4 – L'école d'infirmière
Le lendemain à midi, je déjeunais avec Véronique Franières, l’infirmière qui avait soigné mon front, il y a deux jours. De la blessure, il ne restait plus qu’une petite tache brune. L'important c'était l'annonce qu'elle m'avait faite sur le fait qu'elle avait connu une Nadine Fehlder.
Nous étions agréablement installés dans une pizzeria à la rue de Vert-Pré. L'ambiance y était agréable. Comme il allait être midi dans quelques minutes, les "midi-bouffe-vites" n'avaient pas encore investit totalement les lieux.
Véronique Franières s'était mariée, il y a 8 ans et avait deux garçons de 4 et 7 ans. Son nom de jeune fille était Ronchat. Il est alors probable que la maman de Marie n'aurait pas identifié une Véronique Franières.
Durant le repas, elle m’expliqua, alors, que la Nadine qu’elle avait connue à Lons-le-Saunier faisait partie de ses bonnes copines. Nadine était une fille particulière, elle avait ou des amis ou des ennemis et c’était la même chose du côté des professeurs. Le prof de comptabilité et de géographie, Monsieur Marmier, l’adorait. C’était un peu sa chouchoute. Tout le contraire de la prof de la psychologie du malade, qui en plus d'être la Directrice de l’établissement, la détestait et là, il n’y avait pas photo. C'était hard !
Mme Franières me précisa que le jour de la remise des diplômes, on avait juste informé que Mademoiselle Fehlder avait échoué à l’examen et que dans ces circonstances, elle ne souhaitait pas assister à la cérémonie ainsi qu'à la fête qui suivrait. Elle était déjà rentrée chez elle.
- Vous pensez, me dit-elle, ça a fait l’effet d’une bombe car Nadine faisait partie des "forts en thème". Jamais personne n'imaginait qu’elle puisse "louper".
À la cérémonie et à la fête, vous savez comme c’est, continua-t-elle, tous les parents sont là, fiers que leur enfant ait réussi.
Dans ce tumulte, elle reconnut avoir vraiment oublié Nadine.
- La fêtes à peine finie, je suis rentrée à l’Arbresle avec mes parents. Puis plus de nouvelles, on court après un job, on le trouve et voilà !
Elle se mit à chercher quelque chose dans son sac à main. En sorti une photo, me la tendit et dit « Sur cette photo on est cinq et Nadine c’est la deuxième». Le doute était définitivement levé : sa Nadine et la mienne, c’était la même.
Après le repas, je pris congé de la jeune infirmière pour reprendre la route et rentrer à Neuchâtel.
De retour en Suisse, je repris mon train-train quotidien accompagné des visites hebdomadaires à ma mère de 95 ans, qui vit dans un home à Lajoux. On appelle ça un home, mais en fait c’est un EMS (Établissement Médicalisé Spécialisé). Il y a environ 25 pensionnaires et une vingtaine de personnes soignantes. C’est donc une petite structure un peu perdue sur le plateau du Jura. Bien sûr, tout le monde finit par se connaître.
L’idée me vint d’essayer, lors d’une visite à ma mère, de téléphoner à Lons-le-Saunier à l’école d’infirmières. En appelant du home la chose paraîtrait plus professionnelle. J'apprendrais peut-être quelque chose sur Nadine, comme: "Où elle habitait ? Qui étaient ses parents ? Pourquoi avait-elle échoué aux examens ?
En arrivant à Lajoux, je pris bien soin de laisser mon portable dans la voiture.
Je demandai donc à Madame la Directrice l’autorisation de téléphoner car j'avais oublié mon portable et qu'il me fallait absolument appeler quelqu'un en France avant midi. Le numéro, je l'avais recueilli sur Internet le matin même. La demande fut accordée sans discussion. Elle me fit entrer dans son bureau et me laissa seul.
Le numéro composé, j'entendis soudain : « Pierre Marmier, j’écoute ?»
C’était le nom du prof de compta et de géographie dont madame Franières m’avait parlé.
- Bonjour Monsieur, ici Max Muldrit, puis-je parler à Monsieur le Directeur.
Je savais pertinemment que c’était une Directrice qui gérait l’établissement mais je trouvais que ça faisait plus sérieux de demander ainsi.
- C’est moi-même.
Visiblement Monsieur Marmier avait pris du galon.
- Oh ! Enchanté ! Monsieur le Directeur, ici Max Muldrit, je vous appelle de l’EMS de Lajoux en Suisse et je m’intéresse à l’une de vos anciennes élèves. Il s’agit de Mademoiselle Nadine Fehlder qui a malheureusement dû échouer aux examens, si mes renseignements sont exacts. Elle souhaiterait travailler comme aide-soignante.
Jusque là, je n’avais dit aucune blague. Je téléphonais bien de l’EMS, je m’intéressais bien à Nadine et j’étais sûr quelle souhaiterait travailler comme aide soignante même si je ne lui avais pas demandé.
Il y eut comme si quelque chose ne tournait pas rond, un léger hoquet, un silence, puis :
- Oh, Monsieur, reprit-il avec une voie qui avait complètement changé, vous avez vu Nadine ?
- Oui, bien sûr.
Son changement d'attitude me surpris, me prit même un peu de court, mais surtout m'inquiéta. Je ressentis une sorte de pincement au cœur car s'il savait qu'elle était en prison tout était perdu. D'autre part, on ne demande pas si on a vu une candidate. On demande si elle s'est présenté et on ne la nomme pas par son prénom. Etonnant !
- Est-elle là ? reprit-il, visiblement avec de l'inquiétude dans la voix.
- Ah non ! Elle n’est pas là, répondis-je toujours soucieux de ce qui allait suivre.
- Monsieur, il faut qu'on vous explique, continua le Directeur, avec Nadine Fehlder, il s’est passé quelque chose de pénible. Je vois que vous savez qu'elle a échoué. En effet, la veille de la journée de la remise des diplômes, Madame la Directrice de l’époque qui n’aimait pas beaucoup Nadine, - il faut reconnaître que Nadine le lui rendait bien, ajouta-t-il en aparté et avec un brin de complicité, - lui a attribué un 1 pour son interrogation en psychologie du malade et 1 c’est éliminatoire.
Durant les vacances qui suivirent la cession, une partie des professeurs et en particulier le professeur suppléant qui assistait à l’examen, ont dénoncé cette pratique de mettre un 1 à une élève pour la mettre en échec. Le professeur suppléant trouvait que son interrogation valait facilement.5 sur 6 bien sûr.
À la rentrée en septembre, il y eut une véritable cabale. La Préfecture a même dû intervenir pour calmer le jeu. Finalement, il a été décidé, sur proposition du professeur suppléant, de mettre un 3 à Nadine pour la psychologie du malade. Cette manière de faire ne désavouait pas trop la Directrice et ça permettait à Nadine d'être reçue. La Directrice n'a rien voulu entendre. Finalement le Conseil Scolaire à accorder la retraite anticipée à Madame la Directrice.
On a fait alors imprimer le diplôme et on l’a envoyé par courrier recommandé avec AR (Accusé de Réception) à Mademoiselle Fehlder. Après trois semaine, le courrier est revenu en retour avec la mention « n’habite plus à cette adresse ». Vous vous rendez compte de cette histoire.
- Ah oui en effet. En fait, elle pourrait travailler comme infirmière diplômée et non comme aide-soignante.
- Parfaitement, me répondit-il.
- Ah bien, pourriez vous être assez aimable pour me faire parvenir une copie du diplôme avec simplement une signature manuscrite qui en confirmera l’authenticité. Pour moi se sera suffisant ! Vous voudrez bien adresse ce courrier à Madame Linda Muldrit - Home médicalisé de la Vraconaz. CH 2718 – LAJOUX. Ah ! encore, si vous pouviez joindre aussi l’adresse où vous avez envoyé le courrier qui est revenu, ce serait formidable.
- Monsieur, soyez sans crainte. Ce sera fait, ajouta le Directeur.
Il ne me restait plus qu’à informer Madame la Directrice du home que ma mère allait prochainement recevoir un courrier de France et si elle voulait être assez gentille pour me le mettre de côté jusqu'à mon prochain passage.
La semaine suivante, la secrétaire du home me transmis une grosse lettre venant de Lons-le-Saunier.
Une photocopie du diplôme daté du 7 juillet 2000 surchargée du tampon de l’école parafé de la signature de Monsieur P. Marmier, Directeur avec la date du 15 avril 2008. La dernière adresse connue de Nadine y était aussi. Mademoiselle Nadine Fehlder chez Paul et Francine Fehlder Rue Gaston Bachlard, 14 Cité Turenne, 52200 – Langres.
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Style : Poème | Par Mueller Alex | Voir tous ses textes | Visite : 863
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