J'ai poussé la porte, et pâli.
Pathétique petite pièce !
On aurait dit qu'elle sursautait.
Oui, certes, on aurait brusquement juré que quelque onde impalpable, que quelque mystérieux mais farouche remous immatériel se mettait à tressaillir au beau milieu de son espace vide.
- Ne t'alarmes pas ! me souffla Vern. Elle s'est déshabituée des visites.
Comme je lui jetais un coup d'oeil interloqué, voire quelque peu perdu, il poursuivit sur sa lancée, d'une voix précipitée, hâtive, qui avalait presque les mots :
- Oui, c'est ainsi...depuis bien cinq ans...Tout le monde se désinterresse d'elle. Personne n'a jamais l'idée de venir traîner ses guêtres par ici.
Et, de fait, j'avais l'étrange impression de me trouver au seuil d'un sanctuaire.
Pour tout dire, pour mieux dire, d'un bloc de silence parfaitement vierge.
D'un monolithe de silence aussi vierge qu'intimidant.
Vous connaissez tous, sans doute, ce film, ce grand classique de Luis Bunuel dont je ne me remémore plus le titre, mais qui ne m'en avait pas moins marqué en dépeignant un lieu, une salle qui retenait ses hôtes implacablement et inexplicablement captifs.
Eh bien, ici, ce fut à ça que je me mis à penser, mais dans l'autre sens.
Je n'arrivais maintenant plus à détacher mes yeux de cet endroit, et plus je l'examinais, plus, curieusement, je sentais se nouer ma gorge.
Je restai là, bêtement bloqué dans l'embrasure de la porte.
Fasciné par cette étrangeté prenante et indéfinissable.
Je n'avais jamais ressenti, pour être franc, dans un silence, une telle présence, une telle solidité, une telle pesanteur.
Lorsque nous trouvâmes le courage d'entrer malgré tout, ce fut encore pire.
Nous nous immobilisâmes au centre de la pièce désertée, levant la tête pour humer, pour mobiliser tous nos sens...et, très vite, nous fûmes envahis, comme pénétrés par un bien étrange malaise.
Nous avions l'impression que quelque chose cherchait à nous happer.
Nos tempes furent comme attrappées, prises, serrées dans un étau glacé, et nous nous mîmes à trembler de tout notre corps, à greloter.
Le silence environnant nous apparaissait désormais comme sidéral.
Tout se passait comme s'il avait jeté sur nous, sur nos silhouettes, un immense filet de pêche sombre qui nous capturait, nous engluait.
Cloués sur place et frissonnants, nous ressentîmes bientôt des vertiges , assortis de sensations fort pénibles de perte d'équilibre. Ces dernières ne tardèrent pas à s' accompagner de nausées.
Pour parler bref, nous étions mal.
Vern se tourna vers moi et lâcha : "Tu sens ? Des ondes nous traversent !".
En effet. Et c'étaient des ondes malfaisantes, glaciales, terriblement effilées; je les sentait m'embrocher, pénétrer l'épaisseur de ma chair entre mes côtes et , là dessus, me transpercer comme si je n'avais été qu'une vulgaire motte de beurre.
Vern et moi finîmes par nous plier en deux, sous le coup de la douleur intense, et c'est le front ruisselant de sueur visqueuse que nous mîmes genou en terre.
A ce stade, nous fûmes assaillis par une oppression thoracique : une extrême difficulté à respirer s'ajouta à tout le reste; c'était atroce !
Nous nous tenions le ventre, comme si ce dernier allait se fendre, s'ouvrir en deux et laisser échapper tout son contenu de précieux boyaux.
Puis le silence se prit à hurler : "foutez-moi le camp d'ici, vous deux !". Son énorme voix grondante nous fit l'effet d'une décharge électrique.
Elle tonnait, comme si elle se trouvait à l'intérieur de notre crâne, cependant que nous venait l'impression qu'une force gigantesque se mettait à nous aplatir ainsi que des crèpes et à nous distordre, à jouer avec nos formes devenues subitement très malléables.
De suite après, un vent déferla : vent noir, d'une puissance prodigieuse, sous la poussée duquel nous ne nous sentions pas plus lourds que des fétus de paille.
Il souffla tant et tant qu'il nous éjecta tous deux hors de la petite pièce.
Projetés, nous nous effondrâmes au delà du seuil, sur le sol moqueté du couloir.
Inutile de vous dire combien nous étions assomés, vidés de notre subtance.
03 - 01 - 2008 / 20 - 11 - 2009.
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Style : Nouvelle | Par Patricia Laranco | Voir tous ses textes | Visite : 287
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