Alice ne savait plus vraiment quand ce nez s'était installé sur sa figure, mais elle se souvenait qu'un matin de septembre, elle s'était regardée dans son miroir habituel et il était là ! Il s'était installé bien au milieu de son visage, si bien qu'Alice ne voyait plus que lui !
Il faut dire qu'il était de bonne taille et avait une bosse !
Et quand Alice tourna la tête, à gauche, puis à droite, ce nez s'avéra disgracieux et omniprésent.
« Ah non » dit Alice « vous ne pouvez pas rester là ! Vous êtes trop moche ! Partez tout de suite de mon visage, le nez. Avec vous, je vais être la risée de la race humaine !! »
« Mais je vous en prie, jeune demoiselle » répondit le nez, blessé « mesurez vos paroles et tâchez de ne pas être blessante. Je me trouve bien là où je suis et je ne compte nullement changer d'endroit »
« Vous êtes gros et laid à faire peur. Non mais regardez le reste de mon visage : ces yeux romantiques, ce front intelligent, ces joues pommettées à souhait et….. vous ! Au milieu de toute cette grâce, vous ressemblez à un cactus parmi des roses… » rajouta Alice avec colère.
Alors le nez, blessé se mit à pleurer !
Il pleurait, il pleurait et il coulait, il coulait… Il ne pouvait plus s'arrêter !
Et Alice se mouchait, se mouchait tant et si bien qu'au bout d'un moment, elle donna une claque au nez ! Puis elle le pinça et le tordit.
« Aïe » hurla le nez « mais vous êtes d'une violence inouïe et vous m'avez fait mal ! Aïe ! Ouille ! » et il se mit à saigner.
Alice courait partout pour trouver des mouchoirs, mais le nez ne s'arrêtait pas de saigner et elle commençait à en manquer alors elle dit au nez :
« Bon, bon, OK, on va réfléchir ! Je vous demande pardon. Maintenant, arrêtez ce cirque ! »
« Mais c'est tout réfléchi, mademoiselle, ici je suis, ici je resterai… » rétorqua le nez.
Alice était désespérée. Quelle aventure !
« Non mais franchement, le nez, sans vouloir vous vexer, vous vous êtes bien regardé ? Vous êtes, heu….. bossu ! » continua Alice
« Ah là là ! La belle affaire ! Et alors ! Vous habitez à côté de l'église Ste Eustache et dans le coin, ils ont une grande habitude des bossus….. » répondit le nez en se plissant
« Très drôle, vraiment très très drôle » dit Alice en applaudissant
« Mais chère petite, réfléchissez un peu : sans moi, comment porteriez-vous vos jolies lunettes de soleil ? Les branches accrochées aux oreilles et les deux verres à hauteur de la bouche ???
Sans moi : comment apprécieriez-vous les roses que vous semblez affectionner ?
Sans moi : comment profiteriez-vous de la bonne odeur du printemps ? Comment pourriez-vous, avant même de l'avoir vue, devinez la déjection canine sur le trottoir ?
Sans moi, jolie demoiselle : comment feriez-vous pour respirer ? »
Et le nez se boucha, intentionnellement !
Alice ouvrit la bouche et se mit à respirer bruyamment. Puis elle cria :
« Arrêtez, OK, c'est bon, j'ai compris »
Et le nez cessa de se boucher !
« Et oui » continua-t-il « vous seriez alors obligée de respirer par la bouche uniquement ! Et alors, comment tout faire en même temps : respirer, parler, manger ???? Hum ?! Je vous le demande bien, vilaine petite Alice ? »
Alice sourit un peu et demanda :
« Mais pourquoi m'avoir choisie, moi ? »
« Parce que vous manquiez un peu de caractère ! Vous n'étiez pas typée ! Mais maintenant, vous l'êtes ! » répondit le nez
« Mouais, maintenant, surtout je suis laide ! » dit Alice, les larmes aux yeux
« Arrêtez donc de vous lamentez sur ce qui n'est, somme toute, pas un mauvais sort » fit le nez sans se laisser émouvoir « vous trouvez que vous avez du nez en trop… Mais réjouissez-vous donc, très chère ! Par les temps qui courent, avoir quelque chose en trop n'est pas donné à tout le monde. Et puis, vous semblez avoir de l'esprit et le bon esprit doit être bien ventilé. Je vous y aiderai….
Et puis, il ne sert à rien de discutailler, là je suis, là je resterai ! Avec le temps, vous apprendrez à me connaître et peut-être bien qu'un jour, vous m'aimerez…
Et puis, sachez qu'en Chine, vous êtes très à la mode. Là-bas, les femmes se font rallonger le nez. Ah… !!!! ». Le nez semblait content de lui !
Alice l'écoutait sans rien dire et puis elle ne voulait pas le vexer, sinon il allait encore pleurer et elle n'avait plus de mouchoirs !
« Mais savez-vous, monsieur le nez, qu'on peut vous raccourcir ? » hasarda Alice « Ca s'appelle la chirurgie esthétique ! »
« Plaît-il ? » répondit le nez, piqué « Vous oseriez me torturer, me couper, me scier, me marteler, m'handicaper, m'annihiler, me massacrer, m'empêcher d'exister ??? Et tout ça pour quoi ? Parce que vous m'avez dans le….. Enfin, je veux dire : parce que vous me détestez ? Vous me faites beaucoup de peine, Alice » dit-il d'un air pincé et il se mit à renifler.
Alice se rattrapa comme elle put :
« Non, non, je ne le ferai pas. N'ayez pas peur, je ne vous veux pas de mal ! »
« J'aime franchement mieux ça, savez-vous ! Vous me rassurez. Vous avez senti que j'allais me vexer et pleurer ! » dit le nez
« Oui, c'est vrai qu'on me dit souvent que je sens les choses et même que j'ai du nez » fit Alice d'un air amusé
« Ah ah ah !!! » le nez et Alice rirent ensemble puis le nez proposa :
« Bon Alice, sortons prendre l'air ! Allons nous prome…. nez !! Le printemps est doux. Cheminons dans les rues emplies de senteurs, allons humer la vie parisienne. Hum, qu'en dites-vous ? » demanda le nez
« C'est une bonne idée » dit Alice « C'est vrai qu'il fait doux et je n'aurai pas besoin de mon cache nez aujourd'hui ! »
Ils sortirent et flânèrent sur les quais, dans des parcs. Ils reniflèrent les fleurs et même les odeurs de voitures.
Alice marchait la tête haute et le nez était fier d'être installé au milieu d'un tel visage !
Ils étaient, Alice et lui, sur la voie de la réconciliation. Ils allaient apprendre à vivre ensemble !
Dans l'après-midi, ils allèrent s'installer à une terrasse pour écouter un petit concert improvisé. Une bande de jeunes musiciens avaient sorti leurs instruments et jouaient des airs connus.

c'est un rock ! ». « Ah, ça, je connais » dit le nez après un moment de réflexion « c'est un slow ! Oh mais non, que dis-je,