(La scène se passe en Europe, dans un futur proche indéterminé)
…/…
Maître Destremont avait convié Elen à dîner la veille de son anniversaire. Aucune pompe officielle: Placido Domingo dans Paillasse avait servi de prétexte.
Après le champagne, il avait tiré d’un tiroir des billets d’avion pour Florence.
“Votre service va se compliquer, ma chère, vous m’avez rendu l’envie de voyager. J’ai réservé deux chambres. C’est bientôt le Carnaval. Je préfère Florence à Venise. Infiniment plus chic.
Acceptez-vous de vous y encombrer de moi?
- Voyons, Martial. C’est au contraire très gentil à vous de me donner l’occasion de retourner dans cette chère ville. Comment puis-je vous remercier? J’aimerais pouvoir oublier la distance qui nous sépare et vous sauter au cou.
- Avec ce maudit engin,” se plaignit-il en tapant sur les accoudoirs de son siège d'infirme, “on est toujours loin des gens … ”
Elen le vit esquisser un mouvement vers ses béquilles. “Attendez,” bondit-elle. Avant qu’il n’ait pu prévoir ses intentions, elle s’assit sur ses genoux.
Il ne réagit pas tout de suite. Elle crut qu’il allait lui demander de s’écarter.
“J’espère que je ne vous fais pas mal, peut-être suis-je trop lourde?”
Il dut répondre que “non”.
“ … Il y a bien longtemps qu’une femme ne m’a pas sauté dans les bras.
- Pourquoi ne pas me l’avoir demandé plus tôt?
- Cela fait partie de votre service, à votre avis?”
Elen lui saisit la main en se récriant:
“Oh! Martial, ne soyez pas désagréable, pas ce soir.” Il voulut protester, elle l’interrompit: “Vous êtes glacé. Venez que je vous réchauffe.”
Sans attendre une permission hasardeuse, elle enfila les mains de Martial sous son pull. Elle n’eut pas beaucoup à le forcer. A travers la soie de son caraco, le froid contact autour de sa taille la fit frémir. Il salua son émoi d’une petit grognement flatté.
Par prudence, elle avait gardé ses doigts prisonniers sous les siens, craignant que, un temps décent écoulé, Martial ne se dérobe. Doucement, elle les amena à la hauteur de ses seins. Il ne disait plus rien. D’un coup d’œil, Elen vérifia l’expression de son visage. Il eut un rire bref:
“Vous êtes contente de vous?
- Oui. Vous avez moins froid.
- Bon.
Et maintenant?
- Rien, je me suis rapprochée, comme vous l’aviez souhaité.”
Il rit de nouveau.
“Ne portez-vous donc jamais de soutien-gorge sous vos pulls?
- Votre œil me semble trop exercé par ne pas l’avoir remarqué.
- Admettons,” reconnut-il en arrachant d’un geste sec l’une puis l’autre des bretelles du caraco. “Cette chose aussi devient superflue. Du moins dans le cas qui nous occupe.” Elen frissonna de triomphe en se renversant sur l’épaule de Martial. Elle attendait ces caresses depuis si longtemps! Pour peu qu’il les prolongeât, elles auraient pu la combler. Il dut le deviner car il la laissa se pâmer avec une indulgence bonhomme.
Puis au bout d’un moment, il approcha ses lèvres de son oreille:
“Céleste va arriver, Elen. Rajustez-vous.” Elle laissa échapper un gémissement de désolation. “Par contre, je garde votre chemise: prise de guerre!”
Joignant le geste à la parole, il acheva de déchirer la soie. Après, il fourra les lambeaux dans sa poche.
“Vous n’êtes pas raisonnable!
- Aucune importance, Sido vous en expédiera un autre dès demain.”
Il la remit d’autorité sur ses pieds.
“Ce n’est pas ce que je voulais dire,” bouda la gouvernante. “Pourquoi voler ce chiffon si désirer les femmes en vain vous indispose?
- Holà, Elen.”
Elle se pencha vers lui jusqu’à effleurer de nouveau sa joue:
“Je suis indiscrète?
- Vous le savez.”
Le ton était moins cassant qu’elle ne l’avait prévu. La rigidité de son hôte s’était-elle amollie au contact de sa chair? Elle se crut encouragée à persévérer:
“Il me semble néanmoins que vous preniez du plaisir à me caresser.
- Quel homme n’en aurait pas pris? Il eût été bien rustre.”
Dans un éclair, Elen eut la vision de Jamel, qui se précipitait toujours sur elle avec une fougue impatiente. A l’en croire, Martial, au contraire, devait se contenter d’exploiter la panoplie des préliminaires: si impuissance il y avait, ce pouvait se révéler en fin de compte bien agréable d’avoir affaire à un homme empêché.
Le champagne lui donna de l’audace.
“Montrez-moi vos galettes interactives. Je n’en ai jamais vues: ce n’était pas le truc de mon ex-mari, encore moins celui de mon ami.”
Son sourcil s’était un peu froncé, cependant il ne refusait pas franchement:
“Qui vous a parlé de mes distractions solitaires?
- Personne et tout le monde.
- Allons donc.
- N’accusez pas Louis, c’est une tombe quand on aborde votre vie privée.
Il n’est pas une mauvaise langue en ville pour y faire allusion,” éluda la jeune femme. “C’est un secret de polichinelle, vous le savez très bien.
Vous ne vous en cachez pas d’ordinaire.
- Exact.
- Pourquoi le faites-vous avec moi?
- Nous ne nous connaissions pas encore assez bien.
- A présent, si,” dit-elle, en rajustant ostensiblement son pull avec une certaine satisfaction.
Il eut un rire un peu insolent:
“Présomptueuse!
- Admettons. Ne me fâchez pas le jour de mon anniversaire. Si nous devons attendre de ne plus être l’un pour l’autre terrain de découvertes, je crains que mes lacunes culturelles ne soient comblées de sitôt.
- Les femmes, d’ordinaire, goûtent peu ce genre de distractions.
- Tant pis, je voudrais voir.
- Tout de suite? Nous allions dîner …
- Dites à Céleste d’attendre un peu. Elle tiendra bien le repas au chaud une demi-heure.”
Il actionna l’interphone. Quelle victoire! Martial sourit avec indulgence de l’éclat de triomphe qui dut s’allumer dans ses yeux:
“Céleste, nous n’avons pas encore faim. Vous servirez vers dix heures, si vous le voulez bien. Apportez-nous une seconde bouteille et quelques amuse-gueule, s’il en reste.”
Sitôt dit, sitôt fait. Elen se demanda si le champagne n’était pas déjà prêt. La brave femme avait-elle senti ce soir-là de l’intimité dans l’air, ou Martial avait-il prémédité une scène de ce genre?
“Laissez. Nous nous servirons.”
Céleste, toujours prête, d’ordinaire, à se mêler de la conversation, déposa le plateau sans un mot et se retira, non sans avoir lancé à Elen un long regard où la jeune femme crut lire de la reconnaissance. Qu’avait donc l’attitude de son maître pour éveiller ainsi l’attention de la domestique?
“Je n’ai plus grand choix au salon. Je tiens plutôt les galettes dans ma chambre depuis votre arrivée.” Il ouvrit une petite porte de son bureau. “Quel genre vous conviendrait?
- Je ne sais pas, je ne m’y connais pas … Je fais confiance à votre goût.”
Maître Destremont referma soigneusement la serrure et remit la clef dans sa poche.
“Vous êtes certaine de ne pas préférer Paillasse?”
Elle secoua la tête. Avec une lenteur qui sentait le cérémonial, il actionna les volets extérieurs puis les rideaux de la véranda. La tenture qui dissimulait l’écran mural s’ouvrit comme au théâtre. Enfin, il lança le magnétoscope. La jeune femme sentit un vague malaise l’assaillir. Allons, ce n’était pas au moment de réussir qu’il fallait mollir.
“Eh bien, Elen! Vous voilà bien loin, à présent.”
Elle mentit:
“J’allais servir le champagne.
- Tout à l’heure.
Venez ici. Si vous voulez connaître les réactions d’un homme, ne restez pas à l’autre bout du salon. Vous étiez moins farouche tantôt … ”
Joignant le geste à la parole, il traversa la pièce et l’agrippa par le bras. Elen se laissa traîner jusqu’au canapé en riant.
“Il y a des lois sur la Protection des consciences. Je vais porter plainte.
- Je vous le conseille, en effet.” répliqua-t-il sur le même ton. L’image apparut, agressive. “J’ai choisi une galette classique, extrêmement pornographique. Nous n’avons pas le temps pour des demi-mesures, sinon nous ne mangerons jamais. Et j’ai faim moi,” affirma-t-il. Puis il lui fourra la télécommande dans les mains: “Vous savez-vous servir d’un serveur Numgal?
- C’était un élément pédagogique apprécié dans mon ancien état.
- Bravo! Alors, à vous. Les boutons des menus se trouvent sur la droite: jaune pour choisir les actrices, vert pour leur partenaire, rouge pour l’action. En cliquant deux fois vous obtiendrez le menu des décors et costumes. Vous pouvez aussi commander à la voix.”
Elen se sentit rougir à cette idée, elle tenta de se défiler:
“Je n’ai aucune idée de vos goûts.
- Ne vous inquiétez pas: je connais cette galette par cœur.”
Force fut à Elen de choisir. A tout hasard, se souvenant de l’attirance masculine pour la fellation, elle commanda cette spécialité dans le menu. Cela lui valut les encouragements de Martial. Ensuite, elle choisit les personnages: femme blanche, blonde, à la pilosité discrète. Poitrine: “fournie”. Puis elle hésita. Tout d’abord, elle avait demandé un homme de race asiatique, le visage sauvage de celui qu’on lui proposa lui déplut. Martial l’interrompit:
“A mon avis, une femme devrait préférer un Noir. Question d’esthétique.”
Effectivement! Celui qui apparut sur l’écran avait la peau lisse et mate, les muscles bien décuplés, sans trop, une vraie gourmandise … Arriva le menu concernant la dimension du sexe. Cela la fit rire, elle n’aurait jamais imaginé qu’un programme fût aussi perfectionné …
Néanmoins, cette question la mettait dans l’embarras. Sur ce point précis, n’ayant aucune idée des particularités physiques de Martial, elle avait peur de commettre un impair, soit par un gigantisme qui pouvait faire supposer des appétits qu’il n’était pas en mesure d’assurer, soit de suggérer la pitié en paraissant se contenter de peu …
A tout hasard, elle pointa au milieu du menu: la queue que le Noir présentait déjà aux lèvres gourmandes de la blonde raccourcit sensiblement.
Ils s’en amusèrent. Elle laissa filer l’action.
Elen n’avait pas menti en prétendant n’avoir jamais vu de Numgal porno. Certes, ce soir, elle ne visionnait pas son premier support-gal hard. Si l’interactif lui était inconnu en la matière, elle n’était pas bégueule au point de dédaigner les chaînes érotiques. Les nuits où pesait la solitude, elle faisait parfois appel à la télé, histoire de se donner le goût de se caresser. Cependant, elle gardait un souvenir mitigé de ces banalités hygiéniques, de leurs couleurs criardes ou de leurs effets chargés.
Rien de tout cela dans la galette choisie par Martial. Certes, comme il l’en avait avertie, elle avait été saisie par le réalisme de la scène. Les cadrages, plus complaisants que tout ce qu’elle avait pu voir jusqu’à présent, se révélaient d’une précision exceptionnelle. Malgré tout, l’image si crue fût-elle visait à la beauté. Les chairs étaient soignées, l’éclairage superbe, le décors ultra moderne et raffiné. Aucune vulgarité, y compris dans les débordements les plus violents.
La scène terminée, Elen ne sut quoi faire, elle se tourna du côté de Maître Destremont: il la guettait du coin de l’œil, il partit à rire d’être découvert.
Martial posa les verres, sur la console près d’Elen, puis s’aidant de ses béquilles, se souleva de son siège et se laissa tomber à côté d’elle, dans le canapé.
“Votre curiosité est-elle déjà satisfaite?
- Je ne voudrais pas abuser, vous avez faim … ” risqua-t-elle en lui tendant son verre, tandis que le lecteur de galettes tentateur proposait inlassablement son menu en clignotant.
“Continuez, il y a d’autres scènes bien plus intéressantes.”
Cette fois, il l’attira vers lui et enfila sa main d’autorité sous son pull.
La jeune femme palpitante d’une appréhension délicieuse activa de nouveau le menu. Plus familiarisée avec le programme, elle eut la curiosité de le dérouler dans son entier, ce qui fit sourire Martial. Devant le naturalisme sans concession de la scène à laquelle elle avait précédemment assisté, elle jugea prudent de ne pas prendre le risque de s’exposer à pire encore en changeant de scénario, et choisit simplement une rousse plantureuse qu’elle associa à un grand gars nordique, aussi bien monté que le précédent.
Il approuva:
“Choix excellent. Les acteurs sont de premier ordre.”
La scène, un peu plus longue, se déroulait de manière semblable. Dans ce domaine, on ne peut varier à l’infini … Indubitablement, encore une fois, l’ambiance surprenait pour un produit, somme toute de consommation triviale. Tout concourait à au plaisir, une prise de vue soignée, de belles couleurs, un cadre champêtre à l’anglaise, beaucoup de conviction dans l’interprétation. Elen sous l’effet conjugué du champagne et des caresses de Martial sentait une chaleur significative circuler dans ses membres. Dans un grand élan de tendre alanguissement, la gouvernante s’abandonna sur le torse de Maître Destremont bien avant l’éclatement final, une occasion de “découvrir comment la jouissance des autres pouvait décupler le plaisir de se laisser lutiner”.
Un petit rire indulgent lui répondit. Elle voulut s’écarter, confuse de cet aveu étourdi.
“Vous devez me trouver bien naïve pour une femme de mon âge.”
Il l’attira plus près.
“Pas du tout. Il y a, rassurez-vous, des dames beaucoup plus vénérables qui, avant de s’asseoir sur ce canapé, n’avaient aucune expérience en la matière … ”
Autre aveu de taille!
“Si votre goût pour les caresses buccales me ravit, ne vous croyez pas obligée de vous cantonner aux perversions primaires Elen, il y a des spécialités beaucoup plus amusantes sur ce menu, essayez donc … ”
Elle appuya sur “Bestialité”. C’était sans risque! Il défilait toute une basse-cour au menu. Ils zappèrent quelques scènes pittoresques. Martial tint absolument à lui faire découvrir des extraits de la fornication d’un gros paysan et de son oie. Puis la jeune femme choisit “Extraterrestre”: des images de synthèses pleines d’humour:
“C’est très amusant ce jeu, en fin de compte.”
En fait, elle craignait de s’aventurer dans des domaines plus sérieux. Son maître l’avait devinée. D’autorité il commanda vocalement: “Levrette”. Elle choisit les partenaires, puis les changea, plusieurs fois. Les scènes défilaient, rapides, à peine trois ou quatre minutes chacune. Martial lui prit la télécommande des mains quand elle pointa sur “feuille de rose”.
“Essayez à la voix, Elen. Ce sera tellement plus charmant.”
La jeune femme gémit. Etait-ce la pression insistante des doigts de Martial sur le mamelon ou l’excitation d’avoir à commander de telles choses à une machine? Cependant, plus curieuse de savoir où l’emmènerait ce manège que désireuse de parfaire son éducation qui, sur ce point, depuis Jamel, n’en avait pas besoin, Elen obéit. Après tout, en abandonnant radicalement la réserve où il s’était cantonné jusqu’ici, Martial n’allait-il pas au-devant de ses intentions?
“Pourquoi souriez-vous?
- Pour rien,” se déroba Elen.
Discret, il n’insista pas. La jeune femme venait de repenser aux alarmes de son amant. Tous les hommes étaient-ils façonnés ainsi? Leur fallait-il un prétexte aussi cousu de fil blanc pour oser tripoter la femme qu’ils convoitaient? Sans doute.
“Je n’aime pas cette actrice. Elle n’a pas les fesses qui conviennent à l’usage.
- Commandez-en une autre.
- Qui?
- Il y a une asiatique dont la pilosité discrète sied particulièrement bien à cette position.”
Deux boutons de télécommande: une superbe javanaise glissante tel un poisson apparut, Elen fit revenir le “beau Noir” de tout à l’heure.
“Couple magnifique,” approuva son compagnon.
Autour d’eux la plage de sable blanc, la mer, le bruit des vagues. La fille gémissait à peine. On voyait, par contre, des frémissements courir le long de la peau de ses cuisses. Rien de commun avec les films qu’Elen pouvait avoir vus sur le câble où des protagonistes issus de milieu manifestement populaires s’agitaient comme des lapins sur des comparses sirupeuses qui feignaient le plaisir dans une avalanche de yaourt.
Ici, cinéaste et acteurs prenaient leur temps: gros plans à la Mappelthorpe, caresses savantes, soupirs délicats, voix musicales …
“Vous n’imaginiez tout de même pas que je me contentais de bas de gamme.
Il y a bien dans ma collection quelques documents d’archives, du siècle dernier essentiellement, qui ne sont pas d’un goût parfait. Ils ont leur charme. Nous pourrons voir cela un autre soir, si vous y tenez. D’ordinaire, cependant, j’ai les moyens de me montrer aussi difficile avec le sexe qu’avec les produits qui rentrent dans mon assiette.”
D’une impulsion de la main, il revint en arrière, doublant la télécommande. Malgré tout, il préférait que sa partenaire garde l’initiative:
“Je préférerais un lit. Mettons qu’ils y fussent habillés tous les deux. Demandez-moi cela, Elen, s’il vous plaît.
- Voulez-vous un viol pendant que vous y êtes?
- Non,” dit-il en lui pinçant le sein à la faire crier, “ce ne sera pas nécessaire.”
Elen habilla l’homme “de pied en cap”, la fille de dessous “pastels”.
“Verts”, intervint Maître Destremont en précisant: “Vous pouvez choisir votre couleur sur cette numgal. C’est un des dernier cri du commerce.
- Je n’aime pas la forme du soutien-gorge.
- Alors, ôtez le lui.”
Elen sourit, tant qu’à faire, elle la revêtit d’un “pull angora blanc”:
“Oh!” fit-il. “Très joli.
- Peut-on demander qu'elle l'enlève pour que vous contempliez sa poitrine?
- Sur l’écran, non.
Dès que la technique se sera perfectionnée, je vous promets d’acheter un film en ce sens …
Mais dans la vie, rien de plus facile.” Soulevant un peu Elen, par la taille, il joignit le geste à la parole et fit glisser son pull par-dessus ses épaules. Toute frémissante de sentir la chaleur de son maître contre sa peau nue, la jeune femme commençait à commander plus mollement. Contrairement à ce qu'elle espérait cependant, il eut à peine un regard pour sa poitrine. Toute son attention semblait attirée par l'écran. Seule la pression de ses doigts sur ses seins devenait plus tenace. Les cuisses de la jeune femme se mirent à trembler de crispations exquises. Elle s'alanguissait et, le souffle court, perdait le contrôle de sa diction.
Son partenaire consentit alors à prendre la chose en main. La précision de l’habitude: il n’omit aucun détail. Une délicieuse chambre de Maison Close, un décor Louisiane. Gros plans sur des compositions de dentelles anciennes d’où s’échappaient des éclairs de peau laiteuse. Un effeuillage de crinoline beige et blanche, des bas noirs, des gants de même. L’actrice les garda quand son partenaire la bascula dans le lit. Il était grand, fort, moustachu. Tout à coup, il découvrit son sexe: Elen s’exclama de surprise. Elle n’aurait jamais imaginé qu’un homme pût être pourvu d’un engin aussi monstrueux:
“Il va la déchirer!
- Oui, elle hurle assez bien dans le plaisir. Vous n’avez pas envie? A votre aise.”
Un militaire basané le remplaça. Une fois débarrassé de son uniforme, il était fort beau mais un peu trop efféminé.
“Pas celui-là non plus …
- Seriez-vous capricieuse?
- Revenez au premier, il me plaisait assez. Ne pourriez-vous pas lui donner des proportions plus normales.
- Il n’y a qu’à demander. Je vous écoute Elen.”
Elle s’exécuta. Tout semblait facile à présent. Elle se sentait flotter dans une fantasmagorie aussi irréelle que prometteuse.
“Parfait.
Occupons-nous de votre cas à présent.”
Saisissant Elen par les fesses, il la culbuta d’un mouvement qui la surprit complètement. Puis, ses doigts s’enfilèrent jusqu’à la commissure des cuisses. L’humidité qu’il y découvrit dut le satisfaire, il se pencha et l’embrassa au front.
“Arrêtez!” gémit-elle presque machinalement. Elle avait eu un mouvement d’affolement qui avorta dans un soupir. Son maître avait trouvé par hasard, le point exact qui commandait au feu du plaisir, la jeune femme sentait déjà ses jambes parcourues de spasmes délicieux.
“Voyons,” protesta-t-elle, “Antonio pourrait aller au jardin … Céleste emprunter la véranda …
- Il y a un moment que vous donnez un spectacle charmant pour un œil indiscret … ” Percevant sans doute chez sa compagne un raidissement préjudiciable à la volupté, il se pencha de nouveau jusqu’à effleurer ses lèvres: “J’ai actionné les rideaux tout à l’heure.
- Martial!” se pâma sa victime.
Il se méprit:
“ … Toute la ville devrait-elle défiler devant mes fenêtres que je ne vous écouterais pas. On n’abandonne pas une femme qu’on a mise dans votre état. C’est une question d’honneur.”
Il avait éteint le lecteur et continuait à la caresser.
“Je peux encore faire cela. … N’est-ce pas votre anniversaire?
Ce sont choses qui se fêtent la veille, il me semble.”
Il avait réussi à se pencher. Chacun de ses arguments s’accompagnait de baisers furtifs. … Sur son front, ses cheveux, sa poitrine.
“Jouissez, Elen. Vous me ferez plaisir.”
Martial n’avait pas besoin de l’encourager. La jeune femme, submergée sous ses soins attentifs, succombait doucement. Il lui tendit la flûte où il restait un fond de champagne:
“Buvez. Je ferai le reste.”
Dans l’orgasme, Elen lâcha le verre. Encore alanguie par la volupté, elle se redressa sur son séant. La tête lui tournait.
Martial était déjà réinstallé dans son fauteuil.
“Le cristal brisé porte bonheur.”
Il alluma l’interphone:
“Je viens de casser un verre Céleste. Venez débarrasser, apportez-en un autre. Et préparez-vous à servir s’il vous plaît.” Puis il se tourna vers sa compagne: “J’ai préparé du Schubert sur la chaîne, cela vous sied-il toujours?
- Excellente idée.”
Sans attendre qu’il ait rangé son attirail, elle s’approcha de Martial. Il fallait battre le fer pendant qu’il était chaud, prenant son courage à deux mains, elle se pencha sur son visage.
Il ne s’enfuit pas, il laissa même la jeune femme le remercier de ses lèvres.
“Il est dix heures bien sonné, à présent. Le temps de souper me semble venu, ne croyez-vous pas.
- Bonne idée! Je meurs de faim.
Mais j’ai aussi le sens de l’honneur, Martial. … Vous me feriez grand plaisir en ayant la simplicité d’apprendre à votre humble domestique ce que, modestement, elle peut se permettre afin de remédier à “l’état” dans lequel vous vous êtes mis ce soir pour la servir.
- Quel état?” ricana-t-il. “Avez-vous remarqué quelque chose qui vous ait choqué en ma personne!”
“Point!” assura-t-elle vivement.
“Naturellement.”
Il n’y avait pas d’amertume dans son ironie. Encouragée, elle risqua:
“C’est demain mon anniversaire. Accepteriez-vous une invitation chez moi, là-haut?
- Il n’y a pas de remède à chercher, Elen. N’insistez pas.
D’ailleurs, demain, je pars à Paris. J’ai des rendez-vous.
Merci de l’intention, elle vous honore.”
Il était presque casant tout à coup. Comme s’il voulait réparer cette froideur soudaine, il remplit son verre et le lui tendit:
“Céleste ne pardonnera qu’à moi d’avoir cassé un verre de famille. Il vaut mieux pour la paix de cette maison, qu’elle vous trouve la coupe aux lèvres … ”
On frappa.
“Vous voyez!
Buvez. Vous connaîtrez toutes mes pensées, chère curieuse.
- Vous prenez bien de risques.
- Peut-être.”
…/…
Extrait de "Entre Chiens et Loups"
Référence citée infra
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Style : autre | Par Anne Mordred | Voir tous ses textes | Visite : 289
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Commentaires :
pseudo : BAMBE
Waouh! Quel texte captivant! Vous êtes une grande plume Madame qui donne envie de vous lire encore et encore. Merci et coup de coeur bien évidement.
pseudo : Anne Mordred
La Madame te remercie. Elle tâchera de combler ta faim de lecture. A petits pas, comme toujours.
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