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LES SENTINELLES EN EVEIL par yasida

LES SENTINELLES EN EVEIL

LES SENTINELLES EN EVEIL

 

      Plus le temps passait, plus je prenais conscience d'une chose :  ma vie est là. Oui, là au milieu des ses malnutris au regard égaré, au milieu de ces mères désemparées, parfois désespérées de faire sourire ces loques humaines.

    Je suis mêlé à leur vie, ému par leurs souffrances.

   Quand parfois au bout de plusieurs semaines un enfant s'en allait, j'en étais profondément bouleversé. Nos soins, nos nuits de veille n'ont donc rien apporté ?

    Et il arrivait souvent qu'un enfant s'en aille, définitivement, vers un monde meilleur, sans maladie, sans malnutrition.

    Ange qu'il était, il retournait aux anges.

 

   Mais il n'y a pas seulement des jours sombres, il y a aussi des jours de joie, des jours d'immense bonheur. Quand le mourant reprenait vie, il renouait alors avec le sourire qui s'était jadis figé sur sa face.

   Il reprenait de l'embompoint et s'intéressait à son entourage. Ses pleurs, même à la vue des blouses blanches, étaient signes de vie.

   Tout cela m'exalte, me vivifie moi-même et m'apprend à me connaître , car le meilleur miroir de l'homme est son prochain.

   Notre métier, comme beaucoup d'autres, est fait de moments de profonde plénitude, et aussi hélas d'incertitude.

   Et ces moments d'incertitude sont cruels, car nul ne peut dire en quittant un agonisant le soir qu'il le reverra vivant demain.

 

  Le mince fil de la vie a ses mystères qui nous échappent, qui échappent à la science des hommes.

  Le mince souffle qui nous lie à la terre, aux fleurs, à l'eau, à la lumière, ce mince souffle qui nous lie aux passions humaines, oui, ce mince souffle est trésor et énigme tout à la fois.

  Ils viennent parfois de loin. Ils ont laissé de nombreux centres de santé derrière eux ou bien ils y ont attendu quelque temps, le temps d'un espoir.

  Il en est toujours ainsi quand ils atterrissent chez nous, n'ayant bien souvent que la peau sur les os !

  Oui, la peau sur les os et les yeux au fond des orbites !

 

  Qu'ils viennent à nous, cela nous met du baume au coeur et nous incite à prendre notre mission au sérieux.

  Notre mission est, je le rapelle d'aider.

  Nous avons le devoir de garder allumée la flamme de leur espoir.

  Et cet espoir est grand, comme l'Amour d'une mère.

  C'est un métier qui appelle à soi, toujours à soit, au dépassement, au partage, au don désintéressé de soi.

  Nous nous relayons de jour comme de nuit, avec les autres camarades infirmiers, au chevet de ces enfants, semblables à tous les enfants du monde.

  Et étrangement, ces nuits de garde me rapellent d'autres nuits de garde, il y a bien longtemps aujourd'hui.

   J'étais alors un rebelle, en faction au sommet du mont Tamgag, ma kalachnikov étroitement serrée à ma poitrine. J'avais au bout de mes jumelles la vie de centaines de combattants, qui eux étaient insouciants et s'adonnaient à leurs jeux et à la guitare. C'était toujours le même poids, la même sensation d'utilité, ce que d'autres, peut-être, nomment la Responsabilité.

  Ces soirs-là, sur le mont Tamgag, j'ai l'impression que tous ces hommes mon confié leur vie. Il suffit d'un sommeil traître ou d'une baisse de vigilance quelconque pour que l'ennemi paraisse et les sacrifie.

  Toutes les nuits de garde au centre sont pareilles.

  Il suffit qu'un seul enfant s'en aille à mon insu, et emporte dans l'au-delà un peu de mon âme. Et en vérité, sur la terre, nous ne sommes toujours que des sentinelles, des sentinelles en éveil.

 

pour aboubé qui a une caresse pour chaque enfant.

Tchiro, 18 septembre 2002

 

 

 

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Style : Poème | Par yasida | Voir tous ses textes | Visite : 577

Coup de cœur : 9 / Technique : 7

Commentaires :

pseudo : BAMBE

Sous le coup d'une belle émotion, elle est tellement forte cette image des sentinelles en éveil et ce lien d'âme à âme ... Coup de coeur

pseudo : Karoloth

Ce témoinage, car je n'imagine pas qu'il ne puisse en être un, est un véritable coup au coeur.

pseudo : yasida

Bien sûr, c'est le vécu quotidien de Rhissa et de ses collègues infirmiers au Centre de santé de Tchirozérine (Massif de l'Aïr, Nord-Niger) Je vais publier un texte de Rhissa sur Tchiro, qui est déjà sur le site. Il est vrai que, pour appréhender vraiment ses écrits, il faut connaître le Niger, surtout le Nord "pays touareg" et l'histoire de ce Peuple... Merci de votre intérêt. Cet Homme a tout, toujours, sacrifié de sa vie personnelle pour que son pays évolue vers la démocratie, la justice, le respect des Droits de l'Homme et la reconnaissance de l'identité de ce Peuple du Désert. Découragé, épuisé, il trouve force et espoir, plus déterminé que jamais, lorsque je lui transmet vos commentaires par SMS. Difficile de communiquer mais nous pouvons lui insuffler le souffle dans lequl il puise force, courage et espoir. Lui et sa famille ont payé cher ses engagements, mais jamais il ne renoncera.... Merci à vous tous de l'accueillir, lui qui est isolé parmi les siens, lui qui ne désarmera pas...