Jeune, du moins je le voulais encore.

Belle, du moins elle le voulait encore.

Elle dansait sur la place publique.

Devant tous les yeux.

Sa danse m'envoutait. J'ai cru qu'elle dansait pour moi. Et j'ai cru qu'elle chantait sa souffrance pour me séduire. Elle chantait de sa voix rauque. Et sa voix me remuait les trippes. Si tu savais, mon petit comme l'on est heureux lorsque l'on rêve. Je rêvai. Dans mon rêve, je la voyais étrangère et ma soeur.

Mon amante aussi.

J'y ai cru.

Ils étaient tous à baver devant l'agilité de ses pieds. Ses cuisses par éclair se montraient à loisir. Ses seins bondissaient. Et si pour bondir ainsi, ils ne s'exhibaient pas pour moi, mais pour un autre! J'en souffrai. Je souffrai voir onduler la taille qui me rendait fou de désir. Quand elle se baissait, ses jolies fesses s'offraient. Je souffrai comme un damné. Dans mes cauchemards, je voyais les mains des autres la culbuter comme une bête.

La peur de m'attacher m'a fait m'enfuir.

Allais-je la perdre?

Jaloux! Jaloux même de moi même. M'approchant d'elle j'enviai le sort impossible. A qui tendrait-elle la main? Elle se taisait, elle regardait le jaloux avancer la main, ne pas oser saisir sa main. Elle souriait bienveillante. Et je croyais qu'elle souriait à un autre, derrière moi. Je souriais une grimace.

La peur de m'attacher m'a fait m'enfuir.

C'est ainsi que je l'ai perdue, mon petit.

Souvent mes yeux pleurent malgré moi. Tu es grand maintenant. Tu peux comprendre qu'un homme pleure, n'est-ce pas? Sais-tu pourquoi je pleure? Je pleure parce que je la sens penchée sur le pont d'un autre canal, elle danse désormais dans les reflets de l'eau dormante, en pleurant.

Parce que c'est pour moi seul qu'elle dansait.

Je ne l'avais que trop compris

La peur de m'attacher m'a fait m'enfuir.

Je l'ai perdue.