Ingrid menait une existence ordinaire mais heureuse. Enfin, son « tempérament » était heureux parce que, pour le reste, sa vie manquait franchement de piment !

Zozo, son mari, était garagiste le jour et gros con tout le reste du temps. Ca occupe ! Ingrid aimait Zozo même s’il était bon à rien, même pas à lui faire un enfant ! Elle en avait pleuré une fois, une seule, debout devant son miroir avec en guise de gros ventre, un coussin bourré d’acariens. Elle s’était, l’espace d’une seconde, imaginée enceinte. Et puis elle avait remis le coussin sur le lit et n’avait plus jamais repensé à tout cela !

Quelle adversité ! Ingrid était une force de la nature remarquez : 1m82 pour 98 kilos, ça force le respect ! Alors une force de la nature qui chiale, y’a maldonne !

Ingrid menait donc une existence ordinaire, dans une petite maison blanche ordinaire mais agrémenté d’un jardinet où elle faisait pousser des tomates ! Toutes sortes de tomates : des grosses, des toutes petites, des allongées….

Ingrid raffolait des tomates et elle les cuisinait à toutes les sauces ! Confiture de tomates, gratin de tomates, tomates à la croque au sel, beignets de tomates etc etc. Et Zozo détestait les tomates, lui !

Oh lui, de toute façon, y’avait pas grand-chose qui l’intéressait, sauf la bibine et les jeux de cartes au bistrot avec ses potes, de pauvres types pré-embaumés à l’alcool, suant des vapeurs de pinard à longueur de temps et pour la plupart au chômage depuis belle lurette !

Presque tous les soirs, Ingrid allait chercher son Zozo au « café des amis » et s’il montrait de la résistance, elle le soulevait d’une seule main et le portait à bout de bras jusqu’à leur maison. Ces soirs-là, Zozo dormait dans la cave, avec pour compagnie, tous les bocaux de tomates d’Ingrid !

Il faut dire que Zozo était un petit gabarit d’1m59 pour 57 kilos ! Tout chez lui était petit : les pieds, les mains, les yeux, le front, le nez, le zizi et l’esprit !! D’ailleurs à l’atelier, il se faisait tout le temps charrier par ses collègues « Eh Biloute, fais gaffe de pas t’noyer dans l’liquid’ eud’refroidissement hein !!! » !

Quelle marrade !!!

Mais Zozo riait de bon cœur, n’ayant aucune notion d’amour propre !

Toute cette histoire aurait pu continuer ainsi bien des années encore….

Mais voilà ! Un jour Zozo en eut ras la salopette de manger des tomates, elles lui faisaient horreur et lui soulevaient le cœur depuis quelques temps. Il essaya bien d’en parler à Ingrid un soir, à table, alors qu’ils dégustaient un potage à la tomate, mais Ingrid avait posé ses grands yeux noirs sur lui et avait levé l’index de la main droite, signe de grand danger pour Zozo ! Car il n’était pas rare que Zozo se révolte, surtout au sujet des tomates, mais cela finissait quelquefois par une fessée déculottée et ça, Zozo détestait. Non pas qu’il ressentît de l’humiliation non, mais ça faisait mal, tout simplement et de plus, les soirs de fessées, Zozo dormait dans la cave…..

Et donc, Zozo décida de se rebeller, à sa manière !

Il alla chez un pépiniériste acheter un poison pour les plantes et attendit qu’Ingrid soit partie au marché pour asperger toutes les tomates ! Et puis il en garda un petit fond, qu’il cacha dans le placard de l’entrée…

Zozo avait hâte d’être au soir.

Ingrid n’eut pas besoin d’aller le chercher au troquet ce soir-là. Zozo fit profil bas et s’assit à table sans dire un mot. Ingrid ne disait rien non plus. Elle servit des tomates farcies et même un peu de vin.

Zozo mangea avec appétit, en prenant bien soin de mettre les tomates de côté, et siffla de nombreux verres de vin puis il prétexta l’oubli de ses cigarettes dans sa poche pour aller jusqu’au placard de l’entrée.

Ingrid débarrassa tranquillement les assiettes, se mit à  faire la vaisselle et regarda d'un air revanchard le petit flacon de poison qu'elle avait trouvé dans le placard de l'entrée et qui désormais se trouvait dans la poubelle, vidé de son contenu…..

Au cimetière du village, il y a une pierre tombale toute neuve.

Dessus, gravée dans un bloc de marbre blanc, une épitaphe :

« Ton plan était mauvais ! Moi, je t’en offre un beau, de plant… ! ».

Et c’est ainsi que l’on vit pousser, au lieu des habituelles plantes de cimetière, de magnifiques tomates tout autour de la tombe de Zozo…. Des grosses, des petites, des allongées…..