Nous sommes en 1530. Un vaisseau constitué d'un certain nombre de personnes, tous de sexe masculin et ayant presque le même age, échoue sur la plage de l'île Galápagos. Le vaisseau manquait cruellement de vivre et les matelots ont décidé de voir s'ils peuvent avoir de l'aide de la part des autochtones de cette île encore inconnue, sinon ils seraient condamnés à mourir de faim dans l'océan.

En débarquant sur la plage, les visiteurs sont accueillis par le chaman de l'île. Un vieux monsieur de 90 ans. Il leur dira ceci :

• - Vous êtes les bienvenus chez nous. Vous auriez tout. Nourriture, femmes, joyaux... tout ce que vous voulez. Mais à une condition.

• - Laquelle? répondirent les matelots avec joie.

Le chaman marqua un temps d'arrêt, fixa ces nouveaux arrivés des yeux longuement puis dit :

• - Nous avons une coutume ancestrale ici. C'est qu'on donne tout à notre visiteur, mais en échange, notre chef, doit choisir au hasard trois personnes qui doivent avoir la tête tranchée comme sacrifice à notre Dieu de la foudre. Ainsi, je vais vous distribuer des bouts de papiers et chacun de vous écrira son nom et prénom et la réponse «oui» s'il veut rester, ou «non» s'il veut partir. Je vais ensuite mettre les papiers dans une urne. Le chef viendra, prendra au hasard un papier verra si la personne veut rester ou non. S'il veut rester il aura la tête tranchée, s'il veut aller, on le met dans le vaisseau. Jusqu'à ce qu'il arrive à voir trois papiers dans lesquelles les personnes ont exprimé leur désir de rester. Une fois la troisième personne choisie pour avoir la tête tranchée, notre chef vous admettra comme des princes et vous serez les privilégiés de cette île...

Au-delà du caractère fantaisiste d'une telle histoire, néanmoins elle pose un problème épistémologique d'une difficulté extrême. Un problème interdisciplinaire, qui touche la sociologie, le politique, la psychologie, la logique, les mathématiques etc.

Le problème est le suivant : à partir de quel nombre de matelot la décision de rester dans l'île devient rationnelle ?

Je m'explique. Si le vaisseau est composé de trois matelots évidemment, il ne serait pas rationnel qu'ils acceptent la proposition du chaman. Un vaisseau composé de quatre matelots aussi. Mais un vaisseau composé par exemple de 5000 personnes (supposons que le vaisseau peut accueillir n personnes), la décision de rester au risque de sacrifier trois personnes semble rationnelle, mieux vaut sacrifier trois personnes que laisser mourir de faim 5000 personnes.

Ainsi, ce que j'appelle l'énigme de Galápagos, consiste à saisir ce moment énigmatique, ce nombre de n personnes à partir duquel la décision de rester devient rationnelle.   

C'est sans doute l'un des grands défis de l'épistémologie actuelle...