L’huissier aux crevettes
Il y a de ça pas mal d’années, j’avais quitté ma ville natale pour Paris afin d’essayer d’y exercer mon métier de comédien, j’avais pris un appartement avec un ami.
Lors de l’état des lieux d’entrée, l’agent immobilier (c’est sûrement comme ça qu’il se faisait appeler pour ne pas éveiller les soupçons) nous précisa que la salle de bain était une option payante de l’appartement. Une telle information aurait dû nous mettre la puce à l’oreille, mais nous n’aimions ni les puces, ni les oreilles.
Jeunes, sales et fauchés, l’accès à une salle d’eau nous paraissait important, ne serait-ce que pour nous voir dans un miroir et nous rappeler, tous les matins, à quel point nous étions laids (surtout lui).
Mon colocataire ne supportant plus la pollution et le prix des bières à la capitale décida de plier bagages.
Décision fut prise de rendre l’appartement, c’était un deux pièces trop cher pour moi, j’allais devoir déménager et me louer une cage à poule bon marché et si je n’en trouvais pas, aller dormir dans le cimetière municipal.
L’avantage du cimetière, c’est le calme solennel de l’endroit, l’inconvénient étant que les soirs de pleine lune ,vous avez une chance de vous faire bouffer les miches par les garous, les squelettes et autres zombies sortis de terre pour se taper une fringale.
Le jour du départ, l’agent-escroc ne fit aucun commentaire et se contenta de me taper dans le dos, m’expliquant qu’il n’avait jamais vu un logement aussi bien rangé et rendu dans un si bon état.
Nous signâmes les papiers, nous serrâmes la main tout sourire, et il promit de me rendre ma caution de deux mille euros dans les plus bref délais.
Puis il disparut sur son scooter tel le cow-boy solitaire rentrant...rentrant nulle part, puisque le cow-boy solitaire n’a pas de foyer, ce qui lui évite de prendre des raclées par sa bonne femme les soirs de chaudes beuveries.
Comme prévu, quelques mois après j’avais retrouvé un appartement minable, une nana miteuse et un travail de serveur, dans un bar à « hôtesses », mais aucune nouvelle de mon ami à scooter et de mes deux mille euros.
Un coup de téléphone s’imposait afin de savoir ce qu’il advint de mon fric.
- Arnaque immo’ bonjour. (ndlr : Le nom a été volontairement changé, mais l’esprit est là)
- Bonjour c’est monsieur Matonnier à l’appareil, comment allez-vous ?
- Bien et vous ?
- Pas mal, j’ai trouvé un appartement minable, une nana miteuse et un...
- Quelle est la nature de votre appel monsieur Magouiller ?
- Matonnier...voilà, il y a quelques mois nous avons fait un état des lieux de sortie pour un appartement que je vous louais.
- C’est très bien, c’est même obligatoire.
- J’entends bien, mais vous ne m’avez toujours pas rendu ma caution de deux mille euros, je me disais qu’il devait s’agir d’un léger oubli de votre part et...Allo ? Allo ?
- Bonjour, c’est encore monsieur Matonnier, nous avons dû être coupé et...Allô ? Allô ?
- Oui, c’est encore...
Après ce troisième raccrochage au pif, je compris qu’il ne voulait pas me parler et que mes deux mille euros avaient sûrement du être engloutis à une table de craps.
Un ami avocat me conseilla d’aller voir un huissier.
Je suivis donc son conseil, et d’un pas franc, je me rendis chez un huissier.
La secrétaire me fit attendre et après une heure passée à lire des revues Chinoises des années 80, je fus amené dans le bureau de maître Choueng.
Maître Choueng devait peser dans les cent kilos, sa tête avait la forme d’une banane avariée et son nez la circonférence d’un melon nain.
- Monsieur Matonnier, j’ai lu votre dossier, c’est gagné pour vous !
- Tant mieux, comme quoi il y a une justice...
- Par contre, je ne sais pas quand vous récupérerez votre argent ? Vous voulez un beignet de crevettes ?
Son bureau empestait la bouffe Chinoise.
- Pardon ?
- Voulez-vous un beignet de crevettes ?
- Non, je vous parle de mon fric !
- Je disais que la loi nous autorise à le prendre, mais eux ne sont pas obligés de le donner.
- C’est quoi ce merdier !?
- C’est très compliqué monsieur, c’est une procédure qui demande une grande connaissance du droit immobilier, civil et pénal (et visiblement il y connaissait fifre). Vous êtes sûr que vous ne voulez pas un beignet de crevettes, ils sont excellents.
- Gardez votre bouffe à foutre la dysenterie, et dîtes- moi plutôt comment vous comptez vous y prendre pour récupérer mon cash Choueng !
- Calmez-vous monsieur Marronnier, j’ai un plan.
- Ah oui ?
- Mais je ne peux pas vous le révéler, ça risquerait de le compromettre. Je vous recontacte aussitôt l’affaire réglée et votre argent entre de bonnes mains (qui n’étaient sûrement pas les siennes). Autant vous dire que je ne dormirai pas tant que votre dû ne vous sera pas entièrement restitué. Ma secrétaire va vous reconduire et vous donner un sachet de beignets pour la route.
L’affaire ne se présentait pas pour le mieux...
Après plusieurs mois d’attente et toujours aucune nouvelle, j’appris que maître Choueng était parti pour la Manchourie où il contrôlait la production de son usine de beignets.
Je suis donc allé tout seul au tribunal déposer une plainte pour escroquerie et après plusieurs mois d’attente et deux ulcères, je fus convoqué pour le jugement.
Le juge trancha en ma faveur. Avec le papier de saisie en poche, il ne me restait plus qu’à contacter un huissier pour récupérer mon cash au plus vite.
N’ayant aucune nouvelle de « maître crevettes » (il avait dû s’étouffer avec ses beignets ou tomber dans une embuscade de rebelles Manchou), je mis un autre huissier sur le coup qui, bien des péripéties plus tard, récupéra enfin mon argent.
Les jours s’écoulaient paisiblement, cette affaire n’était plus qu’un vilain souvenir, quand je reçu un étrange courrier.
« Monsieur Magouiller, je vous avais dit que vous récupéreriez votre dû, merci de régler le montant des honoraires de notre entretien. Facture ci-jointe, Maître Choueng. ».
La première image qui m’apparut fut celle de mes mains serrées fort, fort, fort, autour du cou de maître Choueng. Mais étant un pacifiste convaincu (comprendre un lâche), je pris ma plus belle plume pour expliquer à ce maître de la pâtisserie asiatique qu’il ne verrait pas le moindre kopeck de ma part et que s’il voulait récupérer ses honoraires il pouvait toujours passer à mon appartement où ma vieille carabine et moi l’attendions de pied ferme.
Plus de nouvelles...
Un soir de fermeture j’expliquais mon aventure au patron du boxon dans lequel je bossais.
« La prochaine fois, tu vas direct à l’agence avec une batte, tu exploses sa bagnole et sa face de connard, tu verras il va payer ! Avec les voyous il faut se comporter comme un voyou ! ».
Au fond je pense que mon vieux margoulin de patron était une sorte de sage et s’il ne s’était pas fait coffrer pour contrebande peu après, peut-être serais-je devenu un de ses disciples ?
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Style : Nouvelle | Par ponsh | Voir tous ses textes | Visite : 395
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Commentaires :
pseudo : bleu indigo
...à quel point nous étions laids (surtout lui)... ha ha ha ha ponsh...j'aime vraiment ton humour. Etre pacifiste ne veut pas dire être lâche, bien au contraire.... A part ça je dois t'avouer avoir un penchant pour la "bouffe" chinoise bien que je comprenne tes envies meurtrières concernant ce cher M. Choueng :-) Ton texte est très bien écrit, j'aime ton style. (merci pour ton commentaire )
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