1 – Le voyage à Mèze (peut être lu sur http://www.maing.ch)
En ce début novembre 2006 où l'heure d'hivers venait d'avancer la tombée de la nuit, je pénétrais dans Mèze aux environs de 18h00. Le ciel y était dégagé et le plan d'eau du grand bassin de Thau étendait son calme majestueux où seule une légère brise animait d'immenses et paisibles reflets, mélangeant de façon magique, la lumière d'un crépuscule mourant avec celle, plus vive, d'une lune arrivant déjà à son demi-croissant.
Ce voyage de Neuchâtel à Mèze m'avait conduit par St Etienne, Mende et le viaduc de Millau, sans oublier le plateau des Causses. Il y avait en moi, grâce à une journée baignée d'un soleil d'automne flamboyant, une image à la fois lumineuse et pourtant empreinte d'une certaine nostalgie.
À Mèze, j'avais une petite mission. Quant on commence sa retraite, on peut s'offrir ce petit luxe de voyager pour un petit but. Je devais, donc, simplement vérifier que tout allait bien à la maison de Pascal, un ami de Neuchâtel. Cette maison se trouve à la rue Raspail. C'est un immeuble au centre de la vielle ville, en zone contiguë, aux rues hyper étroites. Il n'y a pas de place pour y garer sa voiture, il a donc fallu laisser ma C4 vers l'église.
Après trois à quatre minutes de marche, je me trouvai face à l'immeuble, vieille construction en moellons apparents. L'habitation n'est pas bien grande, la cave en rez-de-chaussée avec au 1er étage, une cuisine spacieuse, il est vrai. Au 2ème se trouvent deux chambres. Il ne m'a pas fallu cinq minute pour voir que tout, ici, dormait paisiblement en attente de prochains visiteurs.
Je connaissais déjà la maison, j'y avais séjourné une semaine en juillet.
Mission accomplie, l'envie me prit de revoir le pont de Millau, mais d'en bas cette fois. Je dormirai donc à Millau.
En rejoignant ma voiture je constatai que par hasard, elle était stationnée à proximité d'un distributeur d'argent. D'habitude j'ai toujours très peu d'argent sur moi. C'est un principe. Je n'étais pas ingénieur de Sécurité pour rien mais pour payer le dîner, l'hôtel et faire le plein d'essence le lendemain, il fallait bien quelques sous. Je retirai donc € 300. Avec les € 200 encore dans mon portefeuille et les € 20 qui restaient dans mon porte-monnaie, il y avait moyen de passer une bien agréable soirée et se choisir un hôtel vraiment "sympath".
À 19h15, je ressortais de Mèze prêt à engloutir les 110 km qui me séparaient du pied des piles du viaduc.
Vers 21h00, j'avais atteint l'objectif et après avoir admiré ce fabuleux ouvrage, je rejoignis la ville de Millau pour trouver assez facilement, en cette saison, à la rue du Languedoc, non loin de la rive gauche du Tarn, un bien joli hôtel. Je posai mes affaires dans la chambre 105 puis une petite faim m'informa de ne pas traîner si je voulais encore grignoter quelque chose ce soir. Il était environ 21h30 quand je quittai l'hôtel pour rejoindre un petit resto que le réceptionniste m'avait alors signalé, sur rive droite, au quai Sully Chaliès. Il y en avait pour cinq minutes en voiture et moins de vingt à pied. Malgré l'heure avancée, la fraîcheur du soir bien prenante et mu par mon esprit écolo, je décidai d'y aller à pied.
Je venais de tourner à gauche après avoir franchi le Tarn par le pont du boulevard Larzac. Je pénétrai alors dans une zone aménagée pour la détente d'environ 300 mais plutôt male éclairée, sans personne. On devinait dans le fond, le début du quai Sully Chaliès.
L'endroit était vraiment sombre avec des arbres et quelques rares lampadaires qui faisaient alterner des taches de lumière entrecoupées de zones d'ombre. Il aurait été plus juste de parler de zones noires. Je devais avoir franchi le troisième lampadaire quand une voix m'interpella. « Eh toi, stop !» Une silhouette tenant un pistolet dans la main droite, sortait de la nuit, à peine éclairée par le lampadaire que je venais de passer.
Mon cœur avait pris le 160, mes jambes n’obéissaient plus et mes mains ne devaient pas refléter le calme qu'on aurait pu espère en de telles circonstances. En l’espace d’une demi second, j’avais passé de l’insouciance complète à la panique folle. J’étais mort de peur, de trouille, ce serait plus juste. Un détail pourtant me fit reprendre un peu d’espoir. C’était bizarre qu’un professionnel du casse, m’agresse de face, mon visage dans l’ombre et le sien éclairé à contre jour. Pour un professionnel, ce n’était pas optimal.
Je reculai donc de trois grands pas, comme effrayé. La voix dit : « Ne bougez pas ou je tire!» et la silhouette s’avança pour combler l’écart. Mais cette fois, mieux éclairée elle faisait apparaître les traits d’une femme assez jeune avec des yeux grands ouverts. Le candélabre y faisait des reflets comme sur le bassin de Thau mais cette fois la brise avait troqués l'habit de la drogue.
« Passe-moi ton fric, sors ton porte-monnaie » dit-elle avec assurance. Le tutoiement avait repris, mais cette fois, je distinguais bien le timbre d'une voix féminine. Je sortis le porte-monnaie avec les vingt euros et lui dis : «Voilà».
Elle le prit, l'inspecta et trouva les vingt euros. Agressive, elle dit « Tu t'fous d'moi ou quoi. Passe-moi ton portefeuille» et brandit à nouveau l'arme comme prêt à tirer.
L'arme semblait lourde, ce n'était vraisemblablement pas une imitation mais impossible de savoir si elle était chargée. Pourtant quelque chose me fit penser qu'elle ne pourrait pas tirer rapidement. Sur ces entre-faits la voix d'une fillette se fit entendre « S'il te plait Maman arrête, ne fais pas ça !» « Marie, fous-moi la paix, mêle-toi de ce qui te regarde » invectiva l'agresseur.
La petite fille reprit. Elle devait avoir environ 7 ans. « Non Maman, non Maman. S'il te plait ! Arrêt !».
Cette fois, la petite apparut dans mon champ de vision. Elle était chaudement habillée mais avec des habits miséreux. Son visage était habité par deux beaux grands yeux tout noirs mais lumineux qui regardaient cette Maman avec gentillesse mais où transparaissait une franchise et une fermeté certaine.
Sa petite main tenait par l'un de ses bras, un nounours. Il se balançait, indifférent aux événements. Son autre bras pendaient dans le vide. Il n'avait plus qu'un œil, l’animal, et de la paille sortait par un petit trou sur le coté de son ventre et aussi par un pied.
L'arrivée de l'enfant m'avait un peu détendu, ce qui devait être le contraire pour la dame "agresseur" qui essayait maintenant de se ressaisir et de reprendre la situation en main.
Je dis alors : « Écoutez, Madame, dans mon portefeuille, il y a cinq cents euros. Je vous fais cadeau de € 200. Vous partez et on en restera là. »
«Je ne peux pas, j'ai besoin de tout, vous comprenez, j'en ai besoin.» dit-elle d'une voix désarçonnée et presque triste, en me vousoyant à nouveau.
La fillette reprit : « Mais Maman, il est gentil le Monsieur. Fais comme il te dit. »
Sur ce, j'enchaînai : «Madame si vous exigez tout, dès que nous nous serons quittés, je déposerai plainte en vous dénonçant à la police». Ce n’était vraiment pas la chose dire car un vrai braqueur m'aurait froidement abattu pour ne pas être dénoncé.
Elle ne fit que de me répondre «Donnez-moi tout, vite.»
Je lui remis alors les 500 euros. Elle les prit et d'un geste brusque attrapa la main de la fillette qu'elle tira. Toutes deux disparurent dans la nuit comme absorbées par l’obscurité.
Il ne fallait pas rester là. Je me remis en route quand je sentis quelque chose de mou sous mon pied. C'était le petit ours de l'enfant. Elle l'avait perdu dans la précipitation du départ. Je le pris. Malgré la rogne qui montait en moi de m'être ainsi fait délester de € 500, l'image d'un enfant ayant perdu son compagnon me fit mal au cœur.
Alors j'appelai :«Marie, Marie, tu as oublié ton nounours, vient le rechercher.»
J'entendis alors disparaissant dans le lointain, une petite voix, dire : « Dis Maman comme il sait mon nom le Monsieur. »
Puis le manteau de la nuit se referma et le silence déposa en moi un goût de fadeur mêlé de vengeance contre la mère et de compassion pour cette gosse aux yeux si plein d'espoir !
En fait de silence, il n'y en avait pas. On entendait de temps à autre des voitures passant sur la rue du Four-à-Chaux à quelque cent mètres de là. La ville, toute proche, marmonnait son brouhaha incessant, perturbant la quiétude de la nuit. Trois jeunes traversaient le pont pourtant loin et parlaient si fort qu'on les aurait dits derrières les arbres de ce coin de parc.
Quelle misère, moi qui avais maintenant tant besoin de silence, tant envie de calme ! En fait, je ne savais pas de quoi j'avais envie. Le départ des deux dames avait laissé en moi un goût indéfinissable entre le vide et une déception mêlée de l'envie qu'elles soient encore là, tant j’étais déçu d’avoir si mal géré l'événement. Le héros que j’aurais dû être était devenu un pauvre type qui n’avait même plus peur.
J'étais dans ces pensées lorsque « Tu me donnes Tizi ! » me surprit mais me redonna espoir. Cette fois j’allais pouvoir dominer l’événement. La petit était là, elle était revenue chercher son nounours. J’allais pouvoir agir.
Je me tournai donc vers elle. Son regard droit, franc, ne tolérant pas la trahison paralysa mon agressivité aussi sec. Je lui tendis machinalement le nounours. Elle le prit, dit «Merci » et disparu comme elle était venue. Je la revois encore courant vers la nuit, joyeuse, insouciante, si heureuse d’avoir retrouver Tizi que le pauvre nounours tenu par un bras se faisait taper la tête, le thorax et les jambes dans la course de l’enfant. Un court instant j’ai eu même pitié pour ce pauvre Tizi.
C’est à ce moment-là que j’ai entendu au loin la mère appeler « Marie, Marie laisse tomber, revient ! ». Il n’y eut pas de réponse. Le bruit ambiant du soir avait tout englouti.
Un spleen terrible m’envahit qui fut remplacé par une boule au ventre et la rage au cœur d’avoir manqué cette seconde occasion. La petite faim avait disparu et l’obsession des « Cinq cent vingt euros d’foutus » se mis à tourner dans ma tête. « Quelle merde ! Mais quel con j’ai été ! Bof quand on est vieux, on est con ! »
Plus question d’aller en Ville. Plus question de voir du monde. Il fallait que je sois seul pour ruminer tout ça et trouver une réponse ou mieux un responsable. C’est pas possible d’être incompétent à ce point, de manquer de courage, de manquer de « je n’sais pas tout quoi ».
Alors c’est Lui, là-haut qui a reçu la semonce. « Ah Toi t’es contant. Ça T’es égale que j’perdre comme ça cinq cent vingt euros, T’a même pas bougé !»
La réponse ne se fit pas attendre (oui, parce que de temps à autre, on se parle Lui et moi. Je ne suis pas don Camillio, mais ça arrive).
Ce n’est pas parce que tu as mal géré ton affaire que c’est Ma faute. D’ailleurs c’est pas € 520 que t’as perdu mais € 500.»
Je plongeai ma main dans ma poche pour récupérer mon porte-monnaie. Je l’ouvre. En effet, les vingt euros étaient là.
Mais oui, quand je lui ai tendu les 10 billets de cinquante euros, elle m’a rendu machinalement le porte-monnaie en oubliant de les prélever.
Bin merci, quand même. Mais j’T en veux quand même.
Je te répète, ce n’est pas ma faute. Ce n’est pas parce que tu t’obstine à penser que tu aurais dû te jeter sur elle, lui arracher son arme et la conduire à la police qu’il faut t’en prendre à Moi. Et lorsque la petite est revenue, tu n’as rien fait non plus et maintenant tu te dis que tu aurais dû la garder en otage et appeler la mère pour qu’elle te rende l’argent contre sa fille. Rappelle-toi : Aide toi et le ciel t’aidera et souviens-toi : Je suis là que quand ça ne va vraiment plus.
J’aurais du faire ça ?
Mais non bien sûr que non, finalement, je crois que tu as plutôt bien fait.
Ah, merci, Toi au moins, Tu sais parler aux gens. Mais quand même, j’suis pas contant. Finalement, elle n’était pas si moche la dame, elle aurait pu gagner son argent autrement.
Oh ! Oh ! Là tu dérapes. Puis tu n’es pas à la rue, il te reste ta carte de crédit pour faire tes paiements urgents comme l’hôtel, l’essence. Pour le moment, tu n’as pas de problèmes majeurs. Sois positif.
Mm ouai !
Et on en était là quand j’atteignis l’hôtel. Evidemment, j’ai raconté mon aventure au portier qui n’a été compatissant que lorsqu’il a su que j’avais le moyen de payer ma chambre demain matin. Il m’a alors indiqué où se trouvait le poste de police pour y déposer ma plainte.
Le matin, je n’ai pris qu’un café en guise de petit déjeuner. La nuit s’était mal passée. Dans ma tête, la machine à laver n’avait pas arrêté de brasser des « ça aurait pus être pire », « elle est très pauvre avec une enfant en bas âge », « quand même, la salope, elle m’a piqué € 500 » « je porterai plainte », « je ne porte pas plainte ». En résumé, j’étais lessivé. Ce n’était effectivement pas la joie, quoi !
Vers 8h30, je me suis finalement rendu au poste de police. J’ai trouvé assez facilement. C’est vrai que le samedi matin les rues sont plutôt désertes et calmes. Je me suis parqué sans problème. Au poste de police il n’y avait quasi personne. J’ai pu faire ma déposition sans problème.
Là, j’y ai appris que je n’étais ‘pas le premier à subir ce genre d’agression par une femme dans ce secteur. Ils ont pourtant été étonnés d’apprendre la présence de Marie et cette information allait certainement faciliter leurs recherches. Très polis, ils se sont montrés désolés pour les ennuis que me causait cette agression et surtout pour Millau, petite ville si calme, si paisible et si accueillante qui depuis quelque temps était pourtant envahie par des drogués, des mendiants, des bons-à-rien etc., etc. C’est notre époque, m’ont-ils dit. Il fallait vivre avec, mais que pour eux, c’était une inquiétude et un souci.
Le retour jusqu’à Neuchâtel, mon domicile, se passa sans histoire mais le voyage fut quand même entrecoupé de nombreux « Mais c’te salope, cinq cents euros, quand même ! ». Ça ne voulait pas passer. Il y avait aussi eu des « Tu me rends Tizi ! » et des « Mais Maman, il est gentil le Monsieur. Fais comme il te dit » qui revenaient ça et là et qui inhibait ma combativité.
Puis au fil des jours, ce fut l’oubli. « Eh ! La vie continue » comme dirait Jo Dassin.
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