nul ne vienne lui barrer la route auquel cas il sait, à l'occasion, se défendre âprement. Apôtre de la paix et du plaisir, il se montre volontiers tolérant mais ces apparentes qualités dissimulent en réalité un extrême égocentrisme. Il n'a qu'une vie à vivre, dit-il, et c'est déjà trop peu pour se permettre de la gaspiller en se dispersant vers les autres. Pour qu'il y ait une histoire, il faut que Madame et Monsieur parviennent à se réunir même si, apparemment, leurs natures respectives diffèrent, moins toutefois qu'il ne semble comme nous le verrons par la suite. En fait, rien jusque là ne permet à Madame et Monsieur de se rencontrer. Rien en vérité ne s'y oppose non plus. Le hasard fait parfois des miracles... Rien de tel pourtant puisque Madame et Monsieur se côtoient depuis des années sans vraiment se connaître. Ils se croisent pourtant souvent dans le cadre strict et sérieux de leur travail, un peu plus occasionnellement dans celui plus convivial de repas informels. Monsieur y convie ses secrétaires dont elle fait partie. Monsieur est donc investi d'une certaine autorité mais plutôt libéral, il a peu d'exigences mais les rares qu'il émette s'avèrent intraitables et incontournables : les tâches assignées doivent être rendues aux dates requises et de façon très soignée. Monsieur est... maniaque mais en dehors de ça, il fiche une paix royale à ses Dames qui se dévouent pour lui donner satisfaction et surtout rester à son service. Cette attitude professionnelle tranche bizarrement avec son dilettantisme naturel mais ce n'est pas le moindre paradoxe de Monsieur. Il reconnaît volontiers être très attaché à ses Dames qu'il protège de son mieux des rigueurs de la hiérarchie. Elles lui en sont reconnaissantes. Madame, de nature plutôt silencieuse, se dévoile peu. Elle sépare sa vie de bureau très nettement de sa vie privée. Elle a érigé entre les deux une frontière si infranchissable que Monsieur n'a jamais éprouvé le besoin de se montrer indiscret. Il comprend d'autant mieux que lui-même reste secret sur ce sujet particulier même si au fil des ans, des indiscrétions ont été commises. Il se fout du tiers comme du quart de la réputation que lui ont forgé les mauvaises langues ou les envieux. Quand d'aventure quelqu'un l'interroge, il répond, énigmatique : - On ne prête qu'aux riches... sans en dire plus. Dans le cercle restreint de son service, Madame a conscience de n'être pas la favorite. Avec elle, Monsieur se comporte avec une parfaite courtoisie mais sans être vraiment distant, il n'a pas envers elle la même attitude qu'envers les autres. Peut-être parce qu'elle est la dernière arrivée... Toutefois, elle ne lui en veut pas car il est équitable même s'il manifeste des marques ostentatoires d'amitié pour la plus ancienne avec laquelle il partage une complicité notoire. Du reste, elle le connaît si bien qu'elle sert souvent d'intermédiaire à tel point que Madame se demande s'il y a entre eux autre chose qu'une simple relation professionnelle. Elle ne le croit pas vraiment. Sa collègue semble trop intègre pour transgresser la morale. Ce trait l'amuse parce qu'elle pense que selon un rituel bien établi, sa copine doit au moins être un peu amoureuse du chef. Madame s'intéresse donc à lui d'un peu plus près. Elle vient plus souvent dans son bureau lui demander des explications qu'il lui fournit sans jamais faire preuve d'impatience. Souvent en mission à l'extérieur, il fait confiance à ses Dames sur les épaules desquelles repose la bonne marche de son service. Il est conscient de leur demander souvent beaucoup mais elles ne le trahissent pas. Madame, imprégnée de cette atmosphère, se sent à la fois bien dans sa peau, dans le groupe et auprès de lui dont il émane une sérénité apaisante qui la trouble. Elle aime le voir parler. Il utilise beaucoup ses mains pour ponctuer ses phrases et elles la fascinent. Madame est bien incapable de dire pourquoi. Maintenant que le décor est planté, les personnages définis, les conditions de la rencontre déterminées, les situations précisées, l'histoire proprement dite peut commencer. * * * * *** Un proverbe décrète : "L'occasion fait le larron." Juste remarque que Madame ou Monsieur, allez savoir pourquoi, appliquent au pied de la lettre. Progressivement, presque insidieusement, Monsieur intéresse Madame. Elle ne sait pas encore très bien si c'est pour réaliser son projet de rompre la chaîne qui la lie à son compagnon ou bien si c'est un sentiment plus profond qui naît confusément de leur promiscuité et bouscule ses habitudes. Monsieur pourtant ne ressemble en rien au type d'homme qu'elle convoite, généralement des sportifs peu embarrassés par les choses de l'esprit. De taille moyenne, les cheveux trop longs, la barbe épaisse et des lunettes rondes à verres fumés lui donnent une apparence de baba-cool que du reste il revendique. Peu orthodoxe sur le plan vestimentaire, il s'habille de noir et troque les chemises classiques contre des chemises à col Mao afin d'éviter le port de la cravate. Cette vêture qu'il porte avec aisance sinon une certaine élégance recherchée, le fait davantage ressembler à un artiste qu'à un cadre administratif mais son entourage a fini par s'habituer à son excentricité et n'y prête plus guère attention. Il passe d'autre part pour un intellectuel engagé, autant dire quelqu'un à la conversation plutôt... chiante mais ça ne transparaît pas vraiment lorsqu'il discute. Monsieur finit tout de même par être intrigué par le manège de Madame. Il ne l'interroge pas sur les raisons de sa présence de plus en plus fréquente dans son bureau mais s'en inquiète auprès de son amie qui ne peut rien lui apprendre. De fait, Madame se propose pour classer ses dossiers, pour l'aider à ceci ou cela, pour tout et rien ce qui ne manque pas d'attirer l'attention de Monsieur qui la regarde un peu plus attentivement. Tout bien considéré, elle n'est après tout pas si mal. Ni trop grande ni trop petite, elle est à son goût un peu trop mince, presque maigre. Elle aussi vêtue de noir, elle se glisse dans des vêtements très moulants mettant en valeur sa fine poitrine ainsi qu'un mignon derrière bien musclé. Minijupes ou collants près du corps révèlent ou suggèrent plus qu'ils ne cachent vraiment l'intimité de son anatomie. Monsieur reconnaît en son for intérieur que Madame est, ma foi, appétissante d'autant qu'elle donne à ses gestes les plus banals une grâce féline qui attire immanquablement le regard sur ce qu'elle désire montrer. Malheureusement, elle ne possède pas un visage en harmonie avec son corps. Il est assez ordinaire mais elle sait donner à ses yeux cette pétulance parfois moqueuse, parfois provocatrice qui sans la doter d'un véritable charme, permet d'affirmer qu'elle a du chien. Monsieur se dit qu'au fond, elle est... baisable puisqu'elle éveille en lui des désirs lubriques qui le dérangent un tantinet durant son travail. La connaissant peu, il ignore à peu près tout de ce qu'elle a dans la tête mais ça lui est égal. Il arrête sa réflexion à ce constat bêtement masculin sans éprouver le besoin d'aller plus loin car il n'estime pas souhaitable de mélanger le boulot avec des affaires de cul. De plus, Madame n'incarne pas vraiment son idéal féminin si tant est qu'il en ait vraiment un. Elle a dans l'ensemble, une apparence quelque peu vulgaire qui, si elle l'intrigue, ne l'attire pas spécialement. Il oublie donc les efforts déployés par Madame pour se faire remarquer et retourne à ses occupations. Je pourrai arrêter là mon histoire mais finissant en eau de boudin, elle n'aurait aucun intérêt. Il faut par conséquent qu'elle se poursuive au-delà de la rencontre. C'est la raison pour laquelle j'introduis le malin génie. Qui et-il ? Vous pouvez l'appeler comme vous voulez : le hasard, la bonne étoile, la chance, le sort bon ou mauvais... Je vous laisse le choix mais le malin génie veille et il s'évertue à réunir les contraires. Pour ma part, je le qualifierai d'opportunité. Opportunité pour Madame de mettre fin à son calvaire affectif. Opportunité pour Monsieur qui... mais n'anticipons pas. Un jour pareil à d'ordinaire où Madame vaque à ses occupations dans le bureau de Monsieur, ce dernier absent depuis quelques jours, surgit. Il lui lance un bref bonjour et se saisit du téléphone puis converse longtemps. Madame s'installe dans le fauteuil en face de lui et l'observe. Sa conversation achevée, il lui demande, agacé : - C'est tout ce que tu as à faire ? Elle pâlit, se lève brusquement et quitte la pièce sans mot dire. Monsieur s'en veut de sa soudaine colère mais des problèmes de dernière minute l'ont mis de mauvaise humeur. Il oublie l'incident jusqu'à ce que quelques coups frappés à sa porte le ramènent à la réalité. Son amie entre, l'embrasse comme d'habitude et entreprend de lui expliquer qu'il a choqué Madame qui ne s'attendait pas d'une part à ce qu'il revint et qui a d'autre part quelque chose à lui demander. Pour toute réponse, il grommelle : - Faudra bien qu'elle s'habitue ! Dis-lui de venir ! Madame entre. Elle n'a pas l'attitude soumise à laquelle Monsieur aurait pu s'attendre. Elle s'assied sans y être invitée et pose une première question : - Tu rentres chez toi, ce soir ? - Oui, pourquoi ? - Directement ? - Je pense. Je n'ai pas de rendez-vous en ville. - A quelle heure tu pars ? - Je n'en sais rien. Pourquoi ? - Ma voiture est en panne et si tu ne partais pas trop tard, tu pourrais peut-être me prendre et me laisser chez moi ? - D'accord, pas de problème ! Vers cinq heures ça t'irait ? - Tout à fait, merci ! - Pas de quoi et il replonge dans ses affaires sans plus lui accorder d'attention. A l'heure dite, Madame se présente à la porte du bureau. - On y va, demande-t-elle. Et les voilà partis comme de vieux copains. Durant le trajet, ils parlent peu. Elle n'ose pas le déranger. Il semble soucieux puis elle ne sait trop que lui dire. Ils échangent quelques banalités du style : - Tu m'indiqueras où tu habites. Préviens-moi lorsque j'approcherai de chez toi... Elle acquiesce, sans donner d'autre précision qu'une vague direction générale jusqu'au moment où parvenus devant l'immeuble où elle loge, il stoppe la voiture. Elle l'invite : - Tu veux monter boire quelque chose ? - Ce serait avec plaisir mais je n'ai pas beaucoup de temps. Une autre fois. Merci quand même ! Avant qu'elle ne sorte, il pose sa main sur son bras pour la retenir quelques instants et lui demande : - Demain matin, comment vas-tu faire ? - Ne t'inquiète pas, je m'arrangerai mais demain soir peut-être, si tu es là et que tu n'as rien prévu... - Demain soir ? Je pense qu'il n'y aura pas de problème sinon je te le dirai. Allez, salut ! Avant de s'extraire de la voiture, elle lui tend brusquement ses lèvres. Il l'embrasse machinalement, presque sans s'en rendre compte. Il ne réalise qu'après. Il ne s'en étonne pas outre mesure, se demandant seulement fugitivement quelle lubie a piqué Madame qu'il n'a pas habituée à ce genre de familiarité. Il ne cherche pas d'autre explication que celle de le remercier à sa façon pour le service rendu. Il ne songe absolument pas à une éventuelle aventure avec Madame même si… En montant les escaliers menant à son appartement, Madame se trouve... audacieuse mais tout de même un peu frustrée que Monsieur ait réagi aussi automatiquement sinon presque froidement. Il lui a rendu son baiser sans l'appuyer et de manière si désinvolte qu'elle se demande s'il s'est seulement aperçu de ce qu'il faisait. Elle pense qu'il a dû être surpris, voire offusqué mais rien de tout ça. Il n'a posé aucune question et a agi comme s'il était dans ses habitudes d'embrasser des inconnues. Elle ne comprend pas davantage pourquoi elle a fait preuve d'autant de spontanéité. Elle se montre généralement plus réservée mais peut-être a-t-elle perdu la tête, croit-elle. Un bref instant a suffi mais elle ne le regrette pas. Elle est même plutôt satisfaite. Elle pense avoir trouvé le talon d'Achille de Monsieur. Jusqu'alors, elle n'a pas réellement songé à le séduire mais au fond, pourquoi pas ? Monsieur ne lui déplaît pas et ce sentiment confus qui la titille l'agace suffisamment pour essayer de savoir à quoi il correspond. Sans pouvoir l'expliquer, elle a envie qu'il pose ses mains sur elle, la caresse peut-être. Elle voudrait que ces mains qu'elle admire, la touchent, la fassent vibrer, la transportent. Elle obéit soudain à un désir fantasque et irraisonné. Elle veut Monsieur dans son lit ! Madame et Monsieur se retrouvent le lendemain comme ils se sont quittés la veille. Elle lui tend sa bouche et il l'embrasse tout aussi machinalement que la veille. Elle en conçoit un léger dépit d'autant que l'observant mieux, elle se rend compte qu'il a aussi ce genre de baiser affectueux avec d'autres collègues mais bizarrement, pas avec son amie qu'il bise sur les joues ou sur le front. Cela signifierait-il qu'il aurait eu des aventures avec toutes celles qu'il honore de la sorte ? Madame se pose la question qui éveille la corde sensible d'une certaine jalousie. Peut-être bien que sa réputation a quelques fondements... Tant pis, se dit-elle, trop tard pour reculer. Elle a rêvé une bonne partie de la nuit aux mains de Monsieur investissant son corps et elle en a joui avant même qu'il ne la touche. Monsieur, reclus dans son bureau, ne pense à rien d'autre qu'au labeur. Madame vient pourtant le distraire quelques instants pour lui soumettre la matrice d'un rapport dont il lui a confié la frappe. Il la félicite de son excellent travail et, changeant de sujet, veut savoir pour le soir. - Le garagiste ne l'a toujours pas réparée. Si tu peux me ramener sans que ça te dérange, je veux bien. - J'ai un peu plus de temps qu'hier donc d'accord. Même heure ? Un plan commençait à germer dans l'esprit de Madame. - Un peu plus tôt, tu pourrais ? - Quand tu voudras ! Tu sais où me trouver. Vers quatre heures de l'après-midi, elle lui téléphone pour savoir s'il peut se libérer d'ici une demi-heure. - Passe me prendre, je serai prêt. Le même scénario se renouvelle mais Monsieur se montre un peu plus attentif. Madame s'est mise en frais. Elle porte un corsage relativement serré sous lequel elle a probablement omis volontairement de mettre un soutien-gorge. Largement décolleté, il permet à l'œil curieux d'admirer les douces courbes des seins graciles. Pour le bas, elle a enfilé une jupette pas plus grande qu'un mouchoir de poche, une sorte de kilt qui s'ouvre largement lorsqu'elle croise les jambes pour laisser deviner une culotte de dentelles noires. Le tableau ravit Monsieur sans l'émouvoir. - De deux choses l'une, pense-t-il, ou bien elle n'a aucune pudeur ou bien elle se fout de moi et m'attise mais dans quel but ? Dans une telle tenue, elle comprend bien ne pas pouvoir me laisser indifférent mais qu'elle ne s'imagine pas que je vais lui sauter dessus. On est pas des bêtes, que diable ! Cette réflexion le fait sourire. La situation l'amuse. Il suppute ce qui pourrait se passer ensuite s'il monte prendre ce verre qu'elle lui propose. C'est décidé, il montera, boira ce verre puis... qui vivra verra. A son regard, Madame comprend que ce soir, il va accepter l'invitation. Comment va-t-elle procéder ? Il ne l'encourage pas vraiment à poursuivre son offensive de charme. Elle a beau multiplier discrètement les effets, il reste stoïque. Ce type la déroute. D'autres que lui auraient depuis longtemps profité des feux rouges pour glisser une main curieuse ici ou là mais lui, rien ! Elle ne peut même pas jouer la comédie de la femme offusquée qui finit par céder plus pour faire plaisir que par réel désir. C'est lui qui se joue d'elle. Il n'est ni timide ni insensible, elle le sent d'instinct mais il attend que ce soit elle qui se manifeste. Par perversité, il inverse les rôles, respectant en cela l'ordre des choses car c'est en effet Madame qui le convoite. Elle se propose. Va-t-il en disposer ? Arrivé devant chez Madame, il gare sa voiture et aperçoit la sienne. Elle n'est donc pas en panne comme elle l'a prétendu. Ce subterfuge le l'agace et l'amuse à la fois mais il garde sa remarque pour lui. Il fait celui qui ne voit rien et comme convenu, la suit dans l'ascenseur. Il pénètre dans son appartement sans appréhension puis s'installe confortablement dans le fauteuil qu'elle lui propose. Sans un mot, elle lui tend un verre puis s'assied près de lui, sur l'accoudoir. La jupe glisse. Elle ne fait rien pour la remettre en place. Monsieur voit plus distinctement les dessous coquins qu'elle prend apparemment plaisir à dévoiler. Il déguste son whisky en silence tout en attendant un événement prévisible qu'il pressent. Madame ne sait plus trop quoi faire ni comment s'y prendre pour le faire réagir. Monsieur, très calme, maître de lui, joue à celui qui ne voit rien ou ne comprend pas. Une nouvelle fois, l'histoire pourrait s'arrêter ici. Vous en concluriez certainement que malgré les efforts déployés, Madame n'intéresse pas Monsieur. Ce n'est pas tout à fait faux mais pas non plus complètement exact. Madame met malgré tout Monsieur en appétit même s'il tergiverse un peu quant au passage à l'acte. En réalité, il goûte l'ambiguïté de cette situation qui met Madame dans l'embarras. Il achève son verre et pose gentiment sa main sur la cuisse de Madame qui frémit d'aise. Il le ressent à un imperceptible tremblement qui l'agite brièvement. Elle a la chair de poule, chavire un peu mais se retient de se laisser aller complètement. Elle ne résiste pas longtemps au vertige. Monsieur dépose délicatement son verre par terre et entreprend de satisfaire la gourmandise de Madame qui le dévore autant des yeux que de la bouche. Ses mains s'activent sous le corsage inutile. Ses doigts partent à la rencontre des seins aperçus pour juger de leur délicatesse. Il les soupèse, en dessine le contour, les enfouit dans ses paumes, les réveille et obéissants, ils se dressent, aussi fiers que possible pour compenser leur modeste taille. Madame râle un peu, un ronronnement discret venu du fond de la gorge. Ces mains qu'elle désire tant sentir pétrir son corps, entreprennent un autre chemin vers d'autres replis plus secrets. La position dans laquelle elle se trouve ne lui permet pas de s'ouvrir aussi largement qu'elle le souhaiterait mais il est déjà presque trop tard pour rejoindre la chambre. Le désir la submerge et les mains adorées l'affolent. Elle les sent aller et venir sur le tissu du mince rempart de sa culotte de soie. Elles ne cherchent pas pour l'instant à se glisser dessous. Elles se contentent d'appuyer ici et là, se servant du. fin tissu pour exciter ses chairs enflammées. Elle ne peut pas longtemps se retenir et jouit dans une pâmoison l'amenant au bord de l'évanouissement. Elle perçoit alors plus nettement sous ses fesses le membre en érection de Monsieur. Cette sensation a quelque chose de vertigineux. Elle a mal au ventre du besoin de se sentir pénétrée et d'ensevelir ce sexe pour parfaire ce diabolique plaisir dont les mains lui ont offert un avant-goût. Elle se lève péniblement et entraîne Monsieur dans la chambre. Là, elle se dévêt, à l'exception de la petite culotte qu'elle conserve. Monsieur découvre un corps harmonieux même s'il le juge sur l'instant un brin maigrelet. Elle a la peau également dorée partout, d'un velouté exquis, surtout entre les cuisses. La couleur mauve tendre des mamelons et des aréoles le surprend mais la poitrine, même chétive, est charmante. Le corps de Madame manque encore certainement d'un peu de maturité mais dans sa grâce presque juvénile, il la fait ressembler à une adolescente juste pubère. Ce n'est qu'une apparence trompeuse. Il l'apprendra plus tard à ses dépens et pour son plus grand plaisir. Du reste, maintenant qu'il a commencé, il lui faut aller jusqu'au bout. Il ne juge plus nécessaire de se faire prier et entreprend de donner à Madame ce qu'elle attend. * * * * * * * Elle en fut apparemment satisfaite car elle voulut répéter l'expérience plusieurs fois et Monsieur se prêta volontiers à ces joutes amoureuses. Ils se retrouvaient parfois chez elle, rarement chez lui, le plus souvent dans des hôtels où elle venait le rejoindre lorsqu'il était en déplacement. Monsieur découvrit ainsi en Madame une amoureuse d'une qualité et d'un savoir insoupçonnés, à la fois expérimentée et curieuse. Elle fut une partenaire idéale qui se plia avec enthousiasme à ses fantasmes mais sut aussi prendre des initiatives et innover. Cavalière émérite, elle le chevaucha de toute sa fougue. Jamais rassasiée, elle n'en finissait jamais de ranimer le désir assoupi. Elle se nourrissait du suc de l'homme, frétillait sous ses caresses intimes, s'empalait avec extase sur le sexe hampe qu'elle engloutissait parfois d'une bouche gourmande. Son sexe à elle ressemblait à une source au goût particulier, presque sucré, qui distillait une liqueur musquée à laquelle Monsieur s'abreuvait à satiété. Elle en produisait à profusion, presque trop. Monsieur ne se lassait pas d'admirer les chairs intimes de Madame. Elles se coloraient du même mauve étonnant que les seins. Elles en possédaient la même douceur câline et gonflaient démesurément au moindre attouchement. Du véritable velours tranché sur soie dont le palais s'ouvrait alors en grand pour accueillir le rituel couteau du sacrifice mais Monsieur le trouvait généralement trop humide pour attiser vraiment son orgasme. C'était le seul reproche qu'il formulait parfois. Madame ne parvenait pas à se maîtriser et s'abandonnait souvent trop vite même si elle avait de l'endurance et était capable de jouir aussi longtemps que l'on s'occupait d'elle. Il préférait donc à ce riche palais la niche plus étroite mais tout aussi voluptueuse de l'envers. Madame adorait cet outrage et serrait ses petites fesses musclées aussi fort que possible pour retenir ce membre qui lui déchirait les entrailles. Son ventre durcissait. Elle ouvrait et refermait spasmodiquement ses jambes comme si elle cherchait à respirer par cette autre bouche liquoreuse dans laquelle des doigts curieux jouaient à la découverte de l'intime conviction que l'amour se pratique sans interdit. Madame en était la prêtresse généreuse en même temps que la consentante victime expiatoire. Elle incarnait l'autel sur lequel Monsieur se sacrifiait aux rites d'un paganisme sensuel. Madame criait son plaisir. Monsieur restait silencieux mais appréciait. Ces joutes durèrent quelques mois à peine durant lesquels chacun découvrit l'autre jusque dans les moindres détails. Ils se parlaient peu. Ils s'aimaient... beaucoup. Ils épuisèrent rapidement toutes leurs ressources puis Monsieur s'en fut vers d'autres aventures malgré les supplications de Madame. Il la retrouva quelquefois mais leur passion ne fut plus jamais aussi intense ni leur plaisir aussi divin que la première fois. Ils s'étaient mutuellement beaucoup appris et n'avaient plus rien à s'enseigner. Madame continua à le servir fidèlement puis demanda son changement de service sans que nul ne comprit pourquoi. Monsieur savait, bien entendu, mais quand on l'interrogea, il fit l'ignorant. Cette décision qu'il n'aurait pas prise, le soulagea. La présence de Madame ne le gênait pas mais la sienne la dérangeait. Il apprit fortuitement que Madame avait quitté son compagnon peu après la fin de leur brève mais intense liaison. Il la croisait souvent et la revoyait avec plaisir. Il constata que l'âge avait donné à son corps cette maturité qui lui avait manqué et le charme avait remplacé l'attitude provocatrice. Elle était presque belle maintenant et il se prenait à regretter... Des souvenirs remontaient à la surface de la mémoire mais ils appartenaient à leur passé commun qu'ils gardèrent secret. * * * * * * * Ainsi se termine cette histoire banale et ne venez pas me dire, Madame ou Monsieur, qu'il vous serait impossible de vivre pareille aventure en vous laissant dominer par vos pulsions. Je ne vous croirai pas. Cherchez bien dans votre mémoire, des occasions ont bien dû se produire. Si vous les avez saisies, bravo ! Je n'ai rien à vous dire. Si vous avez fermé les yeux comme si vous n'aviez rien vu et vous en êtes retourné, je vous plains. Vous ne serez jamais heureux et votre vieillesse se flétrira dans les regrets des occasions perdues et les "si j'avais su...". En pareil cas, sachez qu'il est toujours trop tard pour revenir en arrière. Vous connaissez le proverbe : "Le temps perdu ne se rattrape jamais" Méditez-le ! Les opportunités d'apprendre et d'aimer ne sont jamais si nombreuses qu'il vaille de les laisser s'échapper… Nouvelle tirée du recueil DU BLUES A L'ÂME
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Style : Nouvelle | Par MARQUES Gilbert | Voir tous ses textes | Visite : 509
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Commentaires :
pseudo : Iloa
Et bien bravo...Je suis touchée au coeur par ta nouvelle.Je suis quelque peu...très...tourneboulée! MERCI...
pseudo : BAMBE
Ouaaaah, quel style! Un superbe texte irradiant de vie et de plaisir. Merci et Coup de Coeur!
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