Je retenais mon souffle avant que les portes de l'ascenseur ne s'ouvrent.Ils étaient là,en rond,dans leurs fauteuils aux couleurs passées depuis longtemps.Ils attendaient leur repas,servi froid le plus souvent,mais quelle importance,ils ne se plaignaient pas.J'avançais en sentant des regards sur moi.Certains disaient "bonjour",d'autres criaient "au secours",dans un silence lugubre.Un amas de corps aux odeurs imprécises.J'avançais vers mon père qui n'avait pas encore commencé à manger cette infâme mixture,sensée le rassasier.Bien sûr,j'allais réchauffer le tout en tentant de lui faire accepter cette bouffe pittoyable.Il avait oublié à quoi sert une fourchette.La connexion se faisait en douceur,parfois il savait qui j'étais et montrait dans ses yeux bleu-marine une vague reconnaissance.Je n'en attendais pas tant.Il n'avait plus faim depuis longtemps.Il était déjà loin.Je lui parlais de tout,de rien,de la pluie,du beau temps.Je tentais parfois de stimuler sa mémoire par des souvenirs qui n'appartenaient plus à personne.J'écoutais par hasard les cris de quelques femmes,qui refusaient elles aussi de manger.Un homme à moitié dévêtu tombait de tout son long sans qu'aucune infirmière ne daigne sortir d'une cachette dont elles ont le secret surtout aux heures des repas.Je relevais le pauvre homme et tentais de le rasseoir,mais deux minutes plus tard il tentait à nouveau de se lever.J'appelais avec rage le personnel soignant,qui,sans se presser mit l'homme sur un fauteuil et l'emporta au loin,dans une chambre,comme pour le cacher.Pas un mot,pas un geste,rien n'était important dans ce sinistre lieu.Mon père avait aussi oublié à quoi sert une petite cuillère,je l'aidais à avaler un yaourt aux fruits.Une femme berçait doucement une peluche sale et parlait à une amie invisible.Tout était mélangé,sans ordre,sans humanité.Les malades relevant de psychiatrie,les impotants,les demeurés,les Alzheimer,les sans abris,les alcooliques trop vieux pour aller ailleurs,les indigents.Un troupeau en rond ,de corps fatigués,de chairs flasques et mal lavées.Je les regardais tous un par un,car mon père ,qu'on avait placé là,parce-qu'il "était dangereux pour lui-même et pour les autres",je cite,ne parlait déjà plus,il avait compris au fond de son cerveau atteint de cette sénilité,qu'on nommait Alzheimer,qu'il ne serait plus jamais lui.Je les observais tous,et avais conscience qu'ils n'étaient que la projection de ce que nous risquons tous de devenir un jour.
Mon père est mort d'une jaunisse,oui d'une jaunisse,et non pas de la maladie qui le rongeait,à savoir la maladie d'Alzheimer.En effet,il a été battu par son voisin de chambre qui relevait de la psychiatrie,et qui,en crise de violence aggravée par le manque d'alcool,l'a battu avec une violence inouie,pendant la nuit.Le personnel n'a pas été en mesure de l'empêcher,parait-il assez rapidement.J'ai retrouvé mon père,couvert d'hématomes,recroquevillé sur lui-même,et ayant tous les symptômes d'une jaunisse post-traumatique due à un grand choc émotionnel!Il va de soi qu'aucun médecin n'a pris le risque de me confirmer un tel diagnostic!On m'a juste dit que sa maladie l'avait subitement affaibli,et que,le voisin de chambre avait été transféré.Mon père a été mis sous morphine et ne s'est plus jamais réveillé.
Il y a encore en France beaucoup d'endroits dans lesquels on traite les vieux comme de la merde,n'ayons pas peur des mots,mon père a été placé là,sans mon accord,dans ce qu'ils nomment "long séjour",et qui,en fait,est le séjour le plus court que font les personnes âgées atteintes de pathologies qu'ils sont incapable de gérer!
J'espère que notre cher Président tiendra ses promesses,afin qu'à l'avenir il y ait une place pour eux,(car la liste d'attente des rares établissements spécialisés est saturée de demandes),dans des services adaptés,et surtout avec du personnel compétant,pas au rabais!!
Tout ceci est la stricte et désolante vérité ,vous avez dit pays civilisé?
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Commentaires :
pseudo : Iloa
Je sais tout ça...Je le vois tous les jours. J'ai des cris dans la tête à la lecture de ton texte. Les personnes atteintes de cette maladie vivent dans la peur permanente car ils ne comprennent plus rien à rien. Je sais qu'ils n'oublient jamais eux, qu'ils sont des êtres humains et c'est là leur malheur...
pseudo : Karoloth
C'est terrible, on serre sur le personnel, on serre sur les crédits, partout les gens qui travaillent sont débordés. Dans ces mouroirs comme ailleurs.
pseudo : Bonnie
En l'occurence le personnel de cet établissement était en nombre suffisant,mais incompétant à souhait,à croire qu'ils avaient regroupé là les plus mauvais,pendant le déjeuner,il ne restait qu'une seule stagiaire de 17 ans,les autres étaient dehors pour fumer une clope!!!
pseudo : nage
Que dire,la lecture de ton texte ma tériblement toucher.c'est dure de voir les pèrsonnes qui nous sont chère dans les mains de personne incompétante. Et devoire vivre avec cette rage que personne ne se mouille à donner le vrais verdict du décer.Pour un pays civiliseré il reste tant de chose à faire et jamais assez d'argent. biz amical
pseudo : abyssale
Diantre, je suis sous le choc. Je savais que dans ce genre de lieux le personel était souvent négligant et parfois inhumains mais pas à ce point... J'en suis dsl...
pseudo : alnilam
Oui, et je traîne cette énorme responsabilité d'avoir laissé quelqu'un là-bas dans un autre mouroir. Dans quelle société vivons-nous pour laisser les gens que nous aimons mourir seuls. je ne juge pas, on ne peut parfois pas faire autrement. Mais le constat reste affligeant .
pseudo : Bonnie
Oui,en effet,contre mon avis,un medecin generaliste et un maire ont décidé qu'il devait être interné,il était pourtant loin de la phase terminale de la maladie!!!Il m'a été impossible de le sortir de là ,malgrè toutes mes démarches,ils sont même allés jusqu'à lui faire une intervention chirurgicale pour être sur qu'il resterait,une prétendue maladie de rein!!!Je dis à présent:portez plainte contre les hopitaux,les maisons de repos et autres cliniques,faites le pour que cela ne se reproduise pas!!
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